24 janvier 2001
1939–2001 - Kabila: une vie sous le signe de la libération de l’Afrique
L’héritage de Lumumba
Agé d’à peine 25 ans, Kabila est l’un des dirigeants de l’insurrection nationaliste au Congo.
En 1961, les gouvernements belge et américain font assassiner Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo, alors que le pays vient d’accéder à l’indépendance (juin 1960). Quelques années plus tard, Kabila figure parmi les dirigeants d’une insurrection dirigée contre les tentatives de la haute finance belge et américaine de garder le contrôle des immenses richesses congolaises. En 1965, il rencontre Che Guevara, qui note dans son journal: «Sans aucun doute, Kabila est le seul d’entre eux (les dirigeants nationalistes congolais, ndlr) qui ait à la fois un cerveau clair et une capacité de raisonnement développée, une personnalité de dirigeant. Il s’impose par sa présence (…) il est habile dans ses relations directes avec la population; en somme, c’est un dirigeant capable de mobiliser les masses.»1
En 1967-68, grâce à l’intervention de paras belges et soldats américains, Mobutu, le dictateur mis au pouvoir par Washington, va noyer la révolte dans le sang. Entre-temps Kabila fonde en 1967 un parti marxiste-léniniste, le Parti de la Révolution Populaire (PRP). Il se retire avec quelques fidèles dans un maquis de la région de Fizi-Baraka, dans l’Est du Congo.
Kabila visite la Chine et la Corée du Nord. En 1979, il assiste au congrès de fondation du Parti du Travail de Belgique, où il est le seul observateur étranger. La même année, il est l’un des témoins d’une séance d’audition à propos des crimes de Mobutu. Pierre Galand, actuel président du CNCD (11.11.11) se souvient d’avoir été fortement impressionné par «ce petit homme en sandales qui était le seul à donner une analyse profonde et structurée de l’administration de Mobutu.»
Kabila est le seul survivant important de la lutte des années 60 à ne s’être jamais laissé acheter par Mobutu. En 1991, il refuse de participer à la Conférence nationale souveraine, installée par Mobutu: «elle n’est rien d’autre qu’une opération de récupération, soutenue sinon initiée par les Occidentaux pour contraindre le régime à évoluer, en évitant tout changement révolutionnaire.»2
Dans cette période très difficile, Kabila travaille sous le manteau, comme commerçant, ce qui lui permet de voyager à travers toute l’Afrique. Cela lui fournit des contacts avec des gens comme Museveni (Ouganda), Nyerere (Tanzanie) et d’autres. Grâce à ces contacts, il se retrouve en 1996 à la tête de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL). En 1997, il réalise son grand rêve: libérer le Congo des griffes de Mobutu.
1 William Galvez, Le rêve africain du Che, EPO, 1998, p.35 • 2 Colette Braeckman, L’enjeu congolais, Fayard, 1999, p.107.
Photo - Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant, assassiné sur ordre des gouvernements belge et américain, presque jour pour jour quarante ans avant Kabila. (Photo archives)
La libération du Congo
La révolte qui éclate en automne 1996 dans l’Est du Congo reçoit un important soutien militaire de l’Ouganda, du Rwanda et de l’Angola qui, chacun, ont leurs propres vues.
Partout où il passe, Kabila, porte-parole de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération, enflamme la population par ses discours. La chute de Kisangani, à la mi-mars 1997, constitue une victoire importante. Les insurgés, sous la direction de Kabila, ont repris les symboles de la lutte de Lumumba. Ils se trouvent dans cette ville qui a joué un rôle important durant la lutte pour l’indépendance des années 60. Des milliers de jeunes enthousiastes rallient les troupes de Kabila. La libération du Congo est devenue une affaire congolaise.
Les combats sont pratiquement terminés. Les soldats de Mobutu s’enfuient, généralement poursuivis par la population. Lorsque Kabila entre dans Kinshasa, il est accompagné de 47.000 Congolais qui l’ont rejoint tout au long de sa marche vers la capitale. Entre-temps, Washington, Paris et Bruxelles travaillent à un compromis entre Kabila et Mobutu afin de conserver le contrôle du pays. Le 8 avril 1997, Kabila reçoit un coup de fil de l’actuel président sud-africain, Mbeki, qui, en compagnie de Mandela, négocie avec Mobutu sous l’œil vigilant des Américains.
