7 aout 2006
DROGUÉS DE GUERRE
de
Uri Avnery
Pour difficile que ce soit à
imaginer, il semble quOlmert croit réellement que cest une
guerre victorieuse. Quil est en train de gagner. Quil a radicalement
changé la situation dIsraël. Quil est en train de construire
un Nouveau Moyen-Orient. Quil est un dirigeant historique, de loin supérieur
à Ariel Sharon.
http://mai68.org/ag/1042.htm
http://cronstadt.org/ag/1042.htm
http://kalachnikov.org/ag/1042.htm
http://www.chez.com/vlr/ag/1042.htm
Lien originel : http://www.france-palestine.org/article4364.html
POUR MOI ce fut un moment de révélation bouleversante.
Jétais en train découter un des discours quotidiens de notre Premier ministre. Il a dit : "Nous sommes un peuple merveilleux !" Il a dit "Nous avons déjà gagné cette guerre, cest la plus grande victoire dans lhistoire de notre Etat." Il a dit : "Nous avons changé la face du Moyen-Orient." Et autres phrases du même genre.
Bon, me suis-je dit, cest du Olmert.
Je lai connu quand il avait environ 20 ans. A lépoque, jétais membre de la Knesset. Et Olmert était le porte-document (littéralement) dun autre député.
Depuis lors, jai suivi sa carrière. Il na jamais été autre chose quun fonctionnaire de parti, un politicien à temps partiel spécialisé en manipulations, un démagogue qui va dans le sens du vent. Il a changé de parti plusieurs fois et il a été maire avec la note D moins, jusquà ce quil prenne le train en marche dAriel Sharon. Plus ou moins par hasard, on lui a donné le titre vide de "Premier ministre adjoint", et, quand Sharon a eu son attaque, Olmert a été tout surpris de se retrouver Premier ministre.
Tout au long de sa carrière il est resté un homme cynique fondamentalement de droite mais voulant se présenter comme un libéral quand il se trouvait face à des gens de gauche.
Donc, me suis-je dit, cest juste un de ses discours cyniques. Mais soudain une horrible pensée ma traversé lesprit : non, lhomme croit à ce quil dit.
Pour difficile que ce soit à imaginer, il semble quOlmert croit réellement que cest une guerre victorieuse. Quil est en train de gagner. Quil a radicalement changé la situation dIsraël. Quil est en train de construire un Nouveau Moyen-Orient. Quil est un dirigeant historique, de loin supérieur à Ariel Sharon (lequel, après tout, a été battu au Liban et a permis au Hezbollah de constituer son arsenal de roquettes). Que, plus longtemps on lui permettra de poursuivre la guerre, plus sa stature dans lHistoire grandira.
Ehoud Olmert sest à lévidence coupé de la réalité. Il vit tout seul dans une bulle. Ses discours montrent quil a un vrai problème.
De tous les dangers auxquels Israël est confronté maintenant, celui-ci est le plus grave. Parce que cet homme est en train de décider, tout simplement, du sort de millions de personnes dont la vie sera détruite - qui mourra, qui deviendra réfugié.
MAIS LE PROBLÈME dOlmert et de sa mégalomanie nest rien comparé à ce qui se passe pour Amir Peretz.
Il y a exactement neuf mois, après son élection comme président du parti travailliste, Peretz a fait un discours sur la place Rabin à Tel-Aviv dans lequel il confiait son rêve : que, dans le no mans land entre Israël et la bande de Gaza, un stade de football soit construit, et quun match entre les enfants israéliens de Sderot et les enfants palestiniens de Beit Hanoun voisin y soit disputé. Un Martin Luther King israélien.
Neuf mois plus tard, un monstre nous était né.
Dans la campagne électorale législative, Peretz est apparu comme un révolutionnaire social. Il a annoncé quil changerait la société israélienne, poserait de nouvelles priorités nationales, prélèverait des milliards au budget militaire pour les transférer à léducation et au bien-être social et quil prendrait des mesures pour réduire lénorme fossé entre les riches et les pauvres. En tant que pacifiste de longue date, il conclurait, bien sûr, la paix avec les Palestiniens et lensemble du monde arabe.
Ce discours lui a gagné les voix de nombreux citoyens, y compris de certains qui nauraient jamais pensé voter pour le parti travailliste.
Ce qui a suivi fait partie de lhistoire. Peretz sest complètement transformé quand Olmert lui a offert le ministère de la Défense. Cétait encore un coup dOlmert le cynique. Celui-ci savait, comme nous tous, que Peretz entrait dans un piège, quen tant que simple civil sans véritable expérience militaire, il serait une proie facile pour les généraux. Mais Peretz na pas reculé. Lobjectif suprême de sa vie est de devenir Premier ministre, et il croyait que, pour devenir un candidat crédible, il devait pouvoir se présenter comme ayant une expérience sécuritaire.
