Septembre 2000
Editorial du n°400 de La Forge (septembre 2000)
Cellatex : leçons d’une victoire
Les ouvriers et les ouvrières de l’usine Cellatex de Givet ont brisé un tabou. Pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier, des ouvriers ont exercé le chantage à la destruction de toute l’usine et, pour prouver leur détermination, ils ont déversé 5 000 litres d’acide sulfurique dans un ruisseau affluent de la Meuse.
Jusqu’à présent, dans les luttes avec occupation, les grévistes protégeaient l’outil de travail et s’opposaient, souvent physiquement, au transfert des machines. Cette fois, sacrifiés pour sacrifiés, les ouvriers ont pris la société tout entière à témoin et ont dit : "si vous voulez nous faire crever dans l’indifférence, alors on fera sauter l’usine avec tout ce qu’il y a autour, nous compris".
La revendication de cette forme de violence et son début d’exécution ont provoqué une panique générale.
Il y a ceux qui voulaient réduire cette contestation par la force : c’est Chevènement qui les a traités de "terroristes", menaçant implicitement d’envoyer des forces de police spécialisées dans la lutte anti-terroriste. Mais la tonalité générale était plutôt d’essayer de "désamorcer la bombe" à tout prix. Des négociateurs ont été dépêchés sur place et les autorités ont dit : "arrêtez tout, on est prêts à payer". Et ils ont payé. Beaucoup plus que ne le prévoyait le plan social initial et, sur ce point, c’est une victoire qu’il faut revendiquer haut et fort.
Du coup, d’autres travailleurs, dans d’autres usines condamnées par le capital, se sont revendiqués de l’exemple de Cellatex pour exiger que les pouvoirs publics, le patron, négocient et lâchent davantage en termes de compensations : Adelshoffen près de Strasbourg, Bertrand Faure à Nogent-sur-Seine et d’autres passées sous silence médiatique par peur d’un effet de contagion. C’est le cas notamment de Forgeval à Valenciennes, ou de la MIB à Bourges.
Le risque d’"explosions" sociales est d’autant plus grand qu’il y a beaucoup de ces entreprises de cent à deux cents ouvriers, que le capital a décidé de fermer pour cause de rentabilité insuffisante. Beaucoup d’entre elles sont anciennes et sont souvent situées dans des régions où le chômage dépasse largement la "moyenne nationale". Elles sont abonnées aux plans de restructuration, passant de mains en mains pour échoir le plus souvent entre celles de margoulins pressés d’empocher les subventions avant de disparaître.
Le discours sur la reprise, ce n’est pas pour elles. Alors, quand "trop, c’est trop !", la colère explose.
"Plus jamais ça !", crient en chœur tous les gardiens de l’ordre bourgeois. Obligés de reconnaître que, par leur action, les travailleurs de Givet ont plus arraché que toutes les négociations antérieures réunies, ils veulent qu’on oublie au plus vite le moyen de pression utilisé.
Le capital peut détruire quand et où cela lui plaît, se désintéresser du sort de millions de travailleurs et de leurs familles, il peut polluer, intoxiquer à tout va, exercer toutes les formes de violence à l’encontre de la classe ouvrière et des peuples ; il a la loi bourgeoise pour lui. Sa violence est légale.
A l’inverse, la classe ouvrière n’a pas le droit de revendiquer la légitimité de sa violence contre le capital. C’est ce tabou que les ouvriers de Givet ont brisé.
La lutte des ouvriers de Cellatex a obligé chacun à choisir son camp
Les ouvriers de Cellatex, ceux d’Adelshoffen, ont eu droit aux médias. A n’en pas douter, certains espéraient un "scoop", une image forte, en direct, comme celles des cités qui s’enflamment.
Mais les autres luttes qui se revendiquaient de Cellatex ont très vite été occultées, y compris dans la presse syndicale. Parfois quelques lignes, mais après coup, comme si ces luttes étaient étrangères au mouvement syndical "responsable".
Dans ces secteurs économiques en crise depuis des années, les contre-projets de développement n’existent pas, car ils ne sont plus rentables du point de vue de la course au profit maximum. Les plans de restructuration successifs, accompagnés systématiquement de suppressions d’emplois, de remise en cause des acquis, de flexibilité accrue, visent à pousser toujours plus loin l’exploitation de la force de travail, en combinant diminution du prix payé pour la force de travail (le salaire) et augmentation de la productivité et de l’intensité du travail.
Mais les "repreneurs" successifs n’investissent pas dans l’achat de machines. Ils se contentent de "presser le citron", en l’occurrence les ouvriers, et le jettent sans états d’âme.
Les semeurs d’illusions, qui ne cessent de vouloir démontrer au patron et aux pouvoirs publics que "l’usine est rentable", ne font que désarmer les travailleurs, les obligeant à céder, restructuration après restructuration, tout ce qu’ils avaient pu gagner dans les luttes passées.
Arrive un moment où les travailleurs se disent qu’il faut arracher le maximum avant la fermeture. Cette lucidité est souvent brocardée par les semeurs d’illusions, qui en sont encore à chercher un énième plan de sauvetage de l’usine, alors que les ouvriers veulent défendre leur dignité de travailleurs, en la faisant payer au prix le plus élevé.
Les habitants de Givet, petite ville ouvrière durement frappée par la crise (20 % de chômeurs), ont témoigné de diverses manières leur solidarité active, y compris au moment critique où les grévistes ont brandi la menace de faire sauter l’usine.
La solidarité est venue également d’ailleurs, comme en témoignent les centaines de messages adressés aux grévistes. Nous publions l’un d’entre eux.
Des débats houleux ont souvent eu lieu dans les structures syndicales, opposant les tenants du syndicalisme "responsable", pour lesquels "on ne peut pas faire n’importe quoi", et les syndicalistes défendant une position de classe, refusant de condamner les formes de lutte des ouvriers de Cellatex, disant : "Ils ont raison, ils n’ont plus rien à perdre".
Les positions des responsables CGT fédéraux dépêchés sur place étaient forcément plus nuancées : "On les comprend mais, pour "désamorcer la bombe", il faut tout faire pour qu’une telle situation ne se reproduise jamais" ; "Nos méthodes de lutte n’ont pas changé, ce conflit n’a pas vocation à faire école".
Le porte-parole des Verts n’a pas hésité quant à lui à dénoncer les risques pour l’environnement que faisaient courir les grévistes.
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