Kabila raconte: «Il m’a dit qu’ils étaient à la composition d’un gouvernement de transition avec les mobutistes, l’Alliance et l’opposition. J’ai répondu que nos délégués étaient là pour négocier le départ de Mobutu et de ses partisans et que les discussions sur le gouvernement de transition devaient se faire après qu’ils aient cédé le pouvoir, et pas avant. Ce sera un gouvernement sans mobutistes.»1
Une semaine plus tard, le même Mbeki, paniqué, explique à un conseiller de Mobutu: «Kabila commence à prendre de l’aile depuis ses dernières victoires à Lubumbashi. Il devient de plus en plus arrogant et de plus en plus exigeant. Plus le temps passe et plus nous perdons le contrôle de Kabila.»2
1 Le Peuple, 09 avril 1997 • 2 N’Gbanda, p.288.
Un projet pour que l’Afrique ne soit plus «pillée et humiliée»
En mai 1997, Kabila arrive à Kinshasa. Il sait qu’il ne doit pas s’attendre à beaucoup de soutien de la part de l’Occident.
La grande Conférence des amis du Congo, en décembre 1997, est un coup d’épée dans l’eau. Les pays occidentaux n’acceptent d’ouvrir leur portefeuille que si le Congo normalise ses relations avec le Fonds monétaire international: en réglant l’énorme dette de 645 milliards de FB (18,75 fois le budget annuel des autorités).
Durant cette brève période, toutefois, le nouveau gouvernement réalise déjà beaucoup de choses. La population est délivrée des incessantes tracasseries des soldats de Mobutu. 67 membres de la nouvelle armée sont d’ailleurs arrêtés pour avoir racketté des commerçants et pillé des maisons1. Les prix des denrées alimentaires commencent à baisser et l’inflation, encore de 8.828% pour l’année 1993, n’est que de 6% en 1997. La corruption est sévèrement combattue.
Mais le Congo libéré est victime d’un boycott bien réel. Ed Marek, ancien collaborateur des services secrets américains, indique: «Les sanctions qui ont été imposées à la République démocratique du Congo par la communauté internationale contrôlée par les Etats-Unis, ont effectivement coupé le pays de tout espoir d’un développement économique.»2 Cela n’empêche pas le gouvernement d’élaborer en trois mois un ambitieux plan triennal de reconstruction.
Kabila nourrit une vision clairement nationaliste et anti-impérialiste de l’avenir du Congo. Au troisième sommet de la Conférence du Marché commun de l’Afrique de l’Est et du Sud, qui se tient le 29 juin 1998 à Kinshasa, il explique que, depuis plus de trente ans, «l’indépendance africaine offre au monde le triste spectacle d’un continent pillé et humilié avec l’aide de ses propres fils». Il exprime le souhait «de voir l’Afrique entrer dans le 21e siècle totalement indépendante du monde extérieur». Il déclare également que la lutte pour l’indépendance et la souveraineté du Congo se fait dans l’intérêt du continent tout entier: «Notre pays a une vocation, celle d’exporter la paix, la sécurité et le développement. Un Congo faible signifie une Afrique vulnérable en son centre, une Afrique sans cœur.»3
Aucun observateur n’y croyait. Mais un an après le début de la reprise en main de la destinée du Congo par Kabila, le 30 juin 1998, l’ancienne monnaie zaïroise, symbole de trente années de corruption et de misère, est remplacée par le franc congolais.
1 Reuters, 2 septembre 1997 • 2 NCN, 24 juillet 1998 • 3 ACP, 1er juillet 1998.
Photo -Laurent Kabila en 1961, au Caire, alors qu’il est déjà un dirigeant lumumbiste. (Photo archives)
La guerre: 2,3 millions de victimes
Une nouvelle guerre éclate début août 1998. Alors que, fin juillet, Kabila se trouve à Cuba, des militaires rwandais fomentent un coup d’Etat.
Kabila flaire le danger et, de retour à Kinshasa, déjoue le traquenard.1 Il demande aux soldats rwandais de quitter le Congo immédiatement. Le 2 août, des militaires rwandais sèment la panique et tentent d’assassiner Kabila. Le 3, les troupes fidèles à Kabila ont la situation sous contrôle. Au même moment, une révolte éclate dans l’Est du Congo. Le lendemain, 500 soldats de l’armée rwandaise atterrissent 2.500 km plus loin, à la pointe occidentale du Congo, à proximité de la base militaire de Kitona.
