31 aout 2001

 

petite contribution à la reflection sur les événements de Gênes (juillet 2001)

ADRESSE AUX REVOLUTIONNAIRES
AU SUJET DES EVENEMENTS DE GENES

 

camarades,

Notre intervention trouve son prétexte dans les réactions inquiétantes qui se sont exprimées au lendemain des événements de Gênes (19/22 juillet 2001)de la part des médias officiels et "indépendants", des opposants pacifistes et de certains anarchistes ayant participé plus ou moins sincèrement à ce qu'il est dorénavant convenu de nommer le "Black Block".

Nous ne craignons pas de reconnaître toutes les accusations infamantes qui ont pu être portées contre nous par les différents services (politiques, syndicaux, policiers, médiatiques) de conservation du vieux monde, et même, ô surprise!, venues de ceux que nous croyions nos alliés. Ce dont, au contraire, nous dissuadons fermement quiconque à l'avenir de vouloir nous souiller est de l'ignoble et répugnante calomnie selon laquelle nous ayons frayé ne serait-ce qu'un instant avec la saloperie policière.

Que nous soyons livrés à la vindicte générale de ceux qui se sentent (et avec raison) eux-mêmes attaqués par la nature de nos actes (la lutte contre la police, la casse, le pillage) est de bonne guerre et ne va pas pour nous étonner. Etre unanimement détestés par les staliniens de refondation communiste, les gauchistes, marxistes-léninistes, les pacifistes, humanitaires, caritatifs, toutes expressions de la révolte éthique de petits bourgeois et d'étudiants devant les excroissances malheureuses du capitalisme contemporain, n'a jamais été que la conséquence regrettable des faiblesses et du nivellement par le bas consubstanciels au mouvement antimondialiste retardant ce qui conspire en son sein pour le renouveau aujourd'hui visible de la lutte révolutionnaire du prolétariat. Le lent effondrement du monde capitaliste, les catastrophes économiques, écologiques, démographiques qu'il provoque et prépare trouvent leur prolongement conscient dans les nouvelles expressions du refus radical qui s'expriment aujourd'hui particulièrement avec la jeunesse défavorisée et désespérée, libre de la tutelle des partis autoritaires, voire de tout parti, qui porte le rejet viscéral de l'ordre social aussi bien en kabylie que dans les ghettos américains ou anglais, aussi bien dans les banlieues françaises qu'en Palestine occupée. Sur le plan de la lutte prolétarienne classique, ce renouveau s'accompagne de la mort définitive des illusions messianiques portées par les sinistres partis dits communistes et le totalitarisme bureaucratique dit soviétique, par la recherche latente d'une affirmation autonome de la lutte ouvrière par delà la représentation syndicale ainsi que de la conscience de l'impasse du partenariat social, de la négociation et de la protestation encadrée et intégrée.

Détestés comme partisans déclarés de la guerre sociale, nous le sommes plus encore pour la pratique employée qui renvoie à son néant la fatuité mensongère des diverses rhétoriques et idéologies "révolutionnaires" qui continuent à faire des ravages, si bien qu'il ne semble même pas étonnant qu'on puisse aujourd'hui encore se réclamer de Trotsky, Lénine, Mao ou Fidel Castro. La pierre angulaire de la société capitaliste, la marchandise, et sa logique étendue à la totalité des activités humaines, faisant de l'économie politique devenue indépendante la seule puissance capable de décider de toute transformation sociale, se sont développées en entraînant la dépossession générale du prolétariat, le producteur se voyant séparé de son produit et en définitive de sa propre vie colonisée par la consommation de pseudo-besoins dont la production répond aux seules nécessités de la conservation de l'économie. Le prolétaire, spectateur de sa propre vie sur laquelle il n'a plus de contrôle, est aussi spectateur du non-changement que tous les employés de l'économie politique s'efforcent de faire passer pour réel. La misère de la dépossession n'est en rien annulée par l'abondance marchande qui ne constitue que l'abondance de la dépossession.

