24 décembre 2000

L'édito du journal "U TARAVU" de décembre".
Bonnes fêtes de fin d'année à tous
U Taravu

 

UNE AVANCEE VERS LE PASSE ?


Un document confus, à la limite de la lisibilité, daté du 9 décembre 2000, exprime « l'avis de l'Assemblée de Corse sur l'avant-projet de loi modifiant et complétant le statut de la Collectivité Territoriale de Corse » publié par le Ministère de l'Intérieur (fin novembre 2000). Nous venons de franchir une étape supplémentaire du processus initié par les rencontres de Matignon. Même s'il s'agit simplement d'un avis et d'un avant-projet de loi, c'est un texte, une base concrète qui fixe des idées  noir sur blanc » et limite donc le champ des interprétations. Que faut-il alors penser du processus de Matignon à ce stade ? Rappelons-nous la tempête de protestations, à peine calmée aujourd'hui, soulevée par les ultra-jacobins français qui hurlaient au séparatisme. Et comme un écho fidèle de ces protestations, rappelons-nous cette cassure dans notre classe politique locale, cassure immédiatement suivie d'un quasi-consensus, aussi surprenant que soudain. Souvenons-nous aussi de ce duel spectaculaire, voire granguignolesque, qui opposa le gentil Jospin (à notre gauche ou à notre droite) et le méchant Chevènement (à notre droite ou à notre gauche.) Aujourd'hui le contenu des propositions de Matignon, débarrassées de tous les artifices d'annonce qui les ont accompagnées, est plutôt décevant, banal en général, mais surtout inquiétant par certains aspects. Décevant, car les seules mesures pouvant réellement apporter un changement au statut de la Corse, celles qui ont trait au pouvoir législatif, sont renvoyées au lendemain des élections, présidentielles et législatives, françaises. Au mieux, il faudra donc attendre de connaître le nouveau Président de la République, et le nouveau Parlement français, pour se faire une opinion. Au pire, tout cela est conçu comme un argument électoral - genre : j'ai réglé le problème corse. - de la campagne présidentielle qui est déjà bien entamée sur le continent. La deuxième impression que suscite la lecture de ces deux textes est la banalité. Le sentiment d'avoir entendu et lu ses déclarations des dizaines de fois. Une impression pénible d'un débat d'élus, pressés de rendre des comptes à leur clientèle électorale, mais finalement peu préoccupés de prospectives à moyen et long terme. Fiscalité et programme d'investissements, vision restreinte du tourisme et de l'agriculture - il est à ce titre intéressant de comparer les places qu'occupent l'un et l'autre dans ces deux textes : sanction de l'évolution numérique de l'électorat ? - à titre d'exemple le commerce de détail est cité comme activité éligible aux aides concernant le développement de l'intérieur mais l'avant-projet de loi a « oublié » les activités liées à l'agro-alimentaire ! Une autre impression se dégage à la lecture, celle d'un retour en force du tourisme dans le projet de développement. C'est à ce stade que ce projet présente des aspects coordonnés, et même une vraie cohérence lorsqu'on le replace dans le contexte des derniers mois (annulation des arrêtés Miot en particulier : mesure destinée à « fluidifier le marché du foncier » comme le déclarait un politicien remarquable par ses bretelles et son cigare), qui lui donnent une tournure inquiétante. Cette inquiétude fait même froid dans le dos lorsque est évoqué le sort du littoral et du patrimoine foncier en général.  Il s'agit là d'un vrai recul, un bond de plusieurs dizaines d'années en arrière. Exit la loi littoral, très imparfaite, mais constituant quand même la seule défense existante - dans le domaine légal en tout cas - contre la spoliation de notre patrimoine, conséquence logique d'une spéculation de haute volée mettant en jeu des masses financières irrésistibles. Exit la liste d'espaces protégés, sur le littoral en particulier, établie par des instances scientifiques (voir dans ce numéro, la lettre ouverte du collectif pour la « loi littoral »), et donnée à remanier à la future Assemblée de Corse : pour certains initiés bien informés il est déjà possible d'associer des projets immobiliers très achevés à certains de ces sites « libéralisés »... Faut-il voir dans ces dispositions la raison du revirement soudain de certains élus initialement opposés au processus ? Cet aspect de l'avant-projet de loi, discrètement glissé dans le « paquet Matignon » a fait l'objet d'un seul amendement, proposé par Corsica Nazione, et largement rejeté par l'Assemblée Territoriale. Nous voila donc rejeté plusieurs dizaines d'années en arrière. Parions qu'à ce rythme, nous allons bientôt reparler du tout-tourisme comme voie unique du développement de la Corse. La Corse a su préserver ses paysages et ses rivages de l'immobilier sans frein, et ce n'est pas une mince victoire lorsqu'on voit ce qui reste de la Côte d'Azur en France où des Iles Baléares. Cette victoire est le résultat d'une mobilisation de longue haleine mettant en oeuvre tous les moyens possibles, légaux ou non. Gardons nous de porter un jugement sur telle ou telle méthode utilisée mais force est de constater qu'elles ont été globalement efficaces. Et ce ne sont pas les spéculateurs plus ou moins honnêtes, aux moyens financiers plus ou moins blanchis, qui ont ces espaces préservés dans leur collimateur, qui vont nous contredire. Car paradoxalement, sur le marché spéculatif touristico-immobilier, la Corse est, potentiellement, encore plus rentable qu'avant, plus intéressante que tous ces espaces méditerranéens déjà surexploités. Sommes-nous en train de revenir au point de départ ?


Ajaccio le 20 décembre 2000.

 


 

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