Très vite, il devient évident que les Etats-Unis sont le cerveau de l’opération. Deux cents militaires noirs américains sont installés au Kivu et gèrent le système de communications des rebelles. Le raid sur Kitona est coordonné par deux navires de guerre américains ancrés au large de l’embouchure du fleuve Congo.2
Pour Washington, l’enjeu est de taille. Le sous-sol du Congo est riche en minerais et matières premières dont certains sont d’une importance incalculable pour les technologies de pointe: or, diamant, cuivre, manganèse, zinc, tungstène, bauxite (aluminium), tantale, etc. Le coltane congolais, volé dans les territoires occupés, permet la prolifération chez nous des gsm. Il ya aussi trois grands gisements de pétrole, dont un seul est exploité pour l’instant. Et le potentiel agricole du Congo pourrait en faire le grenier de toute l’Afrique centrale.
Vis-à-vis du gouvernement nationaliste du Congo, les Etats-Unis utilisent une double stratégie. Pousser Kabila à faire des concessions à la prétendue opposition démocratique, afin de l’isoler au sein d’une vaste coalition. Et l’option militaire, via leurs «amis» africains.
Jusqu’à présent, la guerre et ses conséquences sociales ont fait 2,3 millions de victimes. Mais pour les stratèges américains, ce n’est nullement une raison pour exiger le retrait des troupes étrangères au Congo.
1 Agence de presse D.I.A. Internationale, 5 août 1998 • 2 Colette Braeckman, L’enjeu congolais, Fayard, 1999, pp.353 et 402-404.
Victoires militaires et diplomatiques
En 1998, les Etats-Unis s’attendent probablement à un renversement rapide du gouvernement Kabila. La guerre sera de longue haleine.
Août 1998. De Kitona, à l’extrême ouest du Congo, les rebelles font route sur Kinshasa. Ils s’emparent de la centrale électrique d’Inga et enserrent la capitale dans un étau. Kabila convainc la population qu’il ne s’agit pas d’une rébellion, mais bien d’une agression menée par deux pays voisins. Durant un discours télévisé devenu légendaire, il prépare son peuple à une guerre populaire de longue haleine.
Il convainc aussi le Zimbabwe et l’Angola de combattre à ses côtés dans cette guerre qui vise à étouffer dans l’œuf le projet indépendantiste en Afrique centrale. Mugabe, le président du Zimbabwe, a l’occasion ainsi de se venger de l’humiliation subie en 1990, lorsque les mesures du FMI ont tranché dans le vif son exemplaire système médical et d’enseignement. Dos Santos, le président angolais, espère de son côté se débarrasser pour de bon de l’Unita, l’armée créée par la CIA et l’Afrique du Sud, et bénéficaire du soutienbienveillant de Mobutu.
L’encerclement et l’attaque de Kinshasa échouent grâce à l’intervention héroïque de la population des quartiers populaires qui affronte les rebelles pour ainsi dire à mains nues.
Un préalable: le retrait du Rwanda et de l’Ouganda
Dès lors, la guerre est menée sur deux fronts: diplomatique et militaire. La nouvelle armée congolaise engrange deux victoires sur le terrain. Une pression s’exerce toutefois sur Kabila afin qu’il entame le dialogue avec la soi-disant «opposition démocratique» et les rebelles. Mais Kabila est clair: on ne peut commencer à discuter que si le Rwanda et l’Ouganda se retirent.
L’accord de Lusaka, signé en août 1999, nie le droit au Congo de défendre sa souveraineté et reconnaît un rôle central aux rebelles qui, pourtant, ne jouissent d’aucun soutien de la part de la population. En novembre 2000, Kabila obtient une importante réadaptation de l’accord de Lusaka.
Kabila parvient aussi à apporter la paix au Burundi, en mettant sur pied une rencontre entre le président Buyoya et le chef des rebelles burundais. Des négociations sont prévues à Nairobi entre militaires congolais et burundais pour établir un cessez-le-feu et permettre aux seconds de se retirer du Congo.
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