Ce qui ennuie tous les antimondialistes quelle que soit la rhétorique dont ils se targuent n'est pas tant l'emploi de la violence, qui choque moins quand elle est le fait d'armées "humanitaires" ou de "guérillas" staliniennes, que la cible choisie: la marchandise et ses chiens de garde policiers. La casse affirme la suprématie de l'homme sur la marchandise, sa capacité à réfuter l'image falsifiée qu'a recouvert son besoin réel. Elle remet en question la souveraineté de l'urbanisme marchand, la détermination de l'espace-temps par les nécessités aveugles de l'accumulation capitaliste. Le pillage détourne la marchandise, la désacralise en procurant tout de suite ce qui est jugé nécessaire sans passer par le sacrifice du travail salarié. La guérilla urbaine, la lutte violente contre la police recrée le proletaire comme acteur conscient de sa propre vie et sujet historique réel, ayant identifié les forces payées pour le contraindre à la contemplation passive de sa propre impuissance à influer sur le cours du monde.

Dans ces conditions, tous ceux qui croient qu'on peut changer le monde grâce à la dictature d'un parti, par le biais de la dite démocratie libérale, ou qui à la limite n'ont aucun intérêt à voir le monde changer ne peuvent nous considérer que comme des ennemis déclarés. Ce qui sous couvert de refus de la violence perpétue le martyre éternel des victimes innocentes n'ayant que leurs prières à opposer au bourreau, n'exprime que sa haine forcenée contre celui qui répugne à n'être qu'un numéro dans la foule comptabilisée des spectateurs d'un changement qui ne viendra jamais. L'espérance chrétienne est encore bien vivante chez le militant discipliné qu'il se dise ou non matérialiste et athée.

Nous croyions, peut-être naïvement, que les différents "Black Blocks" s'accordaient pour voir dans ces formes de lutte combattues par l'humanisme comptable la réalité moderne du refus, c'est-à-dire de la radicalité antispectaculaire, et que par leur mobilisation lors des divers contre-sommets antimondialistes, ils s'affirmaient solidaires de la lutte des émeutiers et démolisseurs du mensonge idéologique matérialisé dans le fétiche marchand. Nous qui participions depuis quelque temps déjà à ce type de rassemblement n'entretenions pas d'illusions sur leur caractère aliéné, limités sur le plan temporel, ne faisant l'unité que sur la mise en accusation facile d'une organisation bureaucratique parcellaire prise pour le tout, comme jadis les deux cents familles, donnant lieu à un tourisme contestataire pour classes moyennes, et permettant une reconversion du militantisme agonisant en activisme tout aussi vain, aux formes de fausse conscience tout aussi dangereuses, favorisant l'apparition d'une nouvelle catégorie de professionnels de la contestation.

Nous justifions cette participation aux contre-sommets justement en ce que nous croyions pouvoir, avec les autres tendances radicales, détourner la simple protestation de masse citoyenniste ou tiers-mondiste en émeute anti-spectaculaire, susceptible de révéler au monde de manière éclatante l'étendue de notre critique, s'attaquant en même temps aux funestes agissements des multinationales et des organisations protégeants leurs intérêts qu'aux Etats administrant le désordre et les catastrophes engendrées, et au delà, à l'extrême misère du règne spectaculaire, de l'aliénation et de la réification du prolétaire et du manque absolu de perspectives historiques laissées à l'immense majorité de ceux qui entendent un jour vivre enfin selon leurs désirs.

