Vu de Suisse, les journalistes français ont un sérieux problème d'indépendance.
Interview avec deux responsables de la TSR.
(Du Touquet) La productrice Anne-Frédérique Widmann est un peu éberluée quand elle évoque les relations des journalistes français avec l'Elysée, sujet qu'elle connaît bien pour avoir réalisé une enquête sur la libération des infirmières bulgares aux conclusions très éloignées du bruit médiatique français.
Comme Rue89, la Télévision suisse TSR (« Romande » vient de disparaître de son nom officiel) est partenaire du Figra, et y fêtait cette année les quarante ans de sa célèbre émission d'investigation « Temps présent ».
Elle s'est fait connaître en Suisse par ses enquêtes sur des pollutions industrielles, les fonds juifs en déshérence dans des banques locales, l'infiltration d'Attac par une entreprise de sécurité payée par Nestlé...
Le directeur des programmes de la chaîne, Gilles Pache, était également présent. Le ton des deux journalistes est presque consterné quand ils évoquent les relations de leurs confrères français avec les dirigeants de notre grande démocratie.
Anne-Frédérique Widmann, qui prépare même une enquête sur ce sujet de curiosité, a constaté de la « peur » chez certains journalistes français qu'elle souhaitait interroger.
« La Suisse n'est pas un pays de personnalisation du pouvoir »
On peut comprendre leur consternation quand on voit dans quelle indépendance ils travaillent chez eux. Gilles Pache l'affirme :
« En Suisse romande, radio et télévision publiques bénéficient d'une très grande indépendance du pouvoir politique.
Il y a des pressions, et c'est normal : on ne fait pas de journalisme sans qu'il y ait des pressions. Mais il n'y a pas de levier direct qui permettrait d'exiger la tête d'un directeur, ni de la radio, ni de la télé. »
Au tour du journaliste français d'être éberlué. Une question me taraude : mais pourquoi ? Elément de réponse de Gilles Pache : « La Suisse n'est pas un pays de personnalisation du pouvoir. » (Voir la vidéo).
L'interview devient presque cocasse quand on demande aux deux journalistes suisses s'ils constatent des différences lorsqu'ils traitent les mêmes sujets que leurs confrères français.
Fin 2007, Anne-Frédérique Widmann a signé avec Marie-Laure Widmer Baggiolini une enquête titrée « Infirmières bulgares : le grand marchandage ».
« La France et la Libye nous ont traitées de la même manière »
Conclusion du travail des deux Suissesses : contrairement à ce qu'ont affirmé la plupart des médias français, Nicolas et Cécilia Sarkozy ne sont pas les principaux acteurs de la libération des infirmières. Il s'agit en fait de diplomates, notamment ceux de la Commission européenne.
Pour elle, globalement, les médias français n'ont pas fait leur travail :
« Les médias français sont excellents, mais une partie des journalistes se contentaient peut-être trop de sources proches de l'Elysée ou du Quai d'Orsay. »
Les journalistes de la TSR ont évidemment cherché à contacter les autorités françaises pour leur enquête. Mais à leur grand étonnement, elles n'ont même pas reçu de réponse de l'Elysée :
« Ça nous a d'autant plus étonnées qu'on était aussi en relation avec la Libye, qui n'est pas un régime connu pour sa transparence et son ouverture à l'égard des médias, et finalement, c'était le même comportement. »
Les deux Suissesses se sont fait cette réflexion : « Nous nous sommes dit que c'était sans doute difficile de travailler pour les journalistes, aujourd'hui en France. » (Voir la vidéo).
Photo : Anne-Frédérique Widmann et Gilles Pache, de la Télévision suisse (TSR)