À partir de là, Peretz est devenu un belliciste enragé. Non seulement il endosse toutes les exigences des généraux, non seulement il agit comme leur porte-parole, mais il a aidé à pousser Israël dans la guerre. Et depuis lors il a été entraîné à continuer la guerre, à létendre, à tuer plus, à détruire plus, à occuper plus. Il a même déclaré : « Nasrallah noubliera jamais le nom dAmir Peretz ! » - comme un enfant gâté inscrivant son nom parce quil a gagné dans un jeu de foire.
À lheure actuelle, il essaie dêtre encore plus extrémiste quOlmert. Alors que le Premier ministre a peur de continuer à avancer, craignant que trop de blessés par les roquettes et dans la bataille sur le terrain ternissent léclat de sa victoire, Peretz veut atteindre le fleuve Litani quel quen soit le prix. On na pas le choix - si on veut devenir Premier ministre, on doit marcher sur les cadavres.
Ainsi un monstre nous est né. Rosemarys Baby.
Aujourdhui, au 25e jour de la guerre, nous pouvons dresser un bilan provisoire. Quels étaient les objectifs ? Quels sont les résultats ?
* « Détruire le Hezbollah »
Qui laurait cru, au 25e jour, le Hezbollah est toujours debout et combat. Quelques milliers de combattants contre la cinquième plus puissante armée du monde. Personne ne parle plus déliminer le Hezbollah. Ni Olmert, ni Peretz, ni même Dan Halutz - le troisième angle de ce triangle infernal.
* « Affaiblir le Hezbollah »
Cest une version édulcorée du premier objectif. Cest plus commode, parce que cela ne peut pas être mesuré. Après tout, dans toutes les guerres, chaque partie est affaiblie. Des gens sont tués et blessés, des armes sont détruites, des installations démolies. Mais alors que larmée israélienne peut mobiliser une division après lautre, et que les Américains nous fournissent de plus en plus de bombes, le Hezbollah peut-il amortir de telles pertes ?
Personne ne sait combien de combattants lorganisation a perdus. Larmée israélienne donne des estimations sans pouvoir les prouver. Les Libanais donnent des chiffres beaucoup moins élevés, mais napportent pas non plus de preuves.
Mais lessentiel nest pas là. Une organisation comme le Hezbollah na pas de problème pour recruter de plus en plus de volontaires pour la « guerre sainte ». Quelles que soient leurs pertes, après la guerre, lorganisation entraînera autant de nouveaux combattants que nécessaire. Leurs arsenaux seront réapprovisionnés en armes par lIran et la Syrie. La frontière est longue, il est impossible de la fermer hermétiquement.
* « Repousser le Hezbollah loin de la frontière »
Cest le but résiduel, après que les deux précédents se sont avérés inaccessibles. Celui-ci non plus na pas encore été atteint, et il ne le sera jamais, parce quil est également inaccessible. La plupart des combattants du Hezbollah viennent des villes et des villages du Sud Liban. Ils seront toujours là, ouvertement ou clandestinement. Aucune force internationale ne peut lempêcher, et certainement pas larmée libanaise.
Les roquettes peuvent être déplacées. De combien de kilomètres ? Dix ? Vingt ? Cela ne changera rien à la menace qui pèse sur Nahariya, Haïfa et Tel-Aviv, surtout parce que la portée des fusées est susceptible daugmenter avec le temps, et que des modèles technologiquement plus avancés arrivent.
* « Tuer Hassan Nasrallah »
Pour linstant, semble-t-il, lannonce de sa mort a été une exagération, pour citer Mark Twain. Certes, dans une sorte de parodie de lexploit dEntebbe, Nasrallah a été sorti dun hôpital de Baalbek, mais cétait un autre Hassan Nasrallah !
Pendant ce temps, le vrai Nasrallah est en pleine forme. Comparé à Olmert débitant ses discours pompiers avec leurs clichés interminables et frappant du poing sur la table, le dirigeant du Hezbollah se présente comme un orateur simple, mesuré et surtout tout à fait crédible.
* « Rendre à larmée israélienne le pouvoir de dissuasion »
Personne ne doute que larmée israélienne est bonne, professionnelle, capable de battre des armées régulières. Mais cette guerre prouve quelle nest pas capable dobtenir un résultat militaire contre une organisation de guérilla compétente ayant des combattants déterminés. Si le Hezbollah est vivant et dynamique après 25 jours, le pouvoir dissuasif de larmée israélienne a été affaibli quoi quil arrive à partir de maintenant.