La classe dirigeante, ses valets médiatiques et policiers ne s'y étaient d'ailleurs pas trompés, réagissant comme n'importe quel pouvoir directement attaqué, employant l'arme qu'il est convenu d'appeler dans les milieux de "gauche" la criminalisation. Que ne s'y trompe pas ceux qui ne se basent que sur les manipulations policières de Gênes pour mettre l'accent sur la "tolérance" des autorités face aux Black Blocks. Carlo Guliani n'était pas préscisément un pacifiste, comme ceux qui furent blessés par balles à göteborg, ceux qui croupissent encore dans les geôles suédoises, et il suffit d'ouvrir le Code Pénal pour se faire une idée de la "tolérance" du droit bourgeois en matière d'atteinte à la propriété privée et à l'intégrité physique de ses chiens de garde. Il est pourtant faux de parler de "scandale" de la criminalisation. Le capitalisme moderne se distingue également en ce qu'il s'efforce de nier la réalité de la division sociale en classes; cette forme de la fausse conscience bourgeoise, inhérente à l'existence du capitalisme, fait partie intégrante de la logique de la marchandise atteignant le statut de l'idéologie matérialisée. Tout ce qui est contemplé présuppose la satisfaction généralisée des pseudos-besoins atomisés et l'unité du peuple consommateur. S'il n'y a plus de classes, il ne saurait y avoir de lutte de classe ni de mouvement révolutionnaire. Le crime "politique" est dès lors un crime "social", une déviance, l'acte délictueux du voyou, la marginalité de la délinquance. Réciproquement, c'est un fait réel que la quasi-totalité de l'expression politique est intégrée au jeu spectaculaire de la lutte d'influence, et dépouillée ainsi de tout contenu de classe, tandis qu'une frange grandissante de la jeunesse, hostile à tout embrigadement, exprime son refus du vieux monde, de ses valeurs et de son organisation de la vie quotidienne par des actes plus proches de la simple délinquance que de la politique traditionnelle. Il y a pour nous quelque chose de répugnant à vouloir se distinguer des "criminels" en mettant l'accent sur son "engagement politique"

Tout acte criminel n'est pas nécessairement un acte de refus; mais tout acte de refus est nécessairement criminel selon les termes du spectacle. Vouloir être sauvé de l'indignité, de la stigmatisation et de la marginalité des indésirables modernes n'a pas de sens hormis si l'on médite quelque promotion ou intégration futur à son ordre. C'est en ce sens que nous ne nous défendrons pas des accusations formulées par les journaux bourgeois depuis Seattle d'être des voyous, déstructurés, associaux, des "délinquants déguisés en protestataires", des hooligans, la lie de la terre. Nous n'acceptons pas cependant d'être traités de fascistes, et nous nous souviendrons au moment opportun de ceux qui ont pu proférer de telles insanités.

Mais ce qui est véritablement nouveau depuis Gênes, c'est que l'unité de façade du mouvement étiqueté "Black Block", unité entretenue par la dite criminalisation, frappant indistinctement des groupes et des individus très différents, s'est effondrée. Certains prônaient comme nous la lutte anti-spectaculaire, la révolution de la vie quotidienne et l'abandon de la politique séparée (responsable du phénomène militant), d'autres l'attaque ciblée de multinationales et de banques, c'est-à-dire la rénovation de la politique traditionnelle par l'action directe tout en conservant l'activisme (sous sa forme anarchiste, communiste libertaire ou conseilliste), d'autre encore très réticent vis à vis de la casse mais prêt au combat avec la police (les débris du gauchisme des années 70, les antifascistes). D'autres particularités dans la pratiques étaient présentes, comme certains groupes favorables à la casse mais réticents à l'attaque de la police, d'autres résolument opposés au seul pillage; sur le plan théorique, diverses variantes plus ou moins folkloriques de l'anarchisme, de l'écologisme ou même du marxisme-léninisme. Si nous les avons suivis, ce n'était pas vraiment pour ce qu'étaient ces gens, mais pour les actes qu'ils étaient capables d'accomplir. Nous ne voyions (et nous ne continuons à voir) que dans le rapprochement théorico-pratique des militants extrémistes en déshérence et des émeutiers banlieusards sur la voie de la politisation la possibilité d'une amorce de mouvement révolutionnaire dans un monde en crise permanente. Nous pensions que les deux mouvements ne pouvaient que s'enrichir mutuellement et dépasser ainsi leurs faiblesses internes, et qu'une union relative pouvait se réaliser, momentanément pour l'instant, lors de tels rassemblements destinés à dégénérer en émeutes. Force est de constater que ces rapprochements n'ont étés pour l'heure que très épisodiques et limités, et que les progrès réalisés dans de sens grâce à la croissance numérique indéniable des "Black Blocks" ne sont peut être qu'apparents, tant les événements de Gênes ont semé le trouble, la confusion, la calomnie et la chasse aux sorcières dans leurs propres rangs.

