22 octobre 2000
A Belgrade, l'huile a grimpé de 15 à 51 dinars
La "démocratie" ne sera pas pour tous les porte-monnaie
A Belgrade, le litre d'huile a grimpé de 15 à 51 dinars, le pain de 6 à 14 et le sucre de 8 à 45. "Prix démocratiques", raillent des consommateurs déjà déçus. A Kragujevac, les syndicalistes de Zastava sont battus et pourchassés. Au même moment, la presse financière occidentale se réjouit des "bonnes affaires en vue". Enfin, un sénateur US menace déjà Kostunica d'élargir l'Otan à la Slovénie. Quels liens entre ces quatre faits?
Michel Collon
Nos médias ne parlent plus de la Yougoslavie. Pourtant, il s'y passe des choses importantes. Et révélatrices &
Auparavant, le gouvernement versait des subsides à la production des aliments de base. Les paysans et commerçants gagnaient donc assez, mais les consommateurs pouvaient acheter malgré l'embargo. Personne ne mourait de faim.
    
    Mais l'opposition DOS avait annoncé, dans son programme du "G-17", 
    que «le nouveau gouvernement supprimerait immédiatement 
    tous subsides, sans regret ni hésitation car il serait très difficile d'appliquer 
    cette mesure plus tard.»1 
    Effectivement ça n'a pas traîné! Le Los 
    Angeles Times du 15 écrit: «Lorsque 
    les partisans de Kostunica ont chassé les directeurs des magasins et usines 
    contrôlés par l'Etat, les remplaçant par leurs gens, ce système de contrôle 
    s'est effondré et les prix ont immédiatement grimpé. Les nouveaux directeurs 
    font vite afin de rendre leurs usines plus rentables.»
    Problème : les consommateurs 
    sont mécontents et il y a des élections dans deux mois. Alors, le directeur 
    du G-17, Mlajdan Dinkic, accuse & le gouvernement serbe, toujours dirigé 
    par les socialistes du SPS, de «vouloir créer le chaos». Mais l'argument 
    ne tient pas : ce gouvernement ne fonctionne plus à cause précisément 
    du chaos créé par DOS, ses violences de rue et ses "comités de crise" qui 
    s'emparent par la force du contrôle de toutes les institutions.
 «Nous allons pouvoir exporter en Yougoslavie»
Ainsi, 
    on voit déjà que la "prospérité" annoncée dans les promesses électorales ne 
    profitera pas à tous les porte-monnaie. Mais à qui alors ? Réponse du 
    supplément financier italien de l'International 
    Herald Tribune du 10 (L'Italie est le partenaire économique n° 2 de la 
    Yougoslavie) : 
    «Les perspectives semblent bonnes et les exportations 
    italiennes  — chaussures, textiles, 
    produits alimentaires — seront les premières à profiter de l'occasion. Mais 
    les privatisations en Yougoslavie pourraient aussi susciter les intérêts des 
    investisseurs étrangers. Beaucoup de secteurs publics — y compris l'énergie 
    et les aéroports — pourraient voir bientôt des licenciements et leur restructuration 
    donnerait de l'espace aux nouveaux capitaux étrangers.»
    C'est quoi "donner de l'espace" ? 
    Sur place, au moment du coup d'Etat, une amie, Radmila, m'avait avertie : 
    «Actuellement, notre électricité est 
    très bon marché. Des compagnies étrangères voudraient s'en emparer. Mais pour  
    investir, elles exigeraient des profits importants, donc de fortes 
    hausses des tarifs. Les gens ne comprennent pas que ce programme du G-17 les 
    ruinera !»
    A propos des exportations de 
    souliers italiens & Ayant oublié mes mocassins au pays, j'avais dû en 
    acheter  à Belgrade: 1.100 dinars. Trois fois moins que les italiennes 
    que j'achète habituellement. Peut-être un peu moins "chics", mais confortables 
    et solides. Que se passera-t-il avec le nouveau régime? Avec leur puissance 
    financière, les multinationales occidentales prendront le contrôle des usines 
    et ateliers yougoslaves, en fermeront une grande partie et les produits occidentaux 
    inonderont le marché local. L'Europe pourra se débarrasser de ses stocks alimentaires, 
    à prix imbattables puisque subsidiés par l'Union Européenne (tiens, dans ce 
    cas, les subsides, c'est bon ?). Des "vaches folles" et autres aliments 
    génétiquement trafiqués pourront alors nourrir les Serbes, de toute façon 
    trop nombreux n'est-ce pas ?
    Mais l'Ouest versera des aides, 
    nous dit-on. "Aides" ? L'Allemagne veut absolument rouvrir le Danube 
    et versera des fonds. Dons? Non, prêts. Pour tenir la Yougoslavie "assistée" 
    sous le chantage des remboursements, comme de nombreux autres pays forcés 
    par la spirale de la dette à des concessions toujours plus grandes.2 
    Bref, la Yougoslavie payera pour réparer les dégâts des bombardements! Scandaleux. 
    Et à quoi servira ce Danube nettoyé ? D'abord, à inonder le pays de marchandises 
    allemandes qui élimineront du marché les produits locaux.
    Bref, au lieu de la prospérité 
    promise, un éditorial du New York Times 
    du 15 prévoit que «au pire, l'économie yougoslave pourrait suivre la voie 
    russe vers la corruption et le déclin.»
 
Pourquoi 
    bat-on des syndicalistes ?
A 
    Kragujevac, les syndicalistes de l'usine automobile Zastava ont été séquestrés 
    et frappés par des bandes de l'ex-opposition, les responsables de la divison 
    camions étant forcés de démissionner. Le quotidien progressiste italien Manifesto (qui avait plutôt soutenu Kostunica) 
    s'indigne: «Ces syndicalistes étaient indépendants aussi bien de Milosevic 
    que de l'opposition. Ils relayaient les opérations humanitaires des syndicats 
    italiens. Mais les syndicalistes de l'opposition (formés en Roumanie par des 
    experts US) font pression sur les travailleurs en les menaçant de licenciements 
    massifs. "Nous nous sommes battus pour les travailleurs sans nous engager 
    dans la politique. Voilà notre crime." conclut l'un d'eux.»
    Tous ces faits sont liés. Pour 
    faire passer cette politique style FMI de hausse des prix, fermetures, licenciements 
    et cadeaux aux multinationales, il faut éliminer toute possibilité de résistance 
    syndicale ou de gauche. A Belgrade, un local du nouveau parti communiste a 
    été incendié par des milices  de 
    droite.
    Et si tout ça ne suffit pas, 
    écoutez la menace du sénateur américain Biden : «Si Monsieur Kostunica 
    pense pouvoir continuer une politique nationaliste serbe agressive sous des 
    apparences plus gentilles, alors nous devons le dissuader. Dans ce cas, nous 
    devrions concentrer notre politique en ex-Yougoslavie sur la préparation d'une 
    Slovénie démocratique et prospère pour le prochain élargissement de l'Otan.»3
    L'Otan, à nouveau ? Tiens, 
    on nous disait que le seul problème là-bas s'appelait Milosevic ! Et 
    si le problème c'était la résistance du peuple serbe en général à l'impérialisme 
    économique et aux ingérences militaires  
    de l'Ouest ? Kostunica — ou un autre bientôt - étant chargé de 
    mettre ce peuple au pas.
    La partie est loin d'être finie 
    en Yougoslavie. Beaucoup dépendra de la capacité de résistance des travailleurs. 
    Une alternative de gauche est indispensable, et des résistances se préparent. 
    Nous y reviendrons.
 
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