5 mai 2001

 

Bonjour,
 
  Avec retard...
 

  tu pars de la définition de la notion de prolétaire par les situs, ce qui ne me paraît pas être des plus heureux. En effet, les situs n'ont pas arrêté de parler de prolétariat en opérant de fait une description de ce que certains sociologues ont appelé les classes moyennes. D'où leur référence constante aux cadres et à leur mode de vie qui devait fonctionner comme repoussoir mais qui finalement valait pour la plus grande part des salariés. Leur contradiction étant de dénoncer la misère de tout ce milieu (les étudiants inclus) tout en en prédisant le triomphe. En effet si on définit le prolétaire comme celui qui n'a aucun contrôle sur sa propre vit et qui le sait, de 2 choses l'une : soit ce prolétaire est content de cette situation qui lui procure un certain nombre d'avantages, soit n'ayant aucun pouvoir sur sa propre vie il n'y a aucune raison qu'il est la moindre capacité à transformer cette vie et les rapports sociaux.

  C'est pour cela que l'IS, dans son n°12 s'est refugiée dans un appel aux ouvriers dans sa version conseilliste, et qu'après les événements du Portugal, il n'a même plus jamais été question, chez Debord et Sanguinetti d'un côté, Vaneigem de l'autre, ni des prolétaires, ni des ouvriers. Le système sous sa forme "spectaculaire intégrée" (Debord), l'Histoire comme complot (Sanguinetti), le désir et le vivant (Vaneigem) ont occupé seuls le devant de la scène.

  L'extension du salariat ne peut être confondue avec un processus de prolétarisation. Quand Marx analysait cela il le voyait à partir d'un prisme qui s'est avéré faux : celui de la théorie de Ricardo son maître à penser bourgeois en matière d'économie, qui développait une théorie du salaire reposant sur une loi d'airain à la baisse de ce salaire. Après de nombreuses élucubrations marxistes durant 150 ans sur le fait de savoir si cela conduisait à une paupérisation absolue ou relative, on a pu constater que tout ça était remis en question à l'époque moderne et que la détermination du salaire relevait bien plus des rapports de force que de la loi de la valeur. Le fait qu'il ait parallèlement un accroissement de la précarité, qui ne touche néanmoins qu'une faible partie des salariés (les flux plutôt que les "stocks") et un accroissement d'une main d'oeuvre potentielle inemployable donne l'impression parfois que se rejoue la situation de la fin du XIX° siècle, à l'époque des "classes dangereuses". Cela fait que beaucoup y voit une confirmation de l'existence des classes comme sujet historique. Or ce qui est perçu comme néo-prolétariat, cette masse multiforme, éclatée, diversifiée à l'infini, n'est-ce pas au contraire ce que Marx décrivait comme la classe défaite, retombée dans l'atomisation propre aux paysans, la classe nationaliste, raciste, sans conscience? Bref, ce qu'il appelait le lumpen prolétariat.

  Et quand tu cites le nombre d'ouvriers qui est effectivement en baisse en France, mais que tu vois monter à l'échelle mondiale, tu n'as d'autre ressource que de faire appel  à une classe ouvrière sociologique, or qu'est-ce qu'une classe sans lutte de classes? Rien et c'est sans doute pour ça que Marx n'a jamais développé une analyse théorique des classes et s'est plutôt fondé sur l'histoire afin de saisir le moteur des transformations.

  D'autre part cette augmentation elle-même n'a pas de signification à long terme et cela pour plusieurs raisons :

- ce que nous désignions du terme d' "inessentialisation de la force de travail" n'est pas une notion quantitative, mais la tentative de conceptualiser le fait que ce qui domine aujourd'hui, comme Marx l'avait prévu d'ailleurs, c'est la domination du travail mort sur le travail vivant et que ce dernier n'a plus qu'un rôle réduit dans la valorisation (ce que nous désignons sous le nom de "la valeur sans le travail").

- l'extension du salariat dans les pays pauvres n'est du qu'au retard dans ce processus qui fait que l'accumulation du capital y est moins importante, mais c'est déjà de moins en moins vrai dans la mesure ou à côté de conditions de production moyenageuses se développent déjà des installations clés en mains de la plus haute technologie ; d'autre part ce retard est dû à tout sauf au hasard puisque le développement général du capitalisme repose justement sur le développement inégal. Il est donc illusoire de croire que les classes ouvrières de ces pays vont se développer sans cesse jusqu'à reproduire nos conditions ; enfin si on regarde ce qui se passe en Chine (un copain de Temps Critiques vit partiellement en Chine), on s'aperçoit que le développement du nombre d'ouvriers concerne surtout le secteur des besoins de base de la population et s'effectue sur un mode assez artisanal (c'est particulièrement le cas des entreprises rurales qui emploient des gens seulement une partie de l'année et qui sont protégées par un système protectionniste fragile et dépendant des conditions politiques fluctuantes), alors que tous les investissement provenant de l'extérieur, de la part des FMN, conduisent au contraire à des licenciements. Quant aux grandes entreprises d'Etat, elles sont dans les conditions de celles de l'URSS et des pays "socialistes" avant leur écroulement : la moitié de la main d'oeuvre pourrait être mis dehors du jour au lendemain et ce serait alors les bastions traditionnels de la classe ouvrière chinoise qui s'écrouleraient. "En Chine aussi, la crise du travail" comme le titrait le copain dans le cadre d'un article pour la revue La Griffe n°7. Il ne faut pas chercher plus loin l'explication du nombre de plus en plus élevé d'éxécutions capitales en Chine actuellement.

  Ta référence implicite constante à la théorie du spectacle te permets de jongler entre essence et apparence. L'essence de la classe existe puisque la révolution ne peut exister sans classe et qu'une société dirigée par des "pourris" ne peut qu'amener la révolution. Donc si on ne peut douter de l'essence alors il s'agit de dire que ce qui manque ce n'est que l'apparence et cette apparence le système doit la masquer.On retombe sur la théorie du complot et la circularité du raisonnement ne peut, alors elle, que nous sauter aux yeux. Et c'est pas ça qui va me démoraliser, mais bien plutôt le fait que tu cherches secours dans une image mythique de la classe.

  Voilà pour le moment, tu peux déjà passer ça sur ton site. Je vais lire ce que tu me demandes de lire sur l'individu et les conditions objectives et te répondrais éventuellement dans un autre courrier. Pour ce qui est de ta dernière demande sur l'Etat et la société civile, je t'enverrais demain un texte que nous venons justement de finir et qui porte sur cette question.

                                               Meilleures salutations et à te lire.
                                                  Pour Temps Critiques
                                                                J. W.

 

PS le n°12 de Temps Critiques vient de sortir. Commande à faire sur notre site.

 


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