22 aout 2008

AFGHANISTAN

Sarkozy et le médiamensonge afghan

Les "Talibans" coupent-ils la main des femmes qui mettent du vernis à ongles ?

http://mai68.org/ag/1440.htm
http://cronstadt.org/ag/1440.htm
http://kalachnikov.org/ag/1440.htm
http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2008-08-29%2010:27:32&log=attentionm
Source

Afghanistan : Dieu n'est pas sympathique et Sarkozy raconte des salades

Un précédent billet avait pour objet – je le précise car il se peut que les intentions de l'auteur ne soient pas assez limpides pour d'aucuns – de mettre en évidence d'une part l'absurdité de la guerre aux relents de croisade menée sous de fallacieux prétextes par l'Occident coalisé en Afghanistan, et d'autre part l'exploitation éhontée de la mort de dix soldats français par l'über-président pétainiste qui occupe actuellement le Palais de l'Elysée.

Coupable négligence : l'usage que ce personnage fit d'un énorme mensonge, d'une intox crapuleuse, n'a pas été mis en évidence.

Or, je vous le rappelle : « il n'y a pas  à  réagir aux nouvelles du jour, mais à  comprendre chaque information comme une opération dans un champ hostile de stratégies à  déchiffrer, opération visant justement à  susciter chez tel ou tel, tel ou tel type de réaction ; et à  tenir cette opération pour la véritable information contenue dans l'information apparente. »

Il convient donc de réparer séance tenante cet oubli coupable.

Au cours de l'allocution prononcée par Nicolas Sarkozy à  Kaboul, où il s'était précipité aussitôt connue la nouvelle que dix soldats français avaient été tués au combat (autant par l'incompétence de leurs chefs que par les Talibans, murmurent d'aucuns dans les rangs de l'armée [1]), le Président français a évidemment ressorti la fable selon laquelle quand les Occidentaux, Américains en tête, débarquent dans un pays lointain avec leur quincaillerie guerrière, c'est pour le bien des populations locales.

Pour donner à  ce mensonge plus de consistance, plus de relief, et pour désarmer autant que possible tout esprit critique, Sarkozy a eu recours à  la vieille ficelle de la diabolisation de l'ennemi : les Talibans c'est même pas des humains, ils sont barbares et même démoniaques. Et si on les laisse faire en Afghanistan un jour ou l'autre ils défileront sur les Champs-Elysées et vous infligeront le même sort qu'aux pauvres Afghans. Et surtout aux pauvres Afghanes.

TOUTE LA MISERE FÉMININE DU MONDE

Car Sarkozy, c'est connu, aime les femmes, surtout quand elles sont victimes de violences. Quand il entend parler de cette horreur, son petit coeur se serre. Pendant la campagne pour l'élection présidentielle, il avait déclaré : "A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française".

Evidemment, par la suite, il s'était rendu compte de l'énormité de la connerie qu'il avait dite (relisez bien la phrase, et imaginez une seconde les conséquences s'il s'avérait que ce soit autre chose que démagogie chimiquement pure !).

Il avait donc promptement précisé que les dossiers de celles qui voulaient non pas "devenir françaises" (elles n'en demandaient pas tant) mais simplement avoir un titre de séjour seraient examinés "au cas par cas" (expression qui est un euphémisme pour "classement vertical", expression qui elle-même est une abréviation de "qu'est-ce qu'elles ont à  me faire chier toutes ces bonnes femmes ?" ou encore de "casse toi pauv' conne").

Donc, il les aiiiimeeeeeeeuuuu d'un amour sincère, surtout quand elles peuvent lui faire gagner des voix, mais faut pas quand même qu'elles se ramènent en France pour chercher asile et protection...

D'ailleurs, pour pouvoir demander des papiers en France encore fallait-il qu'elles parviennent à  franchir la frontière, ce que les cerbères aux ordres de Sarkozy s'emploient à  empêcher par tous les moyens. Remarquez, elles peuvent aussi aller faire une demande d'asile à  l'Ambassade de France à  Mogadiscio (son : Radio-France International), par exemple.

On peut donc poser comme un principe acquis que pour Sarkozy, le candidat d'hier comme le Président d'aujourd'hui, le sort des "femmes martyrisées dans le monde" n'est qu'un prétexte à  sirupeuse propagande démagogique, un des très nombreux sujets sur lesquels il a menti, il ment et il mentira.

