24 mai 2002
LA FONDATION D'ISRAËL
  FUT UN NETTOYAGE ETHNIQUE
Témoignage spécial Ilan 
  Pappé 24/05/2002 
  Interview de Ilan Pappé, réalisée par Amaya El Bacha.
Ilan Pappé est un universitaire israélien actuellement objet d'une procédure d'expulsion de l'université de Haïfa où il enseigne depuis 10 ans.
          M. 
  Ilan pappé, vous êtes une des figures de proue du courant connu sous le nom 
  des "nouveaux historiens" israéliens, né en 1988, date à laquelle les archives 
  israéliennes et britanniques ont été ouvertes, ce qui a permis une nouvelle 
  lecture de ce qui s'est réellement passé en mai 1948, date à laquelle a 
  été créé l'état d'Israël. Cette fête nationale pour les Israéliens est une Nakba 
  ou grande catastrophe pour les Palestiniens qui se sont vu expulsés de leurs 
  terres. 
  
            Vos recherches d'historien 
  vous ont conduit à affirmer la thèse selon laquelle un nettoyage ethnique avait 
  été commis à ce moment là, nettoyage à l'origine du conflit au proche orient. 
  Cette Nakba, Cette catastrophe, vous en parlez dans votre illustre ouvrage "la 
  guerre de 1948 en Palestine aux origines du conflit israélo-arabe", où vous 
  racontez l'exode des palestiniens chassés de leurs terres et leur destin une 
  fois devenus des réfugiés. Notons que vos ouvrages n'ont jusque là pas été publié 
  en hébreu alors qu'ils ont été écrits en hébreu et traduit en anglais et en 
  français. 
  
            Ilan Pappé, vous 
  enseignez, depuis 10 ans, l'histoire du moyen-orient, à l'université de Haifa. 
  Vous avez reçu dimanche 12 mai une convocation à un procès dans votre université. 
  L'accusation représentée par le professeur Arye Rattner, Doyen de la faculté 
  des Sciences humaines, demande votre expulsion en raison de propos diffamatoires 
  que vous auriez tenu contre cette institution, en l'an 2000, à la suite de l'affaire 
  Katz, du nom d'un étudiant de maîtrise Teddy Katz, qui a dévoilé, selon vous, 
  un des massacres les plus horribles perpétré par l'armée israélienne en 1948. 
  Celui du village de Tantura. 
  
            Q : Quelles sont 
  selon vous les véritables raisons de cette tentative d'expulsion ? 
  
            R : trois raisons 
  ont motivé cette décision :
La première, est que j'ai signé une pétition appelant la communauté européenne à sanctionner le milieu académique israélien pour son manque d'indépendance à l'égard du gouvernement. J'ai été l'un des neuf universitaires israéliens à le faire ce qui a provoqué la colère de nombreuses personnes à l'université qui ont alors décidé d'utiliser mes critiques lors de l'affaire Katz pour régler du même coup un vieux compte.
          La 
  deuxième raison est que j'ai finalement réussi à trouver un journal universitaire 
  en hébreu qui a accepté de rendre publique un article retraçant l'affaire Katz, 
  le massacre de Tantura, ainsi que les critiques que j'ai émises à l'égard de 
  l'université à cause de sa position dans cette affaire. J'avais fait cet article 
  en anglais à l'époque de cette affaire. Mais les Israéliens ne lisent pas l'anglais. 
  Ils s'en moquent, vous pouvez tout publier tant que vous ne le faites pas en 
  hébreu. La demande d'expulsion est aussi une tentative pour empêcher cette publication. 
  
  
            La troisième raison 
  est que je m'apprête à donner un cours sur la Nakba l'an prochain à l'université. 
  Personne ne l'a jamais fait avant dans les universités israéliennes. On ne peut 
  pas dicter à un enseignant le contenu de son cours en Israël. Dieu merci, nous 
  avons encore cette indépendance alors on essaye de vous expulser pour que le 
  cours n'ait pas lieu. 
  
