8 aout 2001
COMMUNIQUE D'UN GROUPE
AFFINITAIRE ACTIF AU SEIN D'UN BLACK BLOC LORS DE LA JOURNEE D'ACTIONS ET
DE LA MANIFESTATION DES 20 et 21 JUILLET 2001 A GENES.
POURQUOI ETIONS-NOUS A GENES ?
- Pour mettre en pratique massivement notre contestation d'un monde que nous refusons
dans sa totalité (le monde de toutes les dominations, de toutes les oppressions,
de toutes les exploitations).
QU'AVONS NOUS FAIT A GENES ?
- Nous nous sommes attaquéEs à ce qui faisait partie intégrante de la bonne marche
des dominations étatiques, capitalistes et patriarcales : banques, agences immobilières,
concessionnaires automobiles, stations essence, agences de voyages, panneaux publicitaires
(en particulier, mais pas seulement, ceux utilisant le corps des femmes comme
des vecteurs de marchandisation), etc.
- Nous avons ici et là empêché la police de prendre le dessus sur les manifestantEs,
de façon à ce que les rues soient nôtres, soient celles de la subversion, le plus
longtemps possible au cours de ces journées.
QUE VOULONS NOUS ?
- Nous pensons que la mise en place d'une société dans laquelle chacunE aurait
le pouvoir de diriger sa propre vie comme il/elle l'entend (ou en tout cas, une
société qui le permette, une société sans hiérarchie, une société qui soit vecteur
d'émancipation collective et individuelle) n'est pas envisageable sans la destruction
complète des oppressions qui sont à la base des sociétés patriarcales et capitalistes
occidentales. Si nous avons conscience que casser des vitrines, brûler des banques,
même pour plus de cent millions de francs français de dégâts, ne révolutionnera
pas le monde, nous pensons que c'est un moyen concret de déstabilisation des pouvoirs
en place, et nous espérons également que cela puisse être la démonstration d'une
colère qui doit se généraliser si nous voulons un jour ou l'autre vivre pleinement
nos idées.
- Nous ne cherchons pas à trouver une place au sein des discussions entre les
maîtres du monde, nous voulons qu'il n'y ait plus de maîtres du monde. Nous ne
reconnaissons aucune légitimité aux protagonistes du G8, comme nous n'en reconnaissons
aucune à ceux de l'Union Européenne, de l'OMC, du FMI, de la Banque Mondiale,
etc. Les chefs d'Etats ou de multinationales sont les plus hauts responsables
de la dépossession de notre propre pouvoir sur nos vies. Ce n'est pas avec eux
que l'on doit discuter de nos envies et de nos désirs puisqu'ils représentent
des remparts à ceux-ci.
- Nous ne voulons pas une amélioration du système politique, social et économique
en place, nous voulons son remplacement par un ou des systèmes de vie collective
autogérés, au sein desquels chacunE a son mot à dire, dans lesquels l'entraide
est le but (et non la concurrence). A notre avis, les propositions de réformes
du système capitaliste mondial ne sont que de naïves illusions qui permettent
à celui-ci de perdurer grace à quelques semblants de "démocratie". Concrètement,
les réformes proposées par quelques groupes politiques et/ou associatifs (taxe
Tobin, revenu garanti, etc.) ne changent rien aux rapports sociaux actuels et
ne font qu'accroître la soumission massive des populations aux pouvoirs politiques.
CE QUE NOS DETRACTEURS ONT TOUT INTERET A FAIRE CROIRE :
- Que nous sommes des irrésponsables haineux-haineuses venuEs sans aucun autre
objectif que "tout casser". Que nous ne sommes que des jeunes hommes en manque
d'émotions fortes, de décharges d'adrénaline, etc.
Nous pourrions nous contenter de répondre qu'il y avait une présence importante
de femmes dans les black blocs, mais là n'est pas vraiment le propos : au sommet
du G8, il n'y avait pas beaucoup de femmes et personne n'a semblé s'en plaindre.
Le propos de telles critiques est de sous-entendre qu'en dehors de la destruction
de biens matériels nous n'avons rien à proposer. Pourtant, en tant que groupe
d'action au sein d'un black bloc, nous avons exprimé de nombreuses idées à l'aide
de bombes de peintures sur les murs de la ville, et nous en avons lu énormément,
écrites par d'autres : anarchie, autonomie ouvrière, lutte des classes, autogestion,
refus du capitalisme, des banques, des frontières et des Etats, du patriarcat,
du sexisme, de la marchandisation des femmes, de l'homophobie et de la lesbophobie,
pour la libération animale, les squats, la libération de la Palestine, l'action
directe, slogans "straight-edge" (refus de l'alcool, du tabac et de toutes autres
drogues), etc.
Lors de ces journées émeutières, au sein de notre groupe d'affinité, nous avons
voulu fonctionner sur un mode égalitaire. Les médias, comme les grandes organisations
pacifistes, nous disent "casseurs aux méthodes masculines ou militaires". Curieusement,
il y avait dans notre groupe affinitaire plus de femmes que d'hommes, et nous
ne pourrions dire qui aurait pu faire office de Général... Même si beaucoup de
décisions avaient à être prises rapidement, nous avons tenté d'écouter la voix
de touTEs, en particulier de celles et ceux qui se sentaient le moins rassuréEs.
