26 mai 2002

 

Le fantôme d’Hassan II est toujours là !
(Ali Lmrabet Courrier International 16/05/2002)

          Avec Mohammed VI, le mode de fonctionnement du régime n’a guère changé. Le Premier ministre reste impuissant tandis que les militaires et les conseillers du cabinet royal continuent d’exercer le véritable pouvoir.

          Qu’est-ce qui a changé au Maroc depuis la mort d’Hassan II, le 23 juillet 1999 ? A vrai dire, peu de chose. Ou, s’il faut être plus précis, on pourrait dire que, depuis l’intronisation du nouveau souverain, on nage un petit peu plus dans le “cosmétique”. Tous ceux qui observent le Maroc de près ou de loin s’accordent à dire que nous vivons toujours avec un schéma et un modèle à la Hassan II. Le Parlement est celui des élections de 1997, et on sait de quelle manière il a été fabriqué. Le Premier ministre et son gouvernement ont été nommés par Hassan II, en 1998. La structure du makhzen [l’administration royale] - à part le départ de l’ancien ministre de l’Intérieur Driss Basri et quelques nