5 juin 2006

NÉPAL

LES MAOÏSTES PRÊTS À GOUVERNER

http://mai68.org/ag/1009.htm
http://cronstadt.org/ag/1009.htm
http://kalachnikov.org/ag/1009.htm
http://www.chez.com/vlr/ag/1009.htm

    Katmandou, 2 juin 2006. Alors que l’armée népalaise s’est déployée, dans la plupart des grandes villes, et dans la capitale, violant le code de conduite signé entre le gouvernement Koirala et les maoïstes, ces derniers tiennent un immense meeting pacifique, rassemblant près de 500 000 personnes, à dix minutes de marche du palais royal.

    L’AMBIANCE est électrique sur le gazon du théâtre ouvert Tundikhel. La foule a débordé l’espace attribué au parti communiste maoïste pour sa première manifestation publique depuis trois ans (1), et occupe "le champ de Mars", réservé aux défilés militaires.

    Des manifestants, en maillots rouges à l’effigie de Prachanda, arrachent les insignes royaux, qui ornent les tribunes et les portails…

    "Pendons le roi !", "Gyanendra, voleur ! Quittes le pays !", "Nous brûlerons la couronne et gouvernerons le pays", scande la foule, agitant une mer de drapeaux rouges.

    La foule, "composée en grand nombre de crève-la-faim, venus de provinces" comme le notent cyniquement les journalistes friqués de la capitale, reste cependant disciplinée et écoute les orateurs du parti communiste maoïste. Des cadres de moyenne importance.

    "C’est avec un grand sens des responsabilités, à un moment décisif de l’histoire du pays, que nous sommes venus à Katmandou, exiger la dissolution des Parlements liés à la monarchie, la provocation de nouvelles élections et l’instauration d’une Assemblée constituante, déclare solennellement Krishna Bahadur Mahara, porte-parole du parti communiste maoïste, (…) Il est temps que les hommes politiques qui ont gouverné, pendant douze ans, le Népal vers l’abîme, laissent la place à une nouvelle génération, née des combats de la guerre populaire."(…)

    "Le gouvernement Koirala s’adonne à des changements mineurs alors que le peuple népalais fait une révolution. L’institution monarchique, vieille de 237 ans, est morte !

    "(…) Aujourd’hui, le chef le plus à même de représenter le peuple et défendre la nation est le camarade Prachanda."

    La parole est donnée à l’un des commandants, en civil, de l’armée populaire de Libération, un certain Prabhakar :

    « Nous sommes prêts à faire l’adieu aux armes et à fusionner nos milices à l’armée népalaise dès que nos camarades entrent au gouvernement ; la nouvelle armée népalaise doit être dirigé par l’Assemblée constituante et servir les intérêts du plus grand nombre de citoyens. »

    QUESTION D'HIMALOVE AU CAMARADE PRACHANDA

    Comment une armée construite selon un mode colonial, discriminant les ethnies (certaines jugées "martiales", d’autres, non), dont les officiers sont choisis pour leur loyauté au roi et leur conscience de classe, peut-elle accepter des légions de va-nu-pieds révolutionnaires en son sein ?

    D’un point de vue théorique, l’attitude et les discours des maoïstes népalais laissent perplexe la critique marxiste-léniniste.

    Dans le magazine indien Economic and Political Weekly, Saroj Giri écrit : « Les maoïstes népalais semblent incapables de développer une alternative originale de pouvoir prolétarien, au centre, afin de représenter et consolider leurs bases révolutionnaires paysannes. »

    Pour Saroj Giri, exit les soviets, les conseils d’ouvriers et les communes populaires.

    Pour lui, les maopatis développent une politique de nationalisme de gauche, anti-impérialisme, qui renouvelle l’appareil d’État et ses liens avec le capital, mais qui laisse, au fond, les structures intactes.

    Lire "Social Transformation and Political Power ; Maoist in Nepal" by Saroj Giri http://epw.org.in

    En somme, une révolution bourgeoise qui débarrasse le pouvoir de ses oripeaux monarchiques et de sa peau de tigre religieuse...

    C’est pourquoi, ils se sont acquis les faveurs d’une partie de la classe dirigeante indienne : les communistes et des membres du parti de Sonia Gandhi.

    Ce qui intéresse les communistes indiens dans la révolution népalaise, c’est la volonté des maopatis de couper le lien avec l’impérialisme anglo-saxon, et de saper l’influence des forces de l’hindutva, pour qui le royaume hindou est un laboratoire.