            L'appel au boycott 
  du milieu académique israélien, l'article en hébreu sur l'affaire Katz et le 
  massacre de Tantura ainsi que mon cours sur la Nakba sont les véritables trois 
  raisons de cette expulsion. 
            Mais les raisons 
  qui m'ont été signifiées dans la convocation ont été quelques critiques que 
  j'avais énoncées en condamnant l'université à la suite de l'affaire Katz à savoir : 
  j'avais jugé immoral la position adoptée par l'université dans l'affaire et 
  j'avais parlé de lâcheté mûe par des motivations idéologiques. 
  
            Q : Pouvez-vous 
  me parler du massacre du village de Tantura, sujet de mémoire de Teddy Katz 
  et de la procédure pénale dont a fait les frais l'étudiant à la suite des conclusions 
  de sa recherche basée sur les témoignages enregistrés des survivants du massacre 
  et de vétérans israéliens qui ont participé à ce massacre ? 
            R : Le village de 
  Tantura faisait parti des 64 villages palestiniens qui se situaient dans 
  la petite région très peuplée, délimitée par ce qui est devenu aujourd'hui Tel-Aviv 
  au sud et Haïfa au nord.
            En 
  mai 1948, tous ces villages ont été effacés. Leurs habitants ont été expulsés. 
  L'armée israélienne se contentait en principe d'expulser les Palestiniens. Elle 
  ne les massacrait pas. Mais à Tantura, un très grand village de 1500 habitants, 
  l'armée a encerclé le village. Les habitants n'avaient aucun moyen de s'échapper. 
  Les soldats se sont retrouvés avec tous ces palestiniens à leur merci. C'est 
  alors qu'ils ont décidé de les massacrer. Ils ne voulaient pas se retrouver 
  avec des prisonniers de guerre. 
            À chaque 
  fois que cette situation s'est présentée, il y a eu recours au massacre. Les 
  femmes étaient épargnées mais les hommes dont l'âge était au-dessus de 13 ans, 
  y passaient. Les conclusions de Katz correspondent aux éléments faisant partie 
  de l'histoire orale, aux témoignages ainsi qu'aux archives de l'armée israélienne. 
  Les recherches ultérieures que j'ai réalisées sur la question m'ont fait aboutir 
  aux conclusions de Katz : 200 à 250 personnes massacrées à Tantura et ceci, 
  dans le cadre d'une entreprise plus globale de nettoyage ethnique plus global 
  qui a au lieu en 1948 et que nous avons pointé du doigt. 
  
            Q : L'université 
  avait octroyé la mention très bien au mémoire de Katz dont des extraits ont 
  été repris par la presse israélienne lançant un débat en Israël qui a poussé 
  des vétérans de la brigade qui a commis ce massacre à Tantura à poursuivre l'étudiant 
  pour diffamation 
            R : L'unité qui 
  porte la responsabilité du massacre de Tantura a traîné Teddy Katz devant la 
  justice pour diffamation 
          Q 
  : cette même unité dont certains membres se sont confiés à Teddy Katz 
            R : Oui. Certaines 
  personnes avaient admis avoir commis le massacre. Quelques uns ont nié ce qu'ils 
  avaient affirmé lors de ces témoignages mais les enregistrements attestent de 
  ce qu'ils avaient d'abord avoué. Puis, pour des raisons que Katz lui-même n'arrive 
  pas à s'expliquer, après deux jours de procès, il a déclaré à la cour "j'ai 
  eu tort j'ai fabriqué ces témoignages, j'ai menti, ils n'ont pas commis un massacre, 
  je demande des excuses !" Il faudrait l'écouter. Il pourrait s'expliquer. 
  Il subissait à l'époque, une énorme pression. Ce qui est important, c'est que 
  12 heures plus tard il s'est dit "mais qu'est ce que je viens de faire ? 
  Je maintiens mes conclusions" mais c'était évidemment trop tard. Les excuses 
  faites l'avaient discrédité aux yeux du public. Il a alors exprimé le désir 
  de faire appel mais le tribunal en Israël ne vous permet pas de le faire si 
  vous avez signé des excuses. L'affaire s'est ainsi terminé en novembre 2001. 
  L'université lui a alors retiré son titre et son mémoire. Il est assez naïf. 
  Il veut réécrire sa thèse pour aboutir aux même conclusions dans l'espoir qu'elle 
  soit acceptée cette fois-ci. J'en doute fort ! Il a l'intention de présenter 
  de nouveau sa thèse dans deux mois. 
  
