( 28 février 2000 )
Cher nico,
J'ai relu une grosse partie du livre " le droit à la paresse ", pour voir si Paul lafargue y est aussi antisémite que tu le prétends. Effectivement, arrivé à un peu plus du tiers mais un peu moins de la moitié du bouquin, on peut enfin trouver une phrase qui est, non pas antisémite au sens étymologique du mot ( ce qui signifierait raciste envers les membres des peuples hébreux et arabes ), mais antijuive : à un moment donné, au lieu de dire quelque chose dans le style " Les capitalistes vont trouver le banquier ", il dit qu'ils " vont trouver le juif ". Si j'étais juif, ce qui est impossible puisque non content d'être athée, je suis carrément antithée, je me sentirais injurié par une telle formule, puisqu'en gros, on m'aurait traité de banquier, quoique si je voulais porter plainte au tribunal pour injure, raciste ou antireligieuse, j'aurais probablement d'énormes difficultés à faire admettre à la cours que le mot " banquier " soit une injure. Mais, ici, on n'est pas au sein d'un tribunal bourgeois, et nous savons bien que " banquier ", chez les révolutionnaires, il n'y a guère pire, comme injure!
          Cependant, 
  à moins que je ne sois aveugle, il faut arriver presqu'à la moitié du bouquin 
  avant que Lafargue ne semble dire du mal des Juifs, ou plutôt, du " juif ". 
  Mais, bien avant, il a insulté les auvergnats, ce qui ne t'a pas choqué, il 
  a insulté les capitalistes, ce qui est normal, il a insulté les ouvriers, ce 
  qui se comprend puisqu'ils sont assez débiles pour pratiquer la " religion du 
  travail ", il a insulté les chrétiens, les protestants etc. Il s'en est pris 
  à tout le monde avant de s'en prendre " au juif ". C'est s'il n'avait pas fini 
  par s'en prendre à eux aussi, dans ce pamphlet, que ce n'aurait pas été normal.
             Mais tout de même, 
  avant tout, il s'en prend à la religion du travail. 
           Il 
  me faut maintenant étudier un peu l'histoire. Tu sais peut-être quelle est la 
  vraie différence entre la religion catholique et la religion protestante ? Pour 
  parler à la karl marx, les différences idéologiques ne sont là que pour masquer 
  les différences matérielles. Je vais donc parler en matérialiste. La différence 
  entre ces deux religions chrétiennes, c'est que, en tout cas jusqu'à la " Révolution 
  Française ", la religion catholique interdit le prêt avec taux d'usure, interdit 
  le principe même de la banque. Et c'est pourquoi est venue " La Réforme ", la 
  religion protestante, pour permettre aux chrétiens le prêt avec taux d'usure, 
  pour leur permettre le principe de la banque, pour autoriser au capitalisme 
  son plein développement sans dépendre des... mais de qui, au fait ? Tant que 
  j'y suis, je noterai aussi que si en fRANCE il y a eu la " Révolution Française 
  ", c'est parce que la " Réforme " n'a pas été acceptée. C'est peut-être pour 
  ça que la droite française a la réputation d'être la plus bête du monde. 
             Alors, quelles 
  étaient donc, en fRANCE jusqu'à la " Révolution ", et ailleurs en Europe jusqu'aux 
  protestantismes ( un par nation ), les religions qui autorisaient le prêt avec 
  taux d'usure, quelles étaient les religions des banquiers ? Bien sûr, il y eut 
  pendant quelques temps une sous-secte chrétienne affiliée à Rome ( va-t-on m'accuser 
  d'insulter les habitants de cette ville en l'assimilant ainsi à la papauté ? 
  ), autorisée très exceptionellement par Rome à pratiquer le prêt avec taux d'usure, 
  je veux parler des Templiers. Mais tu sais bien qu'un roi de fRANCE les a brûlés 
  pour s'approprier la fortune qu'ils avaient ainsi accumulée, et que l'expérience 
  ne fut jamais renouvelée. Bien sûr, il y avait aussi quelques Iraniens dont 
  la religion autorisait le prêt avec taux d'usure. Mais ils étaient bien plus 
  rares que les Juifs. Car oui, ce serait de ma part renier l'histoire, faire 
  une autre espèce de révisionisme que d'oublier cette fraction de l'histoire 
  qui dit que pendant longtemps en Europe, les banquiers, on disait alors " les 
  usuriers ", étaient presque tous de religion juive ( tu savais peut-être déjà 
  que cette religion autorise le prêt avec taux d'usure ). C'est pourquoi la Culture 
  ( oui, bien sûr, avec un grand "C" péjoratif, au sens de la thc ) qui s'est 
  développée pendant tout le moyen-âge a malencontreusement assimilé les mots 
  "juif" et "banquier". Bien sûr, le fait que, pour tenter d'éliminer une secte 
  concurrente, les catholiques n'aient jamais cessé de dire que " Les juifs ont 
  assassiné le Christ " n'a pas beaucoup aidé les gens de cette époque qui dura 
  mille ans à se rendre compte que même si presque tous les usuriers étaient juifs, 
  il n'y avait presque pas d'usuriers parmi les juifs ! En effet, le sectarisme 
  ( j'utilise le mot " racisme " quand je parle de peuples ) développé par la 
  secte catholique contre la secte juive avait réduites les relations entre chrétiens 
  et juifs à leur plus simple expression : un chrétien n'allait, la plupart du 
  temps, voir un juif que s'il ne pouvait faire autrement, c'est-à-dire s'il voulait 
  lui emprunter de l'argent, avec, bien entendu, un certain taux d'usure ; c'est 
  ainsi que les chrétiens ne fréquentaient chez les juifs que les rares usuriers, 
  ils ne voyaient jamais les autres, les plus nombreux ; C'est ainsi que " le 
  juif ", parce qu'on ne voyait que celui-ci, devint " l'usurier ".