De ce point de vue, la guerre a compromis la sécurité dIsraël. Elle a prouvé que les arrières israéliens sont vulnérables, que les combattants du Hezbollah ne sont pas inférieurs aux soldats israéliens, quil ny a pas de guerre dopérette, que lAviation ne peut pas gagner sans les forces terrestres, pas même dans des circonstances idéales où lautre partie na pas de défense anti-aérienne digne de ce nom.
Certains se consolent en se disant que les Arabes ont vu que nous étions fous. Nous réagissons à une petite provocation locale avec une orgie de tueries et de destruction, détruisant des pays entiers, une sorte de tendance nationale à la folie. Mais devenir enragé nest pas une politique. Cela ne résout aucun problème. Cest un réflexe incontrôlable qui ne permet pas une pensée correcte et qui permet même à lautre partie de nous manipuler avec des provocations préméditées.
* « Déployer une force internationale le long de la frontière. »
Cest une sorte de sortie de secours, après que tous les autres objectifs sont partis en fumée.
Au début de la guerre, Olmert lui-même sest farouchement opposé à une telle force, parce quelle aurait restreint la liberté daction de larmée israélienne. Il est clair quaucune force internationale nosera venir, à moins quil y ait un cessez-le-feu et quun accord avec le Hezbollah soit conclu. Personne ne veut sexposer aux échanges de tirs. Donc, cette force servira aussi les intérêts du Hezbollah, de peur quune guérilla soit lancée contre elle. Est-ce pour cela que tous ces sacrifices ont été faits ?
* Nous créerons une nouvelle situation au Moyen-Orient.
Cet objectif a bien sûr été atteint - mais pas comme Olmert se létait dit (et nous lavait dit).
Les résultats à long terme de la guerre ne sont pas immédiatement évidents. Ils appartiennent à la catégorie définie par Bismarck comme des « impondérables » - des choses qui ne peuvent pas être mesurées.
Tous les jours, sur leurs écrans de télévision, des dizaines de millions dArabes et des centaines de millions de musulmans voient les images atroces de bébés atteints par les bombes, des images dhorribles destructions. Celles-ci sont profondément inscrites dans la conscience des masses et laisseront derrière elles une accumulation de colère et de haine qui est beaucoup plus dangereuse quun arsenal de missiles. Au cours de ces 25 jours, des milliers de nouveaux kamikazes sont nés. Et, alors que la stature de Nasrallah comme héros du monde arabe grandit, le respect pour les régimes arabes « modérés » subit de nouvelles baisses - ces mêmes régimes sur lesquels les Etats-Unis et Israël sappuient pour créer le Nouveau Moyen-Orient.
APRÈS LE 25e jour, le 26e arrivera, et ainsi de suite. Le Président Bush, qui nous a poussés à commencer cette guerre, nous pousse maintenant à continuer le combat (« jusquau dernier soldat israélien », comme on dit). Comme Olmert, il vit dans un monde imaginaire.
Bush, Olmert et leurs semblables peuvent inciter les masses et les entraîner derrière eux, jusquà ce que le cri « lempereur est nu » trouve des oreilles réceptives.
Un des aspects les plus révoltants de la guerre est limage des diplomates internationaux faisant tout ce quils peuvent pour permettre à Olmert & Co. de continuer la guerre. Les Nations unies sont depuis longtemps devenues un agent de la Maison Blanche. Lhypocrisie et lattitude moralisatrice sen donnent à cur joie alors que des vies sont détruites et des morts enterrés des deux côtés de la frontière.
Olmert veut « gagner » autant de jours que possible pour continuer le combat. Quy gagne-t-on ? Nous sommes en train de conquérir le Sud Liban comme les mouches se jettent sur le papier tue-mouches. Des généraux présentent des cartes avec dénormes flèches montrant comment le Hezbollah est repoussé vers le nord. Cela pourrait être convaincant si nous parlions dune ligne de front dans une guerre avec une armée régulière, comme on lenseigne à lécole détat-major. Mais cette guerre est tout à fait différente. Dans la zone conquise, il reste des gens du Hezbollah, et nos soldats sont exposés à des types dattaques dans lesquelles le Hezbollah excelle depuis le premier jour.
Donc nous allons atteindre le fleuve Litani. Au-delà, il y a une autre rivière, et encore une autre. Le Liban possède un grand nombre de cours deau que nous pouvons rejoindre.
Peut-être faudrait-il que ces deux drogués, Olmert et Peretz, descendent de leur « hauteur » et étudient la carte.
Signé : Uri Avnery
Article publié en hébreu et en anglais le 6 août 2006 sur le site de Gush Shalom - Traduit de langlais « Junkies of War » : RM/SW
Vive la révolution : http://www.mai68.org
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