            Q : Quelle a 
  été votre réaction à l'issue de l'affaire Katz ? Réaction qu'on vous reproche 
  aujourd'hui, presque deux ans plus tard ? 
            R : J'ai rédigé 
  une lettre à l'intention de nombreuses associations d'historiens dans le monde. 
  Je leur ai dit que j'étais seul dans ma lutte contre la décision de l'université 
  de ne pas reconnaître le travail de recherche de Katz. Dans ma lettre, j'ai 
  dénoncé l'attitude de l'université et disait que l'institution aurait pû reprendre 
  Katz sur les cinq ou six imperfections qu'il a commises dans son mémoire, ce 
  qui d'ailleurs n'aurait rien changé à la conclusion finale. Il les aurait ainsi 
  inclus et l'affaire aurait été bouclée pour de bon. Mais au lieu de cela, l'université 
  a tout fait non pas pour faire échouer Katz mais pour que la vérité ne se fasse 
  pas sur ce point de la Nakba. J'ai alors expliqué cela aux présidents d'associations. 
  Je leur ai dit que l'importance de leur intervention, car si l'université avait 
  été soumise alors, à une véritable pression extérieure, elle aurait peut-être 
  reconsidéré sa position. Mais, American Release and Studies Association a été 
  la seule association à répondre à mon appel et l'université a donc ignoré son 
  intervention. 
  
            Q : comment a 
  réagit l'université à vos critiques à l'époque ? 
            R : Je suis boycotté 
  à l'université depuis. Je suis exclu de toutes les rencontres universitaires, 
  de tous les séminaires qui se tiennent et des conférences. Ce boycott atteint 
  son summum avec ce procès intenté contre moi pour tenter de m'expulser et que 
  doit prendre en charge le seul tribunal habilité à le faire. Le tribunal disciplinaire 
  qui peut expulser un enseignant même après 10 ans d'ancienneté. 
  
            Q : Au lieu de 
  demander à vos collègues de vous soutenir vous avez fait appel aux universitaires 
  dans le monde. Parce que vous aviez testé par le passé leur passivité à diverses 
  occasions. Pouvez-vous me parler de ces occasions là et la raison pour laquelle 
  ils restent passifs cautionnant du coup la répression de la liberté de pensée 
  et d'expression ? 
            R : Quand j'ai publié 
  ma position à l'issu de l'affaire Katz, l'université a annulé ma participation 
  à trois conférences majeures qui ont eu lieu à l'Université de Haïfa et 
  auxquelles j'avais été convié avant l'affaire Katz. J'ai alors fait appel à 
  mes collègues à l'université pour leur demander de condamner publiquement ces 
  annulations. Ils ont alors refusé de le faire. J'ai ensuite reçu quelques lettres 
  personnelles où quelques collègues m'exprimaient leur soutien. Quand je leur 
  ai demandé l'autorisation de publier ces lettres, ils ont de nouveau refusé. 
  