Je ne sais où tu en es de la thc ( théorie du concept ), alors je te rappellerai que la Culture se veut fixe. Elle fait tout pour ne pas changer, et ne change que si elle ne peut faire autrement. Quand Lafargue écrivit " le droit à la paresse ", le prêt avec taux d'usure n'était permis aux Chrétiens français que depuis quelques dixaines d'années, et la shoah n'avait pas encore eu lieue. De même qu'aujourd'hui les homosexuels eux-mêmes utilisent malheureusement comme injure les mots "PD" ou "enculé", à l'époque de Lafargue il devait être encore courant que, même chez les juifs, on aille " voir le juif " à la place d'aller " rencontrer le banquier ". Depuis cette époque, les banquiers non juifs se sont multipliés et, surtout, le choc de la shoah provoqua une prise de conscience généralisée quoique confuse. Aussi, et c'est heureux, aujourd'hui, il est considéré qu'assimiler juif et banquier, même si c'est , parait-il, seulement dans le langage, c'est de l'antisémitisme ( alors que pourtant c'est de l'antijuivisme : si l'on veut s'autoriser la critique des religions, il faut éviter la confusion entre peuple Hébreu et religion juive ). Mais on ne peut pas juger les gens, et Lafargue en particulier, en dehors de leur époque. A supposer que les gens soient faits pour être jugés, car comme le disait le petit Jésus : " Ne juge point si tu veux ne point être jugé " et aussi : " car avec la mesure dont tu jugeras, tu seras jugé ".
J'ai lu " Le droit à la paresse " de Lafargue en 1973. J'avais 20 ans ( à te lire, j'ai parfois l'impression que tu as 15 ans de moins que moi, est-ce que je me trompe de beaucoup ? ) et je fréquentais assez souvent des amis qui étaient à la " Ligue Communiste ". Rassure-toi, ma configuration quasi-génétique d'anarchiste-individualiste m'a toujours empêché de m'affilier à quelque parti que ce soit, même si, à l'époque, je ne savais pas encore ce que signifiait le mot anarchiste. Au début, j'ai dit à mes amis de la Ligue que je ne savais rien et que je n'étais donc pas "digne" de faire partie de la Ligue. Et c'était effectivement ma façon de penser. Mais plus tard, après avoir beaucoup lu et un peu vécu, quand j'ai finalement pensé que maintenant, j'avais les connaissances théoriques et pratiques suffisantes pour entrer à la Ligue, j'ai en même temps pensé que c'était la Ligue, qui n'était pas "digne" de moi. Oui, je sais, si tu regardes la Ligue d'aujourd'hui, tu te diras que pour faire mieux qu'elle, " y'a pas besoin de sortir de Saint-Cyr " ( autre expression qui ne vaut guère mieux que l'ancienne confusion linguistique entre " juif " et " usurier " ).
           
  Là où je veux en venir, c'est qu'à la Ligue, à cette époque, une des lectures 
  conseillées, c'était justement " Le droit à la paresse " de Paul Lafargue. Et 
  c'est comme ça que, de fil en aiguille, mes copains de la Ligue m'ont fait lire 
  ce bouquin. Ce qui est rigolo, c'est que déjà à cette époque, le chef de la 
  Ligue, c'était Krivine, qui est " juif ". Et que le Dieu des militants de la 
  Ligue, c'était Trotski. Qui est " Juif " lui aussi. Alors, si Lafargue est antisémite 
  au point où tu le dis, je ne comprends pas bien pourquoi la Ligue en conseillait 
  la lecture. A moins qu'il ne faille chercher l'explication ailleurs, préciser 
  qu'en fait, Krivine et Trotski n'étaient juifs ni l'un ni l'autre, puisqu'ils 
  étaient tous les deux athées, et que le mot "juif" ne désigne pas un peuple, 
  contrairement à ce qu'Hitler voudrait qu'on croit dans son " Mein kampf ", mais 
  une religion ( ce qui explique d'ailleurs qu'il y ait des juifs ashkénazes, 
  des sépharades, et même des juifs noirs, avec de surcroix tout le racisme, et 
  la hiérarchie implacable, dont tu as certainement entendu parler, entre ces 
  diverses catégories de juifs ). Cependant, ce n'est bien sûr pas la vraie explication, 
  puisqu'antisémite ne fait pas référence à la religion, mais au peuple ( ou même 
  aux peuples, puisque les arabes aussi, ce sont des sémites ).
             D'autant plus que 
  des " juifs ", il n'en manque pas, dans l'histoire de la révolution. Et pour 
  faire référence à un autre " juif ", ou plutôt à un autre descendant du peuple 
  Hébreu, Karl Marx a donné sa fille en mariage à Paul Lafargue, ce qui aurait 
  tout de même été assez inconséquent de sa part si Lafargue avait était aussi 
  antisémite, aussi raciste antihébreu, que tu le dis. Et si tu avais raison, 
  il faudrait aussi que tu m'expliques comment il se fait qu'un antisémite puisse 
  souhaiter épouser une sémite, et aussi comment il est possible qu'une sémite 
  puisse être assez stupide pour accepter d'avoir un antisémite virulent comme 
  époux. 
Amitiés anti-antisémites.
do
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