Nous revendiquons, reprenant certains termes employés par des internautes sur A-infos, l'étiquettes infamante de "minoritaire" assénée par les obsédés de la "zone Rouge"[1]. En effet, bien que prêt, si l'ensemble du mouvement se prononçait pour l'attaque purement symbolique de cette zone (et pourtant, nous goûtons assez peu la lutte symbolique), à participer au combat en prenant des risques mesurés (aucun symbole ne dédommage des arrestations et et des violences policières), nous n'avons évidemment rien fait pour dissuader, le 20 juillet dans l'après-midi, la majorité réelle de s'adonner à cœur joie à la destruction et à l'incendie des banques, des voitures, des magasins, à l'attaque de la prison et d'un certain nombre de "services publics", au pillage du supermarché, ni non plus pour nous opposer à toutes les dégradations commises, diverses et variées. A propos du sens de ces actes, nous ne pensons pas qu'il y en ait un seul qui soit condamnable; les seuls qui auraient suscité notre opposition auraient été les dégradations graves d'appartements modestes ou les violences injustifiées contre de simples passants. Tout le reste a un sens parfaitement clair: Le refus du monde de la marchandise, de son organisation de l'espace-temps humain et la proclamation de la supériorité de l'homme sur ce qui le réifie. Nous croyions que ce qui distinguait, outre leur pratiques, les Black Blocks des autres groupes était leur mépris souverain de l'infamie médiatique; ainsi ce qui déterminait leur action était porté par de plus hautes exigences que le fait de plaire ou de déplaire: à croire que même les indésirables cherchent encore à se ménager une possibilité de réintégrer la misérable hiérarchie en se conciliant le gouvernement spectaculaire sur son extrême-gauche. A croire aussi que lorsqu'on souffre l'insulte répétée (en l'occurrence n'être qu'un "vulgaire casseur") tous les moyens sont bons pour se retrouver dans la position tellement plus confortable du juge et stigmatiser à son tour la "violence gratuite".

On a beaucoup, à l'intérieur des rangs anarchistes, craché sur les "hooligans", les "voyous", le "lumpenprolétariat", les "supporters de foot", bref tout ce qui manifestement n'était pas militant et "profitait" d'un rassemblement politique pour se défouler. Mais que dire dans ce cas du "Black Block"? Ne profitons nous pas des dizaines de milliers d'enrégimentés, de pacifistes, de caritatifs et de curés de toute sorte pour détourner leur transhumance misérabiliste en émeute anticapitaliste? La lie de la terre est la seule à ne se soucier aucunement du soutien de l'opinion publique médiatiquement fabriquée; en revanche, elle met les anarchistes face à leurs présupposés théoriques: acceptent-ils ou non de revendiquer jusqu'au bout le caractère anti-spectaculaire de leur lutte? L'action illégale au sein du Black Block est un premier pas dans cette voie mais elle ne suffit pas; Gênes démontre avec force qu'un spectacle de la radicalité s'est constitué permettant de critiquer avec la même verve les pauvres moyens mis en œuvre par des groupes comme ATTAC tout en raisonnant dans les mêmes termes. On a même prétendu que des assemblés s'étaient mises d'accord pour proscrire la casse au motif de la répression encourue par la suite par les centres sociaux gênois

les rassemblements antimondialistes ont donnés à une foule de désespérés, ayant eu la malchance de voir leur jeunesse rebelle absolument sans emploi, étant nés et ayant grandi en un temps où le mot révolution faisait rire, et où la multitude croyait sincèrement que tout projet de société conduirait infailliblement au goulag sibérien, des occasions nouvelles de manifester le négatif, l'occulte insatisfaction censurée par toutes les représentations du monde admises, et qui n'entre pas en compte dans le calcul du moral des français. Dire que les succès de tels rassemblements constituent en eux-mêmes des preuves du progrès de la conscience populaire mondiale, comme le fait ATTAC, c'est céder au vertiges idiots de la fête militante et activistes; en revanche, les ouvriers et paysans qui décrètent la grève générale dans certains pays d'amérique latine aujourd'hui remettent en cause non l'impuissance malheureuse de leurs gouvernements face aux diktats des organismes financiers internationaux, mais l'honteuse et nécessaire collusion de ces gouvernements avec les agents des multinationales, c'est à dire la réalité moderne de la classe dirigeante, poursuivant comme par le passé ses propres intérêts, sans se soucier d'un bien public qui lui est antagoniste. Personne ne parviendra à leur faire regretter ce passé, ni les gouvernements, ni les syndicats, pas même ATTAC.

