5 mars 2001

 

Bonjour,


Tête de liste de Mauves ( voir http://www.mauves.org ), la
bouillonneuse Geneviève Pastre a écrit cet édito très important :


 l'enfant n'a toujours pas le droit de s'exprimer sur lui-même, car on
force l'hypocrisie au niveau du sexe. Les parents s'arrogent tous les
droits sur leurs enfants et la société les prend en otage d'un discours
puritain.
 Cette situation se doit absolument d'évoluer.


On ne peut qu'avoir la nausée devant le spectacle que nous offrent les
médias de cette autre planète - sur cette planète invisible de la
terre, peut-être parce qu¹elle en est trop près - ce soir, 22 février,
veille du jour de l'ouverture officielle de la campagne des municipales
: un présentateur, de l'air d¹un inquisiteur austère, cuisinant Daniel
Cohn-Bendit au sujet de sa prétendue "pédophilie".
 Ce dernier toujours pétulant, généreux, bouillant bien qu'un peu
assagi, était atterré par cette tentative de déstabilisation
ignominieuse. 

Moins par l'attaque personnelle que par ce qu'elle révélait d'une état
d¹esprit général - l'apparition des méthodes les plus nauséeuses que
les habitants de cette planète aient pu inventer; parfois ces odeurs
traversent la couche d'ozone, et gagnent nos régions.
Les journalistes, évidemment, voudraient bien qu'une maman ait retrouvé
du sperme sur la robe fleurie de la petite fille et l'aient gardé
précieusement ,dans leur armoirependant 25 ans ! Ils tiendraient leur 
affaire Clinton version européenne.

Ils sont intelligents, m'a-t-on dit sur cette planète, mais un de leurs
jeux favoris, aussi surprenant que ce soit, est d'abattre des
adversaires à coup de coups tordus.
 C'est évidemment incompréhensible pour des gens civilisés comme nous,
respectueux des autres, de nos semblables, incapables de commettre la
moindre bassesse, prêchant le respect des droits de l¹homme et
toujours, prêts à la prudence avant de juger autrui, soumettant leur
jugement à des débats contradictoires, fondés sur des réflexions
soumises à examen.

 Ils préfèrent passer des années, s'il le faut, avant d'émettre un
jugement qui manque de raison, de sagesse, tout particulièrement quand
il peut nuire à autrui. Sur cette planète-là au contraire, on se
précipite avec gourmandise sur l¹occasion de tuer quelqu'un.
 Chez nous, les killers sont ceux qui, dans les affaires, abattent
l¹adversaire économique. Mais on dort bien même sur de la paille qui,
comme on sait, pousse sur les Champs-Élysées.

 Là bas, le killer cherche par principe le coup bas. J'espère qu¹on ne
trouvera pas de sitôt la possibilité de se rendre physiquement sur
cette planète où l¹on pourrait prendre ce redoutable virus.
Car ils savent bien que c'est un coup complètement tordu - mais c'est
ça qu'ils aiment. Quand on veut abattre un adversaire politique, tous
les coups sont permis, même les plus bas.

Le plus simple est l'assassinat, mais pour ça, il faut en avoir les
moyens : c¹est du grand banditisme, ce n'est pas à la portée tout le
monde - et puis c¹est trop vite fait, on n¹a pas son compte de plaisir.

Il est permis de supposer qu¹avec la mauvaise
 tournure que prennent les affaires politiques sur cette planète
 - qui, comme je l¹ai déjà dit, ne ressemble dieu merci en rien à la
nôtre, puisque c¹est tout de même une mauvaise tournure qu'un véritable
débat de fond sur les véritables problèmes politiques, tant mondiaux
que français (et dieu sait qu¹on n¹en manque pas) -, on préfère un
déballage salace, qu¹on maquille de morale, le peuple va baver de
plaisir. Ah ! Ce salaud de Cohn Bendit qui vient manger notre pain et
qui, avec son air heureux, débonnaire, un pertinent impertinent,
commençait à nous casser les oreilles (comme je suis une femme, je suis
pudique : je pourrais mettre des astérisques à la place d'oreilles,
mais je ne vaux pas suivre la mode qui oblige les femmes à tout dire et
tou faire dela façon la plus crue - si crue même que les hommes en sont
estomaqués); c'est bien fait ! 