  
            Vous me demandez 
  pourquoi ils se comportent de la sorte. Je peux vous répondre que le système 
  académique en Israël est très conformiste. Ce sont des gens qui n'ont pas le 
  courage de leurs idées. Ils ne sont pas prêts à mettre en danger leurs carrières. 
  C'est une chose d'écrire un article général sur le droit des palestiniens à 
  un État, mais c'est tout autre chose de se mettre en danger pour dénoncer 
  la persécution d'une personne qui a des idées différentes, des idées anti-sionistes 
  ou tout simplement parce qu'elle est arabe. Dans mon université, je n'ai trouvé 
  personne qui soit prêt à prendre ce risque. Mais, maintenant et après ma convocation 
  à comparaître devant un tribunal disciplinaire, il semble que de nombreux collègues 
  commencent à se réveiller et se rendent mieux compte de ce qui se passe. Peut-être 
  que cette fois j'obtiendrai un véritable soutien, mais c'est encore trop tôt 
  pour le dire. 
  
            Q : Vos étudiants 
  ne réagissent pas non plus ? 
            R : Mes étudiants 
  veulent réagir mais je ne veux pas qu'ils le fassent. Ils sont trop vulnérables 
  et risquent de se voir expulser de l'université. Je leur ai demandé de montrer 
  un profil bas. Je préfère que ce soit mes collègues qui réagissent. Eux, ne 
  doivent avoir peur de rien du tout. 
  
            Q : Quand est 
  ce que votre procès aura lieu ? 
            R : Ils n'ont pas 
  encore fixé de date. Ce qui signifie qu'ils sont encore en train de réfléchir 
  à la question. 
  
            Q : Est-ce que 
  vous avez l'intention de vous présenter au procès ? 
            R : Au départ j'ai 
  annoncé que je n'allais pas le faire, puis j'ai décidé de le faire sous le conseil 
  d'une ONG palestinienne. J'ai décidé d'assister au procès et de faire appel 
  à des avocats et aux médias locaux et internationaux. Il y a de nombreuses organisations 
  des droits de l'homme qui ont offert d'envoyer des observateurs pour assister 
  au procès. Je vais finalement choisir celle britannique British High Teachers 
  Association. Ils vont dépêcher une délégation pour assister au procès. 
  
            Q : Qu'est ce 
  que vous avez l'intention de faire si vous êtes expulsé ? 
            R : Je chercherai 
  du boulot ! Ils n'arriveront pas à me terroriser ! Je n'ai pas peur 
  d'eux ! J'ai reçu de nombreuses propositions pour enseigner à l'étranger, 
  c'est sympa, mais je n'ai aucune intention de quitter le pays. J'ai également 
  reçu une offre pour travailler dans une école palestinienne à Eblin, je pourrais 
  choisir cette option. Je ne sais pas si l'université réussira à m'expulser, 
  étant donné la réaction internationale à ma convocation. Ça commence à avoir 
  de l'effet. Mais cette action doit se poursuivre sinon bien sûr elle n'aura 
  servit à rien. 
  
            Q : Pourquoi 
  l'université a attendu deux ans avant d'essayer de vous expulser de l'université ? 
  
            R : L'ambiance en 
  Israël s'est dramatiquement dégradé depuis février 2001. Avant cela, Israël 
  n'était pas une grande démocratie mais acceptait le jeu démocratique. Ce qui 
  signifie que des dissidents juifs comme moi, des radicaux juifs ou tout simplement, 
  des juifs qui interrogent les questions à la base du consensus sioniste étaient 
  tolérés même s'ils n'étaient pas aimés. Bien sûr si mes collègues d'origine 
  palestinienne avaient osé dire ce que je dis depuis 20 ans, ils l'auraient payé 
  bien cher. Mais, depuis février 2001, la majorité des israéliens : ceux 
  qui sont au pouvoir comme ceux qui ont conduit ce gouvernement au pouvoir, ont 
  décidé que le jeu démocratique les affaiblissait dans leur lutte contre les 
  Palestiniens et contre le monde arabe. C'est là qu'ils ont commencé à harceler 
  les gens comme moi, non plus exclusivement les victimes habituelles c'est-à-dire, 
  les Palestiniens des territoires occupés, ou la minorité d'origine palestinienne 
  en Israël. Ils harcèlent même des Juifs israéliens politiquement au centre. 
  Par exemple, Yaffa Yarkoni, une chanteuse populaire septuagénaire, réputée depuis 
  plus d'un demi-siècle pour ses chants de guerre, et bien, elle a suivi les infos 
  à la télé, elle a vu ce qui s'est passé à Jénine et elle a exprimé sa colère. 
  Elle a dit que cela lui rappelait ce que les nazis avaient fait durant la deuxième 
  guerre mondiale. Conséquence : elle n'a plus le droit de se produire. Elle 
  a été publiquement condamnée. Elle a des problèmes économiques parce qu'elle 
  ne peut plus travailler. Et je vous parle là d'une femme du centre je ne vous 
  parle pas de moi ! Elle a été menacée de mort. Elle ne circule plus qu'accompagnée 
  de ses 3 gardes du corps. 
  