Qu'a-t-il dit de plus qui achèvera de vous en convaincre dans son hommage feint aux dix soldats français tués en Afghanistan ?

LE VERNIS CRAQUE

"On ne peut pas discuter avec des gens qui coupent la main d'une femme parce qu'elle a mis du vernis à  ongles", dit-il.

Sarkozy avait déjà  utilisé cette histoire dans un discours en mai dernier, pour justifier l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan.

Or, il s'agit d'un exemple typique de mensonge, orchestré à  l'origine par le "spin doctor" en chef de Tony Blair, Alastair Campbell, l'homme qui avait, entre autres nombreuses manipulations grossières, inventé la fable des armes de destruction massive irakiennes qui pouvaient soi-disant être déployées pour frapper Londres en 45 minutes. Une histoire du même tonneau que celle, auparavant, des nourrissons arrachés aux couveuses et jetés au sol par les soudards de Saddam Hussein dans une maternité du Koweit.  Bullshit, ou plutôt bushshit !

Les montages grossiers d'Alastair Campbell pour tromper la presse, les opinions et les parlementaires lui avaient dans un premier temps valu le surnom de "Ali le cynique", puis l'avaient contraint à  la démission, contribuant à  la chute d'un Blair largement discrédité.

Rien là , évidemment, qui puisse dissuader Sarkozy de se servir des vieux mensonges cuits et recuits concoctés par l'ancien "spin doctor" néo-travailliste.

L'histoire des femmes aux ongles vernis martyrisées par les Talibans prend semble-t-il naissance – a relevé Christian Salmon [3] – dans un rapport d'Amnesty International de 1997. C'est une donnée de base, tout mensonge doit contenir une part, minime, de vérité.

Dans ce rapport d'Amnesty International, cité par Christian Salmon, était rapporté ceci :

Dans un cas au moins les châtiments infligés ont pris la forme d'une mutilation. En octobre 1996, des talibans auraient sectionné l'extrémité du pouce d'une femme dans le quartier de Khair Khana à  Kaboul. Cette "punition" avait apparemment été infligée à  cette femme car elle portait du vernis à  ongles.

Lisons attentivement la prose d'Amnesty, organisation connue pour son côté précautionneux.

  • "Un cas au moins" : cela veut dire qu'Amnesty n'a eu connaissance que d'un cas. Dans le cas contraire ils écriraient évidemment "deux cas au moins" ou "douze cas au moins". Mais non : il n'y en a qu'un. C'est trop,  si c'est vrai. Mais c'est quand même pas beaucoup en regard de l'utilisation qu'on en a fait ensuite. Rien ne démontre que ce cas isolé soit représentatif de l'ensemble d'une pratique politique.
  • "des talibans auraient" : cela veut dire que les auteurs n'en sont pas vraiment sûrs, et que donc vraisemblablement ils rapportent une rumeur. Sinon, il écriraient "des talibans ont...". Donc ils n'en ont pas été témoins directs, ils rapportent des témoignages. Directs ? Indirects ? On ne sait, mais en tous cas ils utilisent le conditionnel, ils n'écrivent pas par exemple "selon des témoignages concordants et dignes de foi", comme probablement ils l'auraient fait s'il avaient été un minimum sûrs de leur coup...
  • "apparemment" : les raisons de la "punition", si l'histoire est vraie, on ne les connaît en réalité pas : l'usage du mot "apparemment" ne fait que confirmer le caractère vague des témoignages ou de la rumeur.
En un mot comme en cent, ce rapport d'Amnesty, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'a pas l'air – du moins sur ce point précis – d'être en béton.

Selon le même procécé, mais sur des bases bien plus solides puisqu'il ne s'agit pas de rumeurs, je pourrais par exemple affirmer qu'en France les policiers éborgnent les jeunes en leur tirant intentionnellement au flashball dans le visage, et y voir la preuve du caractère moyenâgeux du régime liberticide au pouvoir dans ce pays, tombé aux mains de barbares à  peine humains contre qui il s'impose de prendre les armes. Il est évident que "On ne peut pas discuter avec des gens qui crèvent les yeux de jeunes qui ont le malheur de manifester contre le gouvernement...". Ca sonne pas mal, hein ? Quand est-ce qu'on envoie des troupes pour protéger les jeunes Français qui veulent manifester pacifiquement ?

