17 octobre 2001
À Paris, des psychiatres sont employés par l'infirmerie de la
préfecture de
police pour décider si les personnes conduites devant eux par la police
doivent faire l'objet d'un internement psychiatrique. C'est sans doute là
un
point noir en ce qui concerne les Droits de l'Homme en France. Le résultat
est plus qu'inquiétant. Il y a à Paris plus d'internements que
dans un pays
comme l'Angleterre, soit plus à Paris que dans un pays de 60 millions
d'
habitants !
Comment expliquer ce chiffre sinon par une habitude établie en France
de
traiter en psychiatrie de problèmes qui relèveraient dans d'autres
pays soit
de la justice, soit des services sociaux ou simplement de la vie privée
de
chaque individu.
Si au pays des Droits de l'Homme, les internements parisiens restent le
symbole d'une certaine répression psychiatrique, il existe en fait un
problème structurel qui fait que la France se singularise par rapport
aux
autres pays européens par un poids excessif de l'institution psychiatrique.
La loi française qui régit les internements reste fortement inspirée
d'une
loi datant de 1838, confiant à l'administration la décision d'interner
ou
non. Pourtant, théoriquement, d'après notre Constitution, toute
mesure
privative de liberté devrait être prise par la justice. Une recommandation
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe préconise
d'ailleurs de
« confier la mesure d'internement à un juge ».
Cette loi, sans doute inspirée des « lettres de cachet »
monarchiques,
explique à elle seule le nombre excessif d'internements dans notre pays.
À
partir de cette loi, une sorte de tradition de l'internement s'est
développée en dépit de la nécessaire protection
dont doivent bénéficier les
citoyens.
Des statistiques récentes du Ministère des Affaires sociales sur
le nombre d
'internements par département font apparaître une pathologie psychiatrique
spécifique par région.
En fait, le seul facteur qui explique cette disparité des « maladies
mentales » est la politique administrative choisie.
L'internement reste donc un arbitraire administratif susceptible de toucher
n'importe quel citoyen.
Des cas d'internements psychiatriques abusifs existent bien en France
aujourd'hui. À peu près 200 personnes sont internées irrégulièrement
chaque
année en France, d'après les décisions de justice ordonnant
leur sortie. Ce
chiffre représente les seules personnes qui ont pu contacter la justice
pour
se plaindre de leur internement et qui ont été « libérées
».
Souvent, les internés, abrutis de drogues annihilant la volonté
et coupés de
l'extérieur ne peuvent faire aboutir une demande de sortie judiciaire.
Un
livre récent de Marie-Christine Dwelles, intitulé Le Séquestré
de Montfavet,
paru aux éditions du Rocher, dénonce l'internement abusif d'un
homme dans l'
hôpital psychiatrique de Montfavet près d'Avignon, là même
où mourut Camille
Claudel.
Cet homme a passé plus de quinze ans de sa vie dans des conditions indignes
d'un être humain, de cellule en cellule et de punitions en punitions pour
des « troubles mentaux » qui n'ont même pas été
prouvés. Il est sorti cette
année avec l'aide d'un avocat et d'un véritable comité
de soutien.
La France a été condamnée par le Comité des ministres
du Conseil de l'Europe
en octobre 1997 pour un cas similaire où une personne avait subi un
internement psychiatrique arbitraire après quelques mois de détention,
sans
même être sorti de prison.
Récemment encore, un livre de Norbert Jacquet intitulé Airbus
dénonçait l'
internement psychiatrique subi par un pilote de l'Airbus accidenté il
y a
quelques années en Alsace. Selon cet auteur, en l'internant pour des
raisons
de santé mentale, son témoignage gênant, qui mettait en
cause la sécurité de
l'avion, se trouvait ainsi discrédité.
Face à cette question cruciale de l'internement, la Commission des citoyens
pour les Droits de l'Homme se bat pour faire modifier la loi. Elle propose
notamment que ce soit la justice (et non l'administration) qui puisse
prendre la décision d'interner, après un débat contradictoire
avec la
personne concernée. C'est une proposition de bon sens partagée
par de
nombreux individus et groupes de Droits de l'Homme.
Le record de consommation de psychotropes
Le problème des internements psychiatriques, choquant en eux-mêmes,
est
amplifié par le fait que les traitements psychiatriques peuvent être
particulièrement destructifs pour l'individu.
Il est maintenant de notoriété publique que la France est le premier
consommateur au monde de produits psychotropes. 12 % de la population
prennent régulièrement, sous une forme ou une autre, des drogues
psychiatriques, soit trois à quatre fois plus que nos partenaires européens.
Cela signifie-t-il que les Français ont une tendance plus marquée
aux
troubles mentaux » que leurs voisins ? Évidemment non. De même
que les
disparités des internements forcés sont liées à
des politiques
administratives, la dangereuse surconsommation de drogues psychiatriques est
créée artificiellement.
Le rapport du Dr Zarifian de 1996 dénonçait la collusion entre
de grands
laboratoires pharmaceutiques et des psychiatres influents qui font la
promotion de ces produits auprès des médecins généralistes
et du grand
public, habituellement contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Des milliards pour la « recherche »
Depuis des années, les psychiatres annoncent qu'ils sont « au bord
d'une
grande découverte » dans leur compréhension du mental ;
ou ils annoncent la
dernière « drogue miracle » qui apportera le bonheur à
tous. Et chaque
année, sur la base de ces promesses, des milliards viennent s'ajouter
aux
milliards déjà dépensés en recherche - pour envoyer
de nouveaux rats dans
des labyrinthes et tester plus de pilules chimiques sur de nouveaux cobayes
et de nouveaux singes. Pour quel résultat ? Les statistiques de la «
santé
mentale » continuent à empirer - selon les psychiatres eux-mêmes.
Les hommes politiques doivent se réveiller devant ce scandale national
et
mener une véritable enquête sur les résultats réels
de l'industrie
psychiatrique et ses violations des Droits de l'Homme. La France ne peut
tolérer ce coût en vies humaines, ni se permettre les milliards
de francs
gaspillés dans des traitements qui s'avèrent en fait nocifs.
Pourquoi le nombre des internements de force augmentent-ils ?
Depuis la mise en application de la nouvelle loi concernant les
hospitalisations psychiatriques, un brusque accroissement du nombre des
internements sans consentement a été constaté.
Alors que la loi du 27 Juin 1990, se substituant à la loi de 1838, avait
pour objet de mieux protéger les citoyens face à certains internements
arbitraires
- en "garantissant mieux les droits des personnes hospitalisées
sans leur
consentement"
- et en "instaurant un meilleur contrôle des hospitalisations en
psychiatrie
au regard des libertés individuelles",
il apparaît, au contraire, que les internements sous contrainte
Hospitalisations d'Office et à la Demande d'un Tiers) ont augmenté
dans des
proportions tout à fait anormales comme le montre le graphe ci-dessous.
Sources: Statistiques des Etudes et des Systèmes d'Information du Ministère
de la Santé)
Un rapport de synthèse de la Commission des hospitalisations psychiatriques
du département du Nord (Année 1994) donne une explication à
cette question.
Le travail de cette commission comprend deux volets : l'étude des dossiers
des malades hospitalisés sous contrainte et les visites des dix
établissements habilités à les recevoir tel que le prescrit
la loi du 27
Juin 1990.
Voici un extrait de ses conclusions:
"... il nous a semblé que certaines garanties introduites par la
nouvelle
loi avaient été parfois contournées.
L'usage de la notion de péril imminent qui permet l'hospitalisation sur
demande d'un tiers en urgence est parfois abusif. Deux situations concrètes
nous sont apparues. Tout d'abord les médecins des grands centres d'urgences
somatiques qui souhaitent hospitaliser sous contrainte des malades dans
leurs établissements y ont volontiers recours. Les certificats qui
soutiennent ces demandes sont souvent pauvres en description clinique et les
arguments étayant le péril imminent sont le plus souvent inexistants.
De la même manière, mais cette fois-ci du côté de
l'administration des
établissements psychiatriques, quand un malade arrive avec des certificats
médicaux incomplets ou mal rédigés, il semble que certaines
hospitalisations
sur demande d'un tiers prennent, après coup, leur caractère de
péril
imminent, avec des certificats refaits et postdatés. Il est probable
que la
plus grande partie de ces situations échappent à la commission
si les
corrections sont bien faites.
Nous avons aussi remarqué que certains grands centres d'urgences somatiques
avaient mis en place des formulaires pré-imprimés de certificats
médicaux d'
HDT. Il apparaît ainsi que les deux certificats médicaux obligatoires
sont
étroitement superposables à la seule exception du nom des certificateurs.
Cet usage qui détourne l'esprit de la loi a débuté à
la Cité Hospitalière et
tend à s'étendre aux autres établissements de grande taille.
Pour les HDT de longue durée, il apparaît que les certificats mensuels
sont
souvent automatiquement reproduits, y compris les fautes de frappe, de mois
en mois, étayés sur des descriptions cliniques laconiques et parfois
même
sans description aucune, ces certificats émanent le plus souvent des
services ou des établissements ayant les plus grandes dotations en lits."
Conclusion:
Comme le montre le rapport ci-dessus, la cause de l'augmentation du nombre
des internements de force est que la procédure d'urgence elle-même
est
utilisée de façon abusive et que c'est ce point qui devrait faire
l'objet
d'une surveillance plus grande de la part des pouvoirs publics et
judiciaires.
Trouvé sur le web sur le site www.penelopes.org
à ne pas ranconter le soir aux petits enfants avant de dormir...
"Si t'es pas sage maman va t'envoyer chez les psy !"
Le droit de cuissage au XXIe siècle
Ou : Quand un homme politique est protégé par le pouvoir en place
!
par Michèle Dayras
(15 mai 2001)
Cela se passe dans une petite ville de province nichée au fond des
montagnes.
Nadine* est employée comme technicienne de surface, selon la terminologie
moderne, dans une bâtisse officielle qui dépend de la municipalité.
Elle est
femme, elle est jeune, elle occupe une position subalterne; « la chair
est
faible » quand il s'agit des hommes, c'est bien connu (!). et c'est ainsi
que son calvaire commence.
Comme les autres jeunes filles qui avaient travaillé dans ces locaux
avant
elle, Nadine* devient la victime privilégiée du gardien, Monsieur
Liriot,*
du Directeur, Monsieur Crépineaux* et du Président du Conseil
d'
Administration, Monsieur Ruzeillier.* Le droit de cuissage, que l'on croyait
disparu avec la reconnaissance des droits humains des femmes, existe encore
dans ce système patriarcal où les hommes conservent tous les pouvoirs
et s'
octroient tous les privilèges. Harcèlement sexuel, harcèlement
moral, rien
ne manque ! Nadine* doit supporter les attouchements sexuels, faire des
fellations, approcher ces corps d'hommes qui s'imposent à elle. Alors
elle
dit NON ! et menace de dénoncer ce qui se passe. Et malgré l'exemple
des
autres jeunes filles qui ont, l'une après l'autre, été
mutées, Nadine* ne
craint pas les représailles et s'insurge contre le sort qui lui est fait.
Elle est sanctionnée pécuniairement dans un premier temps et prévient
son
syndicat. Puis, lorsqu'elle décide de manifester seule devant son lieu
de
travail pour informer la population, le pays « des droits de l'homme et
du
citoyen » le lui rend bien : la police l'embarque à l'hôpital
psychiatrique
où elle va rester deux mois. C'était en 1998. Dans le même
temps, elle est
radiée de son poste de travail et mise en longue maladie.
Mais Nadine* est une battante qui croit fermement que son pays est une
démocratie dans laquelle la justice existe et que cette justice est égale
pour tous et pour toutes. Et elle porte plainte contre Messieurs Liriot*
Crépineaux* et Ruzeillier* auprès du Tribunal de Grande Instance,
prévient
la presse locale, écrit au Procureur de la République. Elle choisit,
même,
de rencontrer le Directeur Général des Services du département.
Enfin, elle
relance le Commissaire de Police. Qu'à cela ne tienne ! Les enquiquineuses,
on leur apprend à se comporter ! Elle se retrouve, à nouveau,
en psychiatrie
pour deux mois : on finira bien par briser ses velléités de justice
et on
aura raison de son franc-parler.
Décidée à faire entendre sa voix et à obtenir réparation
pour les violences
sexuelles auxquelles elle a été soumise, Nadine* reprend son travail
en
portant un brassard qui dénonce le viol qu'elle a subi. La réponse
ne se
fait pas attendre : c'est le 3ème enfermement en psychiatrie pendant
une
quinzaine de jours pour tenter, une nouvelle fois, de briser sa force, son
courage et sa détermination.