            Il y a aussi Gaby 
  Gazit. C'est un journaliste qui dirigeait un programme d'information à la télévision. 
  Il penche très légèrement vers la gauche. On ne peut pas dire, tout de même, 
  qu'il est franchement de gauche. Disons qu'il a été critique et ça lui a valu 
  une expulsion de la télévision. 
  
            Il y a de plus en 
  plus de procédures judiciaires contre des universitaires qui ont soutenu les 
  soldats qui se refusent à servir dans l'armée israélienne. Voilà l'ambiance 
  régnante en Israël et c'est cette ambiance qui fait que ces gens qui ont toujours 
  voulu m'avoir ont considéré qu'il était temps maintenant, pour me faire taire. 
  
  
            Q : À 
  quel moment le courant des " nouveaux historiens " dont vous faites 
  parti n'a plus été toléré par le gouvernement israélien ? 
            R : Les nouveaux 
  historiens sont apparus en 1988. C'était à la base un petit groupe d'historiens 
  dont je faisais partie qui suite à leurs recherches ont compris que la version 
  officielle de l'histoire israélienne en ce qui concerne la période de 1948, 
  celle de la création de l'État d'Israël était fausse. Que c'était un 
  mensonge intentionnel. Ils ont alors essayé de réécrire ce qui s'est passé en 
  1948. La vérité s'est avérée plus proche de la version palestinienne que de 
  la version israélienne. Au milieu des années 90, le groupe s'est étendu pour 
  devenir un véritable courant de pensée composé d'intellectuels, d'universitaires 
  auteurs d'ouvrages critiques non plus uniquement de la période de 1948 mais 
  aussi des années 60 et du sionisme en général. Le gouvernement israélien a accepté 
  un certain nombre de critiques et d'accusations de la part de penseurs connus 
  sous le nom de penseurs anti-sionistes. Ce mouvement englobait également des 
  artistes. On percevait ce regard critique dans le cinéma israélien, dans le 
  théâtre, dans la presse et même dans les ouvrages scolaires. Ce courant de pensée 
  était toléré jusqu'en 1999. En 1999, le gouvernement israélien a commencé à 
  considérer que ce mouvement constituait une menace pour lui. Il a alors voulu 
  faire taire cette pensée. Retirant toutes ses traces des ouvrages scolaires, 
  des programmes de télévision et de radio. Mais c'était encore supportable. Les 
  choses se sont accélérées après l'élection de Sharon et après la deuxième intifada. 
  
  
            Q : Quel a été 
  l'impact des nouveaux historiens sur l'opinion publique israélienne ? 
  
            R : Je pensais dans 
  les années 90 que l'impact de ce courant était significatif sur l'opinion publique 
  israélienne. Il l'a été au niveau du milieu éducatif. Mais nous n'avons pas 
  eu un impact sur la pensée politique. Mais la réaction même du milieu éducatif 
  contre ce courant est telle que je ne pense pas qu'il y aura une quelconque 
  influence sur l'opinion publique dans un avenir proche. Peut être qu'à long 
  terme, les racines donneront des fleurs mais ça prendra des années et je le 
  crains, encore plus de sang versé. 
  