Prétexte à détournement, ces sommets, et rien de plus. Ce n'est pas la fête du 1er Mai 1968 qui a provoqué les misérables accords de Grenelle, marchandage de quelques droits pour calmer la subversion ouvrière, ni les fêtes de l'Huma qui ont rendu possible certaines aventureuses expérimentations sur le plan des mœurs et de la vie sociale dans les années 70. Ce sont bien les fêtes révolutionnaires, celles qui font de celui qui y participe sa propre cause défendue passionnément, qui rendent accessibles n'importe quel progrès social ou moral à de larges masses. En outre, ce qui nous revient de ces révolutions manquées, ce sont les questions jamais résolues et d'autant plus brûlantes, c'est ce qui s'y exprimait de plus extrémiste: le déboulonnage de la colonne Vendôme, le pillage de la Banque de France, le peuple en armes (1971 à Paris, ou encore 1997 en Albanie), les conseils ouvriers, l'autogestion, la lutte anti-syndicale, le dépassement de l'art...(1968) Les pseudo-fêtes antimondialistes n'apporteront un quelconque progrès que lorsque ses participants les jugeront massivement telles qu'elles le méritent: un pauvre prétexte néanmoins suffisant pour une émeute sans revendication autre que celle de faire l'exercice en actes de sa faculté critique. Si l'on considère que la liberté réelle veut toujours l'anéantissement de ce qui n'est pas elle, on peut également penser que les émeutiers conséquents ne seront pas prêt à s'arrêter en si bon chemin. Malheureusement, et Gênes l'a bien démontré, il existe beaucoup d'émeutiers inconséquents, de demi-émeutiers qui persistent à voir dans leur pratique un moyen pour faire triompher une cause qui leur est extérieure. S'ils ne veulent pas comprendre que les moyens sont aussi des fins, que l'acte porte en lui-même sa justification, et que toute cause qui ne nous réclame qu'en tant qu'instrument est aliénante, nous leur conseillons plutôt de rejoindre le troupeau pacifiste qui lui fait profession de désintéressement et revendique l'assentiment médiatique.

Reste que si l'union de façade du "Black Block" a volé en éclats pendant et après Gênes, c'est que nous avons été assez habilement manipulés, ce qui était d'ailleurs prévisible, si l'on considère l'année et demi d'inquiétude donnée à tous les organisateurs réels ou potentiels des sommets bureaucratiques et financiers. Nous sommes passés du mépris condescendant des médiatiques pour les "vulgaires casseurs" à une hystérie qui, unanime, ressemble fort à un appel au pogrome. La nature même du discours spectaculaire rend possible un certain nombre de désinformations conscientes mais surtout inconscientes capable de déformer, voire de déterminer complètement le jugement de qui ne saisit pas l'ampleur du scandale permanent contre la vérité qui est son essence. Le message médiatique global au sujet du contre-sommet, même si indicible textuellement, revient à dire: "Les Black Blocks sont responsables de la mort de Carlo Giulani, du tabassage des manifestants pacifistes, ils sont de même nature que les mauvais policiers et leurs pratiques inavouables (anonymat destiné à l'impunité, violence gratuite, basses manœuvres, haine de l'humain), ils retardent tout progrès, voire le refusent, ils n'ont aucune conviction, sont ennemis de toute démocratie, veulent l'Apocalypse et n'auront de cesse de détruire tout et n'importe quoi, même ce pour quoi vous avez économisés sou après sou. Les Black Blocks sont vos véritables ennemis: des terroristes voyous, des fascistes incontrôlables qui n'ont pas le droit d'exister: comme tout ennemi public, ils s'organisent pour semer intentionnellement le désordre pour le désordre; pas d'excuses, donc pas de pitié: dénoncez, arrêtez, enfermez, dératisez, mettez la bête hors d'état de nuire."

