L'analyse de la situation sociale et politique
de ces dernières semaines met en lumière trois caractéristiques majeures :
1) D'une part, l'existence d'un mouvement revendicatif
important, de par le nombre de travailleurs en lutte, l'ampleur des mobilisations,
la durée de celles-ci.
2) D'autre part, un gouvernement qui a dû reculer
sur plusieurs points des réformes dont il a fait son cheval de bataille et
qui a dû engager un remaniement ministériel important, visiblement anticipé
sur le calendrier qu'il s'était fixé.
3) Enfin, l'ouverture quasi officielle des grandes
manœuvres à droite comme dans la majorité plurielle en vue des élections municipales
qui s'inscrivent clairement dans la préparation des présidentielles.
Plusieurs secteurs de la fonction publique ont été
en lutte pendant des semaines : la santé, partie en premier et depuis longtemps,
les enseignants, les travailleurs des impôts et les postiers. Dans ce dernier
cas, la mobilisation qui part des mêmes problèmes (application de la loi Aubry)
reste éclatée, un éparpillement sciemment organisé et entretenu par les directions
syndicales.
A un moment donné, les trois premiers mouvements se
sont retrouvés mobilisés en même temps, ce qui s'est traduit, dans certains
cas, par des manifestations communes. Ces trois secteurs sont en lutte contre
les conséquences de la politique de la gauche plurielle dans leur domaine
respectif. Elle se traduit par la baisse des effectifs de la fonction publique,
l'augmentation de la productivité du travail, le recours à du personnel précaire.
Elle a également de lourdes conséquences pour les usagers des services publics,
conséquences dénoncées par ces travailleurs qui ont eu à cœur d'expliquer
le sens de leur lutte, pour gagner le soutien des milieux populaires.
Cette politique est celle des monopoles, au niveau
national comme au niveau international, que ce soit dans l'Union européenne
ou dans les pays dominés par l'impérialisme, où elle est désignée par le terme
de "néolibérale". Elle consiste à drainer toujours plus de richesses vers
les monopoles dominants, pour garantir les profits des investisseurs dans
la "nouvelle" et l'ancienne économie, au détriment des masses populaires.
Certains pays, notamment les pays anglo-saxons, sont en avance dans ce domaine,
et s'ils font rêver les capitalistes qui trouvent qu'ils paient toujours trop
d'impôts, que l'Etat (entendez par là les budgets sociaux) est toujours trop
gros, ils servent de contre-modèles aux travailleurs mobilisés.
Les milieux populaires ont été très présents et actifs
dans la mobilisation des enseignants, surtout dans les régions particulièrement
touchées par la crise, à fortes concentrations ouvrières et populaires, autour
du mouvement des enseignants des LEP. Pour ceux qui n'ont plus grand-chose
à perdre dans ce système qui les broie et qui veut faire de leurs enfants
de la chair à profit immédiat, le fond des problèmes de l'école n'est pas
seulement une question de moyens, même si cet aspect est important, mais de
choix de classe pour l'enseignement de masse, celui qui s'adresse aux enfants
des milieux populaires. Cela s'est exprimé par la dénonciation d'une mainmise
toujours plus grande du capital sur l'école, portée en avant par les profs
des LEP.
Le mouvement dans la santé est un mouvement "ancien",
qui connaît des moments de mobilisation nationale et de multiples mouvements
locaux. Le gouvernement, avec l'aide active des directions syndicales, essaie
de clamer le jeu. C'est le sens des propositions "Aubry" qui lui font gagner
du temps, mais ne remettent pas en cause les objectifs de rentabilisation
de la santé. Autrement dit, les raisons de la colère demeurant, les motifs
de se battre aussi.
Le mouvement aux impôts a surpris tout le monde, y
compris les travailleurs de ces services, par son ampleur et sa détermination.
Il a montré que les travailleurs de certains secteurs clés de ce système ont
de grands moyens de pression sur lui (en bloquant le recouvrement des impôts,
par exemple). Ils ont su les utiliser et ont fait reculer le ministre, ce
qui a certainement joué un rôle galvanisateur sur les autres secteurs en lutte,
qu'ils soient enseignants ou ouvriers du privé.
Cette expérience marque une certaine rupture avec
le légalisme qui est très fort dans ces secteurs de l'appareil d'Etat. Utiliser
des moyens de pression "illégaux" pour se battre ne fait plus dresser les
cheveux.