Cette histoire, au demeurant ancienne, de mutilation pour cause d'ongles vernis, a donc toutes les chances d'être un bobard, ou au pire un cas isolé et d'ailleurs incertain.  Mais c'était parfait pour construire un récit de propagande pure en faisant appel à  l'émotion et non à  la raison (c'est une des bases du métier).

Et cela n'avait pas échappé à  Alastair Campbell, qui à  l'époque collaborait très étroitement avec Karl Rove, le conseiller de George W. Bush chargé des "coups tordus" à  la Maison Blanche. "La même "story" fut diffusée à  Washington et à  Londres, en suivant des scénographies identiques, allant parfois jusqu'à  utiliser les mêmes phrases". Par exemple, le 17 novembre 2001, Laura Bush [4] déclare : « Seuls les terroristes et les talibans menacent d'arracher les doigts qui ont des ongles vernis », et de ce côté de l'Atlantique [5] Cherie Blair déclare le lendemain, comme un écho à  la voix de son maître, "En Afghanistan, si vous avez du vernis à  ongles, vous pouvez avoir les ongles arrachés".

Ils se sont donc employés à  faire circuler cette histoire par tous les moyens, notamment sur l'Internet, de sorte que depuis plus de 10 ans on en trouve diverses versions, comme l'illustre la différence des propos de Laura bush et de Cherie Blair.  Tantôt la victime est une fillette de 10 ans et tantôt une femme, tantôt on lui aurait "seulement" arraché les ongles et tantôt ce sont tous les doigts qui ont été sectionnés, tantôt c'est carrément toute la main...

C'est donc – on ne se refait pas – cette version maximaliste de la fable que Sarkozy a faite sienne.

Les méthodes qu'utilise Sarkozy en 2008 pour tromper l'opinion et exploiter au profit de la seule chose qui l'intéresse vraiment – lui-même – l'émotion suscitée par la mort de dix soldats envoyés à  une mort inutile et stupide, sont celles qu'avait  inauguré Ronald Reagan avant même d'arriver à  la Maison Blanche.  Ce n'est donc pas hier.

Ce sont celles qui ont été utilisée pour "vendre" la guerre d'agression contre l'Irak aux parlements et aux peuples occidentaux. Ce sont celles qui pareillement préparent le désastre que nous n'allons pas manquer de connaître en Afghanistan, où la politique américano-otanesque prépare activement les générations de terroristes du futur.

En Grande-Bretagne, ces procédés ont conduit les "post-travaillistes" du "New Labour" à  subir un discrédit pratiquement généralisé dans la population, quel que soit le sujet abordé. Sarkozy a déjà  commencé à  subir le même sort, mais ne semble pas pour l'heure en tirer le moindre enseignement.

Il est vrai que la France connaît cette singularité, également soulignée par Christian Salmon dans son excellent petit livre "Le Verbicide - du bon usage des cerveaux humains disponibles[6], que ses plus grands groupes de presse sont détenus par des marchands d'armes parmi les plus puissants du complexe militaro-industriel, Lagardère et Dassault. Ils n'ont rien à  refuser à  Sarkozy, qui le leur rend bien.

Serge Dassault [7] n'a jamais dissimulé sa volonté de se servir des média qu'il contrôle pour propager ce qu'il appelle "des idées saines".  Comme on vient de le voir, Sarkozy lui donne un solide coup de main.

A SUIVRE...

 


[1] Les armées de nos jours, mon bon monsieur, c'est rien que des tafioles qui s'émeuvent dès qu'ils voient un peu de sang. Des fonctionnaires qui attendent l'âge de la retraite. Faut dire qu'on leur a raconté qu'on pouvait faire la guerre sans avoir de victimes dans notre camp... Ah, de mon temps, dans les tranchées de Verdun, c'était autre chose...
[2] discours du 29 avril 2007 lors du meeting de Paris-Bercy (source : Le Monde)
[3] Le Monde - 3 mai 2008
[4] Elle-même épouse d'un extrémiste religieux, il ne faut jamais l'oublier
[5] Si on peut dire, car en fait on ne sait en réalité par très bien sur quelle rive de l'Atlantique se situe la Grande-Bretagne
[6] Editions Climats - 2005
[7] dont le titre-phare, "Le Figaro" est maintenant appelé "La Pravda" dans le milieu journalistique parisien.

 


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