Tel est, à peu de choses près, la foi intime que cherche à véhiculer le spectacle et que partagent tous ceux, quel que soit leur parti, qui raisonnent comme lui. On voit aisément que tout, dans une telle "analyse", est faux, ou plus exactement est une rigoureuse inversion de la vérité. Car "l'ambition la plus haute du spectacle, c'est que les révolutionnaires deviennent des agents secrets, et les agents secrets des révolutionnaires". Le vulgaire casseur est encore trop peu effrayant, il faut fabriquer des monstres, des dragons, hier judéo-maçonnico-bolchévique, aujourd'hui voyou-terroriste-déstructuré-fanatique-nihiliste. La stigmatisation médiatique complète la stratégie policière employée à Gênes: La police laisse un quartier aux casseurs pour que les médias puissent insinuer une complicité "objective" contre les braves pacifistes; la police n'attaque les pacifistes que quand elle peut prendre le prétexte de la présence, parmi eux d'émeutiers: ainsi peut resservir l'habituelle "prise en otage" des innocents ou l'abjecte "bouclier humain" dans le style Milosevic; on peut prendre le risque de mouiller un peu la police, car on sait que la publication alarmante de chiffres sur la délinquance galopante, ou le retour du spectre terroriste réconcilieront bien vite l'opinion publique avec "ses" forces de l'ordres; et dans le fond l'infiltration des Black Blocks par les flics ne choque personne, la fin justifie les moyens: la diffusion d'images de cochons déguisés en Black Block n'a pour seule fin que de ruiner la crédibilité des émeutiers, semer la confusion dans leurs rangs, accentuer la méfiance haineuse des pacifistes qui eux ne se croient pas infiltrés (!) de par l'onction de leur bonne conscience et se découvrent ainsi subitement les véritables ennemis de la police. Carlo Giulani a été assassiné: dysfonctionnement de la police, car le spectacle n'aime pas laisser voir qu'il tue: il préfère qu'on meure de désespoir, de suicide, d'ennui, de catastrophes plus ou moins "naturels", "d'accidents regrettables"; on ne peut pas dire qu'il n'a eu que ce qu'il méritait parce qu'on n'applique plus les exécution sommaires; mais on peut s'intéresser à sa petite existence particulière, à ce petit étudiant estampillé bon, généreux et honnête par son père; maintenant qu'il est mort, on peut voir son visage, faire son enquête comme la hyène examine les cadavres, il est redevenu objet, manipulable à merci. Maintenant qu'il est mort, tout est pardonné, les pacifistes pourront chanter sa mémoire, écrire son nom sur des banderoles, en faire le saint d'une énième croisade contre la violence policière tout en continuant de parler de l'impunité des anarchistes; ce jeune homme, mort, peut servir alors que vivant, on l'aurait bien donné aux flics en lui crachant au visage.

Oui, sans conteste, nous avons été manipulés. les tyrans vulgaires sont passés pour des démocrates pour avoir généreusement décidé de vendre la sauce humanitaire à des multinationale[2], les critiques parcellaires de toutes les variantes antimondialistes ont eu leur publicité d'un jour, et nous, nous avons un mort, des dizaines de blessés graves et d'emprisonnés, la calomnie et la suspicion dans nos rangs désunis, et la haine générale et implacable de toutes les coteries réconciliées du vieux monde contre nous.

Camarades, vous tous qui voulez sincèrement agir pour la révolution prolétarienne, nous sommes suffisamment conscients de ce qui nous divise sur le plan théorique et pratique. Mais devant l'ampleur de la répression et l'impasse dramatique dans lequel nous voyons la minorité subversive du mouvement antimondialiste, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'une remise en question de notre participation à ce type de contre-sommets est impérative pour déjouer les futurs plans que la police échafaude déjà pour nous perdre encore plus