Quant au discours pseudo-féministe tentant de nous convaincre que la "casse" est
une affaire d'hommes, que veut-il dire exactement ? Que la manière non-violente
d'utiliser son corps est bien plus cohérente pour des antisexistes ? Etre passive
et victime, douce et modérée, sont pourtant des clichés féminins contre lesquels
beaucoup de femmes se battent depuis très longtemps. En tant qu'oppriméEs, notre
moyen de lutter n'est pas de nous noyer encore plus dans notre misère et d'adopter
un discours misérabiliste qui attendrira éventuellement l'opinion publique pendant
une semaine.
Si nous avions des raisons politiques bien précises de pratiquer la destruction
de biens matériels, nous ne cacherons pas que briser directement les obstacles
quotidiens à notre bien-être est un sentiment jouissif. Nous n'attendons pas le
Grand soir ; nous voulons dépasser les plaisirs normés et les peurs que ce vieux
monde nous impose, et c'est bien parce que nous vivons dans un monde monotone
et effrayant, composé de devoirs, de "droits", de supermarchés et de flics, que
le détruire se doit d'être jouissif. La destruction de biens matériels est la
démonstration en actes qu'il y a des problèmes politiques et sociaux. De toute
façon, la "casse" est pour nous une tactique réfléchie et adaptée à la situation,
elle va bien au-delà du "défouloir pour violents". Les objets, vitrines, enseignes
cassés ne sont pas pris au hasard. Ils sont ciblés en fonction de l'impact qu'ils
ont sur notre vie quotidienne. Nous les détruisons parce qu'ils sont parmi les
atouts de nos sociétés "spectaculaires marchandes", parce qu'ils représentent
notre propre destruction.
- Que nous avons été manipuléEs, par des forces politiques "au-dessus" de nous,
notamment par la police. Que nous avons été infiltréEs par la police.
Ce que nous avons fait à Gênes, nous avions prévu de le faire. Et manifestement,
comme prévu, la police ne nous a pas aidé. Dès qu'elle en avait la possibilité,
la police s'attaquait violemment aux black blocs. C'est grâce à des réactions
tactiques, stratégiques, que nous avons pu éviter de nous faire massacrer (solidarité
de groupe, jets d'objets sur la police, barricades, mobilité et mouvements de
foule, etc.). Nous ne nions pas la possibilité que des policiers "déguisés" se
soient infiltrés dans certains black blocs. Il semblerait logique qu'il y ait
eu des policiers infiltrés dans tous les cortèges. Certains, par exemple, se faisaient
passer pour des journalistes ou des ambulanciers. C'est un moyen de contrôle bien
connu pour identifier et étudier les manifestantEs et leurs agissements. Par rapport
à cela, notre but est bien évidemment de les repérer et de les faire dégager.
A Gênes, nous avions prévu de nous attaquer à des bâtiments représentant diverses
formes de pouvoir. Nous nous sommes exécutéEs avant que de quelconques provocations
policières puissent avoir lieu. Nous l'assumons entièrement et tenons à faire
remarquer que si la police a bien évidemment participé directement aux violences
de ces deux jours, c'est en s'attaquant aux manifestantEs, de toutes parts. La
violence policière s'est exprimée massivement sur quelques km² à Gênes, de la
même manière qu'elle le fait quotidiennement partout ailleurs. Pas besoin de manifester
contre le sommet du G8 pour ça.
- Que les blacks blocs, "une minorité de manifestantEs", ont gâché la fête.
Le but des manifestantEs était, pour la quasi-totalité, de rentrer dans la zone
rouge, de perturber le sommet du G8. Nous avons à notre façon perturbé le sommet
du G8. A Gênes, les maîtres du monde voulaient être tranquilles. Vingt mille policiers
devaient leur assurer la paix sociale. Cela n'a pas fonctionné du tout puisque
ces milliers de sbires n'ont pu s'empêcher de tuer une personne, d'en blesser
plus de six cents, d'en arrêter et d'en torturer des centaines... Diaboliser les
black blocs est très utile pour certains partis et organisations politiques, qui
par contre coup sont les seuls détenteurs d'une légitimité à manifester. Mais
la division manichéenne des manifestantEs en "gentilLEs pacifistes" et en "méchantEs
casseurs et casseuses" ne peut que faire le jeu du pouvoir, qui n'a pourtant pas
fait de détail quand il s'est agi de réprimer le plus brutalement possible. Cette
division est d'autant plus incohérente lorsqu'elle provient de personnes dites
de gauche, qui soutiennent certaines luttes armées comme celle au Chiapas. Est-ce
que c'est parce que nous, occidentaux et occidentales, nous souffrons moins du
capitalisme que d'autres et que certaines femmes sont moins ouvertement opprimées,
que notre tentative d'ébrécher le système est moins légitime ?
D'autre part, nous tenons à rappeler que plusieurs milliers de manifestantEs ont
pris part à la destruction de biens matériels et aux affrontements avec la police,
que ce soit de façon préméditée ou spontanée. Il ne s'agit pas d'une "minorité"
de personnes, pas plus en tout cas que les autres cortèges n'étaient des "minorités",
chaque groupe ayant sa manière d'agir.
Enfin, Bush a reproché aux manifestantEs de prétendre représenter les pauvres.
Pour ce qui nous concerne, qu'il se rassure, nous ne représentons que nous-mêmes.
Mais c'est déjà énorme, et plus nous serons nombreux et nombreuses à parler et
à agir contre ce vieux monde, plus Bush aura de raisons de trembler au fond de
sa Maison blanche... La révolte contre ce monde n'est pas minoritaire, encore
moins anecdotique, elle s'exprime partout à travers le monde, dans les écoles,
les cités, les rues, etc.
(Rédigé début août 2001)
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