4 novembre 2000

 

Cher camarade

Je réponds avec beaucoup de retard à ton courrier de septembre.
Tu ne te souviens peut-être plus que je t’avais envoyé un article intitulé " de Millau à Cellatex… ", et peut-être n’as-tu plus en tête non plus la nature de ton courrier.
D’abord, je te remercie d’avoir fait paraître notre texte dans l’AG de ton site comme tu le signalais dans ta lettre.
Ton courrier soulève une foule de questions, car il y avait beaucoup de " PS ".

Je remarque d’abord que tu as beaucoup de flair, indépendamment de ta capacité à estimer la plus ou moins grande qualité du Roquefort depuis 30 ans. Oui, je le confesse : je suis trotskiste ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Je ne sais pas si je suis voué du coup, à porter la même étoile rouge que les militants syndicaux et politiques qui d’après toi, devraient être exclus de toute forme d’auto-organisation.
Ce que je t’assure, c’est que dans tel ou tel comité à l’avenir, aucun trotskiste ne t’excluera… sous prétxte que tu dois être un peu libertaire non ? (tu vois, moi aussi j’ai du flair !).

Ce qui m’impressionne dans ton courrier, c’est que, pour quelqu’un qui cite Sade, tu as des jugements un peu moraux sur toutes et tous (j’aime, je n’aime pas), qui ne font pas l’objet d’une démonstration (mais peut-être n’as-tu pas envie de convaincre), et qui souvent, paraissent un peu datés : " en décembre 86 ", la Ligue " en 73 ".
Ca ne permet pas forcément de beaucoup se comprendre ni d’avancer, de tisser les liens qui à juste titre selon toi, s’élaborent dans des mouvements comme Millau… ou grâce à des militants qui favorisent de fait les passerelles en créant des sites internet, dont ils font part dans le courrier des lecteurs de Rouge (ce qui me paraît très juste).

Le problème pour François et moi dans cet article n’est pas de porter une appréciation sur José bové, sur le mouvement anti-mondialisation en général, les Cellatex ou l’extrême-gauche, vis-à-vis de laquelle en tant qu’institution ne nous nourrissons guère d’illusions, pas plus que sur les élections d’ailleurs.

Le problème est d’essayer de comprendre par quels biais une conscience de classe nouvelle est en train de se tisser, indépendamment des leaders et des organisations, et comment des militants pourraient trouver les formulations, les outils politiques pour que cette conscience se renforce et devienne révolutionnaire. Nous pensons que des militants, organisés ou non, mais l’organisation dans la nature est une forme supérieure de la vie, pourraient contribuer à ce travail, par exemple en se servant du système démocratique bourgeois.

Tout le monde (ou presque) convient que depuis 10 ans, nous sommes entrés dans une période historique tout à fait nouvelle, mais en gros, les instruments de réflexion et d’action des révolutionnaires sont ceux qui ont été élaborés depuis des décennies. La génération qui constitue le gros des troupes organisées ou non du mouvement révolutionnaire fonctionne par automatisme. C’est ce qui entrave non seulement le dialogue entre militants, mais surtout, fait écran entre les travailleurs et les jeunes qui cherchent leur voie et la possibilité de politisation que représente le capital d’expérience des anciennes générations, qui pourrait être fort utile pour le travail d’émancipation de la nouvelle classe ouvrière. Quand je parle de capital d’expérience, je pense aux échecs et aux errements des révolutionnaires depuis 50 ans, mais aussi à tout le capital historique de 150 ans d’effort des classes opprimées pour se libérer, et plus largement à tout ce que l’humanité a produit comme effort scientifique et culturel pour dépasser sa propre existence.

Malheureusement, ton texte recèle beaucoup de ces automatismes, qui tournent vite aux jugements de valeurs et aux procès d’intention qui rendent difficile la discussion, mais surtout, qui je crois, ne nous aide pas beaucoup à comprendre ce qui se passe, et qui feraient fuir, aujourd’hui encore plus qu’hier les milliers de jeunes qui se posent la question " je ne veux pas d’un monde de marchandises, comment faire ? ", ou les travailleurs qui se disent " je ne suis pas un objet bon à jeter, comment faire pour défendre mes droits ? ". Il me semble que ce sont de ces questions qu’on devrait partir, quitte à oublier un peu notre propre histoire, parce qu’on a un peu de mal à la porter, qu’on soit trotskiste, anarchiste ou marchand de Roquefort.

Je te remercie encore d’avoir fait paraître notre texte et de ton courrier.

Fraternellement

laurent

 

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