            Q : vous dirigez 
  l'Institut pour la Paix en Israël 
            R : Je l'ai dirigé 
  pendant 10 ans puis j'ai arrêté. L'institut pour la paix a été fondé en 
  1993 ; c'était un institut de recherche pour la paix arabo-juif. L'idée 
  était de diriger les travaux de doctorants arabes et juifs intéressés par des 
  recherches retraçant une histoire de la paix entre Juifs et Arabes en Palestine. 
  Nous avons réalisé de bonnes choses. Nous avons publié des travaux en arabe 
  à l'intention du monde arabe et en hébreu. Nous avons fait un bon travail pour 
  montrer l'importance de l'histoire pour l'avenir d'une histoire israélo-palestinienne 
  commune. Cet institut a fermé ses portes il y a maintenant un an et demi de 
  cela. Je voulais que notre travail soit incisif et mes collègues ont plutôt 
  opté pour une coopération avec le gouvernement et je n'aime pas coopérer avec 
  le gouvernement. 
  
            Q : Quelles sont, 
  selon vous, les conditions pour que la paix soit possible en Israël ?
            R : Nous avons d'abord 
  besoin d'une très forte pression internationale sur le gouvernement israélien. 
  Des sanctions doivent être prises. Un peu comme à l'exemple de celles qui ont 
  été prises contre l'Afrique du sud. Il n'y a pas de forces politiques à l'intérieur 
  d'Israël qui pourrait servir d'alternative au gouvernement de sharon. Il n'y 
  a plus de gauche. Disons plutôt qu'il ne reste plus grand chose de la gauche. 
  En tout cas elle ne constitue plus une alternative, d'où la nécessité d'une 
  pression internationale pour véritablement changer les choses. L'histoire a 
  démontré l'efficacité de telles pressions sur un pays. Puis, Les Israéliens 
  doivent comprendre qu'ils doivent payer pour leurs actions. Ils doivent payer 
  un prix économique et culturel. Nous sommes tous en train de payer le prix du 
  sang. 
  
            La pression internationale 
  est nécessaire car je crains une nouvelle Nakba très bientôt. Nombreux sont 
  les Israéliens qui commettraient une nouvelle Nakba sans aucune hésitation. 
  Spécialement si les Américains décident d'attaquer l'Irak. Ils justifieront 
  cela par une situation de guerre et dans une situation de guerre vous pouvez 
  perpétrer des choses que vous ne pouvez pas faire en temps de paix. 
  
            Puis dans un plus 
  long terme, les Israéliens doivent reconnaître ce qu'ils ont fait lors de la 
  création de l'état d'Israël en 1948. c'est la clé de la solution. Si Israël 
  reconnaît le nettoyage ethnique qu'il a perpétré en 1948, on pourra alors commencer 
  un processus de réconciliation et les Israéliens seront surpris de constater 
  la bonne volonté que mettront les Palestiniens dans toutes les questions : 
  que ce soit la question de la création d'un État palestinien ou le nombre 
  de réfugiés qui reviendront en Israël, sur la question de Jérusalem. Sur toutes 
  les questions. Si seulement les Israéliens disaient "nous avons menti sur l'histoire 
  de la création de l'état d'Israël. Nous avons commis un nettoyage ethnique." 
  Nous devons reconnaître nos crimes. Nous devons parler de nos crimes. "Nous 
  vous devons des compensations". C'est pourquoi, nous devons permettre aux réfugiés 
  de retourner chez eux. Alors seulement, nous pourrons parler de paix. Il faut 
  accompagner tout ça bien sûr par la fin de l'occupation. 
  