Ces trois mouvements (et il en est de même pour les
postiers) se sont développés contre un gouvernement de la gauche plurielle.
Dans certains endroits, on a vu des rapprochements qu'on a connus en décembre
95 : à Brioude, par exemple, la poste centrale qui fait office de centre de
tri, où les travailleurs étaient en grève depuis un mois contre les conséquences
de l'application des 35 heures est devenue le lieu de rendez-vous de toutes
les catégories de grévistes, enseignants et postiers.
Dans le secteur privé, l'attaque du patronat et du
gouvernement autour de la loi Aubry est passée. De très nombreuses luttes
éclatent actuellement notamment pour limiter les dégâts de l'application de
cette loi que le patronat sait parfaitement utiliser pour essayer d'imposer
baisses de salaires, flexibilité accrue, etc. Bref, tout ce que les militants
de lutte de classe n'ont cessé de dénoncer dans cette loi de régression sociale.
D'autres touchent de grandes entreprises, comme Dassault, Péchiney, Alsthom,
sur des revendications de hausses substantielles de salaires (les 1 500 F
chez Dassault) ou pour s'opposer aux plans de licenciements. Partout elles
sont longues, avec une participation active de jeunes travailleurs. Et si
elles ne débouchent pas sur la satisfaction de l'ensemble des revendications,
ce n'est pas le sentiment d'échec qui domine mais une plus grande colère contre
le patronat, les gestionnaires des entreprises dont le seul critère est la
recherche du profit maximum.
Ces luttes sont complètement passées sous silence.
L'information entièrement contrôlée par les monopoles minimise au maximum
l'ampleur de la contestation sociale actuelle, notamment dans le privé.
Pour essayer de diviser les travailleurs entre "public",
privé et précaires, le gouvernement a ouvert le dossier des retraites des
fonctionnaires, sur le thème de "l'égalité" avec le privé. Ce dossier est
politiquement sensible, à quelques mois des prochaines élections. Pour le
moment, Jospin a annoncé l'ouverture de négociations avec les syndicats et
Fabius est chargé de mettre en œuvre les "fonds de pension à la française".
Autrement dit, le gouvernement cherche à contourner l'obstacle de la réforme
des retraites, en mettant déjà en place les dispositifs ouvrant la porte à
la retraite par capitalisation, en poursuivant la précarisation de l'emploi
dans la fonction publique (davantage de personnels sous statut privé) plutôt
que d'engager une réforme frontale, à l'image de ce qu'avait voulu faire Juppé.
Du moins, pas avant les élections.
Le remaniement gouvernemental est à replacer dans
ce contexte. Il a été avancé dans le temps à cause de la contestation sociale
qui touche la base sociale et électorale du PS et du PCF, qui a manifesté
sa colère dans plusieurs élections de portée locale. Jospin a donc pris les
devants, en prenant soin de mouiller toutes les composantes de la gauche plurielle.
Le PCF a été récompensé de son congrès d'abandon consommé en obtenant un ministre
supplémentaire, de même que les Verts. Au sein même du PS, tous les courants
sont à nouveau représentés, de l'aile "gauche" (Mélenchon), aux Fabusiens
("les sociaux-libéraux"). Et tous ont répondu présents avec empressement.
La méthode de dialogue va se décliner sur tous les fronts et le PCF est appelé
à jouer pleinement son rôle d'accompagnateur du mouvement social, pour éviter
qu'il ne conteste le système. Et toutes ces composantes sont déjà mobilisées
pour les prochaines élections, et elles vont s'efforcer de mobiliser leur
base sociale et électorale dans le même sens.
Ce changement de gouvernement est donc à la fois un
aveu de difficultés et en même temps une machine pour reprendre l'initiative
politique. Le gouvernement espère bénéficier de "l'embellie" de la reprise,
une embellie qui peut d'ailleurs se transformer en cauchemar, pour peu que
la bulle spéculative de la "nouvelle économie" explose.
Le cauchemar pour le gouvernement va venir plus certainement
du mouvement social car s'il a réussi à calmer le jeu dans certains secteurs,
il n'a rien résolu dans le fond et personne, si ce n'est Hue et consorts,
ne croit à une orientation vers la gauche de sa politique. C'est plutôt un
moment de "respiration", un moment où on se rassemble pour tirer les leçons
des luttes, pour organiser la solidarité avec ceux qui se battent et où on
prépare la prochaine bagarre.
La Forge, n° 396, avril 2000.
Organe central du Parti Communiste des Ouvriers de France.
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