Car Monsieur Ruzeillier* n'est pas n'importe qui, même si son comportement
tendrait à suggérer le contraire. Il fait de la politique et il
est protégé
en haut lieu, au niveau étatique faut-il le préciser ? Alors,
que peut faire
une jeune employée de l'équipe de nettoyage contre un monsieur
aussi
puissant et aussi puissamment protégé ? RIEN ! On souhaite qu'elle
le
comprenne avant qu'il ne soit trop tard pour elle et pour son psychisme, car
les séjours en service spécialisé s'accompagnent de bonnes
doses de
médicaments de toutes sortes, injectés DE FORCE, qui transformeraient
n'
importe lequel des hommes les plus violents en « légume «
humain, en un rien
de temps; et au besoin, il reste encore la camisole de force. N'oublions pas
que la France est le pays d'Europe où la pratique des INTERNEMENTS ABUSIFS
est la plus fréquente et où le pouvoir administratif TOUT PUISSANT
laisse la
personne sans moyen de défense contre l'arbitraire de sa situation.
Il est opportun de se demander qui dirige une telle structure hospitalière
dans cette ville de province ? C'est une femme, la Docteure Maricelli.*
Nommée à ce poste par les instances locales, ce n'est pas elle
qui discutera
du bien-fondé de l'internement en cours; elle se contente de «
soigner »
celle qui n'a nullement besoin de ses soins. Quant au médecin qui reçoit
Nadine* pour sa reprise éventuelle de travail, après chacun de
ses passages
en psychiatrie, il s'agit du Docteur Chen-Du,* du Comité Médical
de la
DDASS, qui n'est autre que le mari de la psychiatre; tout se passe donc en
famille et le secret est bien gardé ! Avant de donner son accord à
la
reprise d'activité, le Docteur Chen-Du* ne manque pas de demander à
Nadine*
« si oui ou non elle compte enlever ses plaintes » ? Comme elle
répond que
non, elle reste en arrêt de travail en attendant le prochain séjour
en
psychiatrie.
Et c'est ainsi que tout s'enchaîne, que tout s'intrique, que tout s'acharne
pour qu'avortent toutes les tentatives de Nadine* de voir la vérité
éclater
au grand jour. Elle ne renonce pas pour autant. Consciente de son bon droit,
elle croit encore en la justice de son pays et ne retire pas ses plaintes.
Mais rien n'y fait, tout est étouffé; ses différents avocats
piétinent; la
presse reste muette; seuls les syndicalistes la soutiennent dans ses
épreuves et dans ses démarches et osent évoquer ce qui
se trame; en vain !
Dernier rebondissement de cette pénible affaire : l'an 2001. Malgré
les
multiples pressions exercées à son encontre, Nadine*, qui n'a
pas repris son
travail depuis plus d'un an et demi, a maintenu sa plainte (entre autres)
contre Monsieur Crépineaux.* C'est, vraisemblablement, pour cette raison
qu'
elle se retrouve internée pour la 4ème fois et que la Docteure
Maricelli* la
met sous curatelle. C'est cette période de deux mois, passés en
service
fermé où elle est abreuvée de thérapeutiques, qu'elle
choisit pour contacter
le Groupe-Information-Asile (GIA) association spécialisée dans
la lutte
contre les internements abusifs et SOS-SEXISME.
Nadine* est sortie maintenant. Sa curatelle vient d'être levée
par la Dre
Maricelli* qui la trouve « très bien » ! Pourquoi ce revirement
soudain ?
Sans doute parce que les choses se précisent et se mettent enfin à
bouger.
Parce que l'ami de Nadine a remué ciel et terre pour que ce cauchemar
cesse.
Parce que le GIA a choisi d'entamer une procédure. Parce que SOS-Sexisme
a
promis à Nadine de diffuser sa vérité et de raconter l'odieuse
réalité de ce
qu'elle a vécu. Et aussi, parce que la famille d'une jeune femme,
ex-employée de bureau, vient de porter à la connaissance de tous
la plainte
qu'elle a déposée contre l'un des harceleurs, le fameux Monsieur
Crépineaux*
qui, actuellement, ne travaille plus dans la structure incriminée dont
il
semble avoir été éloigné volontairement.
Nadine* a, enfin, trouvé l'appui de personnes qui veulent lutter contre
les
mensonges et qui choisissent de dénoncer l'arbitraire de ses internements
et
de faire reconnaître le harcèlement sexuel et le harcèlement
moral qu'elle a
subis depuis si longtemps dans l'indifférence quasi générale,
dans ce pays,
la France, où l'ON NE TOUCHE PAS AUX HOMMES POLITIQUES surtout s'ils
sont
protégés en haut lieu !
* NDLR : les noms et les prénoms des protagonistes sont fictifs.
Pour la définition du viol, voir l'Article 222.23 du Code Pénal
français (la
fellation est un viol).