            Q : Est-ce que 
  le peuple israélien est prêt pour cela ? 
            R : Non, il n'est 
  pas prêt. C'est la raison pour laquelle j'ai laissé tomber la politique pour 
  me consacrer à l'éducation. Cela demande un long processus d'éducation. Cela 
  n'arrivera pas en deux ou trois ans. Je crains qu'il ne faille encore quelques 
  années de sang versé, pour que le peuple israélien se rende compte que c'est 
  la seule solution possible pour arriver à la paix. 
  
            Q : Vous étiez en 
  train de parler de la Nakba à venir, mais cette Nakba touchera également les 
  militants israéliens pour la paix 
            R : Oui. Absolument. 
  Trois groupes seront les victimes de la prochaine Nakba : les Palestiniens 
  des territoires occupés, la minorité palestinienne en Israël et puis tout Juif 
  qui vit en Israël et qui n'adhère pas à la pensée régnante. Ces trois groupes 
  seront les victimes de cet horrible scénario qui j'espère n'aura pas lieu. Mais 
  cela dépend beaucoup de la pression internationale. 
  
            Q : Quel est 
  votre regard de nouvel historien et de militant pour la paix sur cette opération 
  rempart qui selon les Israéliens devait servir à éradiquer le supposé terrorisme 
  palestinien 
            R : Cette opération 
  a conduit à trois résultats très néfastes : premièrement, elle a détruit 
  l'infrastructure qui rendait la vie possible en Cisjordanie. Ça prendra des 
  années pour la reconstruire. Deuxièmement, elle a donné de la motivation à de 
  nombreux Palestiniens pour se transformer en bombes humaines, puis malheureusement, 
  elle a rendu la population israélienne encore plus récalcitrante à toute solution 
  pour la résolution du conflit. 
  
            Tout ce qui intéresse 
  ce gouvernement, c'est sa politique intérieur ; il n'a pas de vision globale. 
  Il est fixé sur Netanyahou. Cette opération rempart est à situer dans le cadre 
  de la bataille de pouvoir de ce gouvernement contre Netanyahou. Pour le gouvernement, 
  cette opération est une réussite dans ce sens : il a montré qu'il utilisait 
  la brutalité sans aucune hésitation, il espère montrer par là qu'il a un meilleur 
  programme pour gérer ce qu'Israël appelle le problème palestinien. 
  
            Q : N'est-ce 
  pas trop simpliste de dire qu'à l'intérieur d'Israël il y a ceux qui se battent 
  pour la paix et ceux qui refusent la paix ? N'est-ce pas beaucoup plus 
  compliqué que ça ? 
            R : C'est un peu 
  plus compliqué que ça. La société israélienne a été endoctrinée durant 50 ans. 
  D'une manière assez complexe, dans la mesure où ce n'était pas une dictature. 
  C'est pour cela que la majorité des Israéliens pensent que ce qu'ils font est 
  bien. Ce n'est pas une dictature où les gens ont peur de parler autrement. Ils 
  veulent parler comme ça. C'est pour cela que je parle d'éducation et de pression 
  internationale. C'est comme les Blancs durant l'apartheid en Afrique du sud. 
  Les Blancs voulaient l'apartheid. On ne le leur a pas imposé. Ça les arrangeait. 
  Ils en ont profité. Et il a fallu une pression internationale pour mettre fin 
  à l'apartheid et bien sûr la lutte de l'ANC pour la libération. 
  
            Q : Quel est 
  le pourcentage de ceux qui pensent comme vous en Israël ? 
            R : Ils ne sont 
  pas nombreux (rires). Ils ne représentent qu'une goutte d'eau dans un océan 
  mais une goutte qui a beaucoup plus de résonance qu'auparavant.  
Vive la révolution : http://www.mai68.org
                                      ou : 
  http://www.cs3i.fr/abonnes/do 
  
             ou : 
  http://vlr.da.ru
                ou : 
  http://hlv.cjb.net