    La première mesure conséquente du nouveau gouvernement Koirala, à leurs yeux, a été de supprimer la religion d’État, l’hindouisme.

    Cette mesure a entraîné à Birganj à la frontière avec l’Inde, au Bihâr, des manifestations organisées par Shiv Sena…

    Le royaume était qualifié de "constitutionnellement" hindou quoique puissent en dire les fondamentalistes depuis peu.

   C’était Mahendra, le père de Gyanendra, qui avait déclaré lors de son coup d’État (2) en 1960, le royaume "hindou", et lui-même descendant du dieu Vishnou.

    Le maître d’œuvre de cette farce politico-religieuse a été le DTulsi Giri, chef instructeur des sinistres Rashtrya Swayamsevak Sangh, toujours présent dans l’entourage de Gyan.

    Le Népal comme l’Afghanistan pour le général musulman pakistanais Musharraf confère une profondeur stratégique aux desseins des fondamentalistes hindous, qui prétendent régner sur l’Union indienne depuis la Partition.

    La géographie sacrée avec ses monastères, ses lieux saints, comme Muktinath, Pashupatinath (3), recoupe, pour les fascistes hindous, l’espace politique et sanctifie le territoire.

     "L’espace culturel et politique est la même chose" selon Gowalkar, le créateur des RSS, dans les années vingt, et pour son successeur, Savarkar, chef d’orchestre de l’assassinat de Gandhi, et maître à penser du Bharatiya Janata Party.

    Lire mon article "Le Poignard népalais et la Croix gammée hindoue" :

    http://mai68.org/ag/800.htm

    La remise en cause de cette terre géostratégique d’importance, carrefour entre la Chine et l’Inde, gouvernée traditionnellement par des forces réactionnaires, inquiète aussi les Américains…

    Ce n’est pas pour rien si le général Peter Pace, officier le plus gradé de l’armée américaine, est en visite officielle auprès des vieilles badernes qui commandent les trois armes des forces armées indiennes, le 4 juin.

    Les 6 et 9 juin, le docteur Manmohan Singh invite Girija Prasad Koirala afin de discuter de l’aide indienne à la nouvelle démocratie népalaise.

    La puissance tutélaire indienne parle d’un plan Marshall…

    L’arme de la faim a été utilisée avec un tel succès par les troupes gouvernementales à l’Ouest du pays que les régions du Dolpo, Humla, Mugu, connaissent une famine sans précédent.

    Le gouvernement Koirala semble incapable, à Katmandou, de "nationaliser" l’immense fortune de la famille royale et de restructurer l’économie du pays sur des bases fédérales.

    Peut-être est-ce la mission dévolue au camarade Prachanda ?

    Pour l’heure, l’état-major indien empêche la rébellion logique des régiments Gurkha (4) qui ne souhaitent nullement fusionner avec "l’armée rouge".

    L’armée népalaise, forte de 90000 soldats, continue à recevoir des livraisons d’armes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Israël. Ce qui creuse un peu plus le fossé entre une aristocratie militaire (5), bien nourrie, et la société civile.

    La mise en place d’une dictature militaire, équivalent hindou du régime pakistanais, n’est pas du tout de l’intérêt du gouvernement indien actuel, ni du reste l’intervention de l’ONU, marionnette aux mains des Américains.

    Plus que jamais le sort de la révolution népalaise se joue à New Delhi.

        Himalove

-----------------------------------------------------------------------

1. La dernière manifestation publique des maopatis, à Katmandou, eut lieu au printemps 2003. Le cessez-le-feu avait été brisé par la Royal Nepal Army, en juin 2003 ; des officiers assassinaient de sang-froid 19 militants désarmés…

2. La reine d’Angleterre et son mari furent les premiers visiteurs de l’avatar du dieu Vishnou, le roi Mahendra Bir Bikram Shah Dev, après son coup d’État, au début des années soixante.

3. À Pashupatinath, à quelques kilomètres de Katmandou, le temple est interdit d’accès aux personnes n’appartenant pas aux familles hindous…

4. Le général népalais, criminel de guerre, Pyar Jung Thapa a rang d’officier d’état-major dans l’armée indienne ; le général indien JJ Singh, de même, dans l’armée népalaise.

5. Le contingent népalais est un des corps expéditionnaires les plus représentés, avec le contingent indien, chez les Casques Bleus.


Retour en AG

Vive la révolution : http://www.mai68.org
                      ou : http://kalachnikov.org
           ou : http://vlr.da.ru
              ou : http://hlv.cjb.net