"Nous, on est des gens propres, on ne touche jamais une autre femme que
la nôtre, ni aucun de nos enfants, jamais jamais jamais, la tête sur le
billot ! On ne s'est même jamais touchés".
 Même enfant ? "Jamais : on était totalement innocents et purs - et
comment, nous, monsieur ! C¹est vrai qu¹on disait cacaboudin, plus pour
embêter les parents ou pour faire comme Rabelais ! Mais c'est tout, je
vous jure. Demandez au curé auquel je me confessais !"
Plonger les gens dans la merde, on a appris ça en grandissant : ce
n¹est pas du sexe ça. Ça reste convenable; ce n¹est, s¹agissant des
chiens et de leurs propriétaires, qu¹une incivilité ! De toutes façons,
c¹est rigolo, c¹est efficace, ça distrait le public,et pendant qu¹il
regarde ça, il ne s¹intéresse pas aux problèmes de corruption,
d¹armements de viols de tortures, de faim, dont on a ras le bol.

Ceux qui jouent les censeurs sans tache savent très bien qu'en
déclenchant une haine irréfléchie, en faisant d¹abominables amalgames,
ils ouvrent la porte à la pire facilité, celle qui conduit au pire,
appeler au lynchage et déchaîner chez les gens les pires tendances.
Ceux qui crient les plus fort, qui froncent les sourcils comme des
curés de villages, sont souvent ceux qui ont peur pour eux-mêmes. "Que
celui qui n¹a jamais péché lui jette la première pierre", dit autrefois
un homme célèbre, devant la femme adultère que les hommes étaient sur
le point de lapider (j¹allais écrire lyncher). Le spectacle est
gratuit! 

Ca se passe encore maintenant ici ou ailleurs, contre les homosexuels,
comme ce fut le cas contre les juifs, contre les tziganes, et les
noirs, les arabes, comme les femmes tondues à la fin de la dernière
guerre devant des gens qui bien souvent furent des collaborateurs bien
pensants et qui appprouvèrent. C¹est pas difficile, il ya toujours une
catégorie ou une personne à montrer du doigt.
 Lancer les gens comme des chiens, aux trousses de quelqu¹un, quelle
bassesse! Mais qu'est ce que c¹est que cette planète qui, heureusement,
n'est pas la nôtre! 

On a beaucoup écrit, dit, théorisé, moralisé sur le désir. D¹une façon
savante, perverse, délirante, sophistiquée, morale. Mais on n' a pas
encore des idées bien claires sur le sujet qui fait toujours peur; et
quand on a peur de soi, on en arrive à avoir peur pour soi.
 La peur qu¹on crée chez l¹adversaire avec une joie idiote, imbécile et
mauvaise, ne serait-elle pas le reflet de sa propre peur, devant
soi-même, sa propre sexualité, ses cloisonnements difficilement
étanches, ses frustrations, ses mensonges, ses forces mal connues, mal
comprises, mal aimées, refoulées, enfermées au placard de l¹interdit et
du non-dit à jamais. À cela s¹ajoute la peur d¹être un jour à la place
de l¹autre, de celui qu'on met au pilori : il peut y avoir un effet
boomerang. On tape donc le premier - et le plus fort possible.
 C¹est comme ça que se commettent des crimes, paraît-il, sur cette
planète-là. Cet air de chasse aux sorcières rappelle de terribles
choses. Mais j'espère surtout qu¹elle ne les annonce pas.

Alors je voudrais faire une remarque et une proposition: il a beau
prendre un air sévère, un air de juge et de curé, le présentateur - de
cette autre planète -, comment ose-t-il, en prime time, aborder un
sujet pareil devant les enfants innocents qui sont à table ? N'a-t-il
pas conscience du risque qu'il fait courir aux enfants qui le regardent

 et peut-être à sa propre fille ? Et comment ne pas penser qu'il est
responsable des idées que vont avoir ces enfants, ces milliers
d¹enfants qui, on le sait bien, n'ont pas de désirs jusqu'à l'âge où
ils cessent d'appartenir à leurs parents, c'est-à-dire dix huit ans !!!