Pour manifester votre solidarité à Nadine* :
envoyez un email à sexisme@club-internet.fr
ou écrivez à SOS SEXISME (en précisant « Pour Nadine
* »)
2 rue du Bel Air - 92190 - Meudon-Bellevue - France
http://perso.club-internet.fr/sexisme
Vous n'irez pas en taule...
... mais peut-être en HP.
L'Express du 10/05/2001
Psychiatrie
La dérive asilaire
par Gilbert Charles
Depuis dix ans, le nombre d'«hospitalisations sous contrainte» a
augmenté
de 60%, touchant 40 000 personnes par an. Une triste exception
française©S.Bollendorff/L'Oeil Public
44% des internements sous contrainte ne seraient pas médicalement
«appropriés».
Il y a Billy, un gamin de 13 ans, placé par les services sociaux dans
une
famille d'accueil... qui l'a fait interner dans un hôpital psychiatrique
de
la région de Tarbes, parce qu'elle ne voulait plus s'en occuper. Il y
a
Alicia, une Parisienne de 58 ans, qui s'est retrouvée embarquée
par la
police et enfermée pendant quarante-cinq jours à Sainte-Anne à
la suite de
la dénonciation d'un voisin. Il y a Claude Baudoin qui, après
avoir purgé
une peine de vingt ans de réclusion pour un crime passionnel, est resté
enfermé onze années supplémentaires dans une unité
psychiatrique. Il y a
René Loyen, un ancien VRP, hospitalisé pendant deux ans à
la suite d'un
banal conflit de voisinage, auquel le tribunal de Lille a accordé en
juillet
dernier 3,9 millions de francs de dommages et intérêts pour internement
abusif. Des dizaines d'affaires similaires sont aujourd'hui en attente de
jugement. La psychiatrie est-elle devenue folle?
C'est un phénomène bien français qui ne cesse de se développer:
chaque
année, des milliers de gens sont hospitalisés de force en psychiatrie,
à la
demande d'un parent, d'un voisin ou de l'administration. Depuis dix ans, le
nombre d' «hospitalisations sous contrainte» a augmenté de
60% dans
l'Hexagone. Une dérive sévèrement dénoncée
dans le dernier rapport de la
Cour des comptes et qui a valu à la France d'être plusieurs fois
condamnée
par la Cour européenne des droits de l'homme. «Notre pays est le
seul du
Vieux Continent où l'administration dispose encore du pouvoir d'interner,
alors que celui-ci est confié partout ailleurs aux médecins ou
aux juges,
observe le Dr Claude Louzoun, psychiatre et cofondateur du Comité européen
droit, éthique et psychiatrie (Cedep). L'hospitalisation sans consentement
ne devrait se justifier que pour un nombre infime de cas, mais elle est
devenue chez nous une solution de facilité qui permet de traiter toutes
sortes de problèmes sociaux, des conflits conjugaux à l'éthylisme
en passant
par la petite délinquance.» Une dérive d'autant plus paradoxale
que la
politique officielle depuis vingt ans - avec la sectorisation - consiste à
vider les hôpitaux psychiatriques.
«Un malade mental a chez nous
moins de droits qu'un criminel»
Depuis 1838, la législation française prévoit deux types
d'internement sous
contrainte. D'une part, «l'hospitalisation d'office», une procédure
décidée
par le maire ou le préfet pour «trouble à l'ordre public»
et qui s'applique
aux individus violents ou dangereux pour autrui. D'autre part,
l'hospitalisation «à la demande d'un tiers», qui peut être
réclamée par un
parent, un voisin, une assistante sociale voire l'employeur du patient. En
1990, le Parlement a voté une législation (dite «loi Evin»)
destinée, en
principe, à encadrer les internements psychiatriques en instituant notamment
un double certificat médical pour les hospitalisations à la demande
d'un
tiers - 75% des internements forcés. Mais cette loi n'a rien réglé:
le
nombre des internements sous contrainte n'a cessé d'augmenter depuis,
pour
atteindre aujourd'hui un total de 60 000 par an, soit environ 13% des
admissions en hôpital psychiatrique. Sachant qu'un certain nombre de
patients sont internés à plusieurs reprises, ce phénomène
concerne environ
40 000 personnes. Trois à quatre fois plus qu'en Italie, en Espagne ou
au
Royaume-Uni! Les statistiques varient énormément d'une région
à l'autre sans
que personne ne puisse expliquer pourquoi. Rapporté à la population
générale, le taux d'hospitalisation à la demande d'un tiers
est, par
exemple, quatre fois plus élevé dans le département de
la Vienne que dans le
Territoire de Belfort, et les hospitalisations d'office sont dix fois plus
nombreuses en Haute-Corse que dans la Haute-Marne.