Il est temps de s'émanciper complètement de l'antimondialisme: défier la police pour entrer dans une zone rouge plutôt que manifester pacifiquement et tenter sans violence d'y entrer, n'a pas le même sens et révèle certes une critique d'une portée plus grande, mais n'aboutit qu'à faire de vous, et pas seulement médiatiquement, les troupes de choc d'ATTAC et Cie. Vous aurez les coups et eux, le ministère. Briser de façon préméditée les vitrines de multinationales choisies pour leur charge "symbolique" (Nike, Mc Do) en s'opposant à d'autres destructions plus spontanées, tout comme l'implique le boycott des produits, privillégie des concurrents souvent tout aussi nuisibles, et sert la protestation éthique de type José Bové. S'attaquer aux vitrines, piller la marchandise, défendre notre liberté contre la police, devraient participer selon nous du même mouvement, comme nous croyons l'avoir démontré. Nous n'attaquerons jamais, n'en déplaise aux victimes de l'intoxication médiatique, quiconque est en désaccord avec nous sur la pratique comme sur la théorie s'il ne se transforme pas en policier, en curé, en docteur ès dialectique ou en intoxicateur. Notre colère - et elle peut aller très loin- s'adresse à ceux qui cherchent à nous soustraire à eux, à leurs intérêts et leurs ambitions, et, commandités par les précédents, à ceux qui nous agressent directement.

Si nous avons la prétention d'être révolutionnaires, qu'on nous explique pourquoi il faudrait l'être quand on a bien du mal à rassembler une centaine de militants, au quotidien, comme on dit; et qu'il faudrait être réformiste quand on a autour de soi la plus belle jeunesse, ces milliers de rebelles et de voyous, qui vous console par sa seule présence de cette époque immonde? Non, l'occasion est trop belle; il faut être un militant pour ne pas comprendre cela.

Nous savons bien que la révolution ne dépend pas d'un sommet antimondialiste; nous pensons néanmoins qu'il serait temps d'aggraver encore la situation en l'approfondissant. Pour cela, plusieurs propositions, non exhaustives, peuvent êtres envisagées pour détourner ces contre-sommets:

C'est à dire tenter de donner un sens révolutionnaire indéniable aux émeutes en les enracinant dans une situation de lutte de classe réelle, de dépasser la séparation entre jeunes émeutiers et travailleurs, entre politisés et non-politisés, entre étudiants et banlieusards, entre la grève du quotidien et le rassemblement exceptionnel. Il n'y a qu'en intéressant de plus larges masses au mouvement (ce qui ne signifie pas la compromission) qu'on pourra parler de victoire, d'un progrès réel, c'est à dire que dans la réconciliation d'une partie du prolétariat avec ceux qui consciemment ou non se pensent comme leur avant-garde, il est possible de dépasser conjointement l'emprise des propriétaires syndicaux, staliniens ou sociaux-démocrates et de l'apolitisme.

Nous ne savons pas encore si cela est possible, et si le fruit est susceptible de mûrir bientôt; cependant, hors de cette extension qualitative et quantitative de la lutte, nous remettrons en question la nécessité d'une participation à ces rassemblements et nous inviterons tous les révolutionnaires à en faire autant.

Camarades, l'heure n'est pas à la calomnie mais à la défense de notre mouvement durement attaqué, à son extension, à une contribution réelle à l'aggravation d'une situation déjà pré-révolutionnaire. Il est temps de mettre l'imagination au pouvoir, en commençant par nos propres rangs.

 

 

Des révolutionnaires anonymes

différentes publications sont disponibles gratuitement en écrivant à l'adresse internet

aaaaad@caramail.com

 

[1]Rappelons que ce lieux, défendu par environ deux dizaines de milliers de policiers et militaires surarmés, ne présentait qu'un seul front continu et solidement obtrué, conçu pour isoler l'assiégeant (longues rues droites et étroites, cul-de-sacs, complexité du relief, nombreuses voies d'encerclement, peu de lieux de replis...) , et que le reste de la ville était lui parfaitement adapté pour le déploiement efficace de la guérilla urbaine en vue d'affrontements avec la police.

[2] 2 milliard de dollars... voilà à quel prix dérisoire les chefs d'états des 8 pays les plus riches du mondes (dont le PNB s'élève à plusieurs milliers de milliards de dollars chacun) se paient une réputation de bon prince sur le dos de la santé dans le tiers monde. Soit même pas un dollar par habitant, et encore! cette subvention sera intégralement versée à des entreprises occidentales!


Retour en AG

Vive la révolution : http://www.mai68.org
                                    ou : http://www.cs3i.fr/abonnes/do
           ou : http://vlr.da.ru
              ou : http://hlv.cjb.net