Je voudrais, moi, qu'ils en rient, pas seulement sous cape devant le
censeur hypocrite, mais d'un bon rire franc et qu'ils osent poser des
questions, à leurs parents, les vraies questions, c'est à dire celles
qu'ils se posent à eux-mêmes avant de les censurer par peur d¹être
réprimandés, jugés, punis. Peut-être qu¹un vrai dialogue pourrait
s¹établir enfin. Relisez de l¹Amour de Stendhal.Autrefois, les enfants
jouaient au docteur, au papa et à la maman, et les mères laissaient
faire avec indulgence. Un homme de la grande bourgeoise fit, au début
du siècle, une remarque fort juste : "nous élevons nos filles comme des
saintes et nous les livrons comme des pouliches". Ne faisons pas
semblant.

Une proposition : il faudrait, enfin, réfléchir, nous, les adultes et
faire réfléchir les enfants, les adolescents et les adultes. Mais il
faudrait cesser de tricher tout le temps, de jouer double jeu, "faites
ce que je dis mais pas ce que je fais", "ça se fait mais ça ne se dit
pas"; démêler cette horrible pelote ou ce jeu de cache-cache, ce vilain
jeu de l¹hypocrisie, du tabou; dire une fois : "pouce, on s¹assied, on
réfléchit ensemble et", au lieu de recommencer, pris dans l'engrenage
comme le renard dans sa cage tournante, "on fait autre chose".
Que les choses soient difficiles, d¹accord, mais on peut aller
lentement, sereinement.

 Nous partons de rien, soit; il suffirait tout de même que nous osions
évoquer la question du désir chez les enfants.
 Il y faudra une infinie prudence, une infinie sagesse, une infinie
tendresse humaine, ne pas arriver avec nos gros sabots ni théoriques ni
moralistes, relire Rabelais et Montaigne peut-être. Je ne sais pas si
la société d'aujourd'hui, qui prostitue si aisément pourtant les
fillettes et les garçons, qui laisse tuer ou mourir les fillettes dans
certains pays, qui exige dans certains pays - de cette planète - le
témoignage de deux femmes contre celui d¹une seul homme, qui a besoin
d'un tribunal international à la Haye pour condamner des viols
collectifs de femmes ou des tortures sur quelque personne que ce soit,
y compris les excisions et mutilations sexuelles, je ne sais pas si
cette société est prête à mieux connaître l¹enfance.

 Autrement dit, tant qu'elle oubliera son enfance, la reniera, cette
société continuera à se méconnaître elle-même, à avoir peur d¹elle-même
et à multiplier les erreurs et les souffrances et - pire - à les
perpétuer.

Une réflexion sur le fond : bien entendu, il faut défendre l'enfance
contre les abus, les sévices dont ils sont victimes par personne ayant
autorité sur eux, mais comme le statut de l¹enfant n¹est pas clair et
que l¹enfant est toujours soumis à une autorité et manque TOTALEMENT de
liberté, il est toujours en danger et toute autorité peut être jugée
responsable et coupable. Alors que l¹on devrait se poser la question
sur le STATUT de l¹enfant : quand a-t-il droit à la parole ? Où voit-on
son témoignage ? Et ce témoignage est-il pris en compte ?
 L¹Année de l'enfant a vu une prolifération de discours sur l'enfant.
Mais où et quand a-t-on invité les enfants à parler d'eux-mêmes ?
 À dire leur vérité ? On leur apprend à mentir, à être hypocrites ou à
l'opposé à être à la fois juges, accusateurs, sans qu'on leur ait
demandé leur avis sur le fond de la question! ce sont des otages; pris
au piège dans les enjeux des adultes prêts à s'entretuer.

 Pour conclure sur cette affaire, je dirai que la défense du droit de
l'enfant à disposer de lui-même est loin d'avoir commencé, que les
amalgames faits, - sur cette planète voisine -, utilisent les enfants
comme des pions, quitte à les lâcher à la première occasion, que
l¹enfant que nous avons été, nous ne cessons de le trahir par la suite,
mais - et peut-être surtout - que nous sommes pris dans la folie de la
course au pouvoir quels que soient les moyens employés.
 C'était un triste spectacle que celui auquel j'ai asssisté hier soir :
un homme à abattre. La politique aujourd'hui est d'autant plus
corrompue qu¹elle se sert de prétextes moraux pour cacher sa propre
turpitude.

Et bien non : il est certain que, pour les Mauves, la fin ne justifiera
jamais les moyens, que de mauvais moyens non seulement discréditent,
mais corrompent toujours définitivement la fin.


Geneviève Pastre

 


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