«L'internement semble devenu la réponse automatique face à
des patients un
tant soit peu difficiles ou imprévisibles, explique Philippe Bernardet,
sociologue au CNRS. La décision est d'autant plus facile à prendre
qu'il
n'existe pratiquement aucun contrôle sérieux des certificats médicaux
ni
aucun débat possible au moment de l'internement. Un malade mental a chez
nous moins de droits qu'un criminel qui, lui, bénéficie d'un procès
contradictoire avant d'être privé de liberté.» La
plupart des attestations
médicales sont en effet rédigées après coup et se
résument souvent à une
description sommaire des troubles du patient. Certaines sont carrément
remplies à partir d'un formulaire standard imprimé à l'avance,
porte ouverte
à l'arbitraire.
Une étude menée par l'Inspection générale des affaires
sociales (Igas) en
1985 a montré que 44% des internements sous contrainte n'étaient
pas, en
réalité, médicalement «appropriés»,
soit parce que les troubles psychiques
ne justifiaient pas une hospitalisation, soit parce que les intéressés
relevaient davantage d'une prise en charge d'ordre social plutôt que
médical. Rien ne démontre que cela ait changé. «On
enferme des personnes
âgées qui relèvent de la maison de retraite ou des polyhandicapés,
qu'on
parque en hôpital psychiatrique faute de structures de soins adaptées»,
remarque Claude Louzoun.
A Paris, la plupart des «agités» récupérés
par la police sur la voie
publique sont conduits à l'infirmerie de la préfecture de police
de Paris
(IPPP), rue Cabanis. Menottés et fouillés au corps, ils sont placés
en
observation dans des cellules pendant vingt-quatre à trente-six heures
avant
d'être orientés vers les hôpitaux psychiatriques de la région
parisienne.
L'IPPP, dont les associations de défense des malades et de nombreux
psychiatres réclament la fermeture, est une institution médicale
au statut
particulier qui n'est pas contrôlée par le ministère de
la Santé, mais
dépend directement de l'Intérieur. Chaque année, plus de
2 000 personnes
sont internées d'office via cette infirmerie très spéciale:
un chiffre
équivalant à celui des placements d'office dans tout le Royaume-Uni.
Sortir de ce système absurde
Une fois interné, le patient se retrouve piégé. «Dès
mon admission, on m'a
bourrée de neuroleptiques qui me paralysaient la bouche et m'empêchaient
de
m'exprimer, se souvient Marie-Christine, une psychotique de 40 ans,
hospitalisée sous contrainte pendant quinze jours après avoir
été victime
d'un épisode délirant dans un magasin: j'étais tétanisée
et évidemment
incapable de me défendre.» En principe, toute personne hospitalisée
de force
doit subir un nouvel examen dans les douze jours suivant son admission. Dans
le cas d'une hospitalisation d'office, un nouveau certificat doit être
établi un mois après l'entrée du malade, et ensuite tous
les trimestres.
Très souvent, la décision est simplement reconduite.
Bernard Kouchner, ministre de la Santé, entend proposer prochainement
une
révision de la loi Evin pour redéfinir et renforcer les droits
des malades
mentaux. Cette réforme devrait limiter les cas d'hospitalisation d'office,
donner au malade la possibilité de refuser un traitement et lui permettre
d'accéder à son dossier médical. «Mais la seule façon
de sortir de ce
système absurde consiste à confier aux juges la décision
d'internement, sur
avis médical, comme l'ont fait la plupart des autres pays», estime
André
Bitton, président du Groupe information asiles (GIA), une association
de
défense des usagers de la psychiatrie. Le gouvernement, craignant une
multiplication des contentieux, ne semble pas prêt à aller jusque-là.
Ce
principe de judiciarisation a pourtant fait ses preuves. Au Royaume-Uni, le
malade est placé pendant vingt-huit jours en observation et ne se voit
imposer une thérapie qu'après le contrôle d'un tribunal.
En Italie, c'est le
juge des tutelles qui intervient, soixante-douze heures après l'internement,
pour valider la détention. Résultat: la durée moyenne des
placements est de
douze jours dans la péninsule, contre cinquante jours en France.
Vive la révolution : http://www.mai68.org
ou :
http://www.cs3i.fr/abonnes/do
ou :
http://vlr.da.ru
ou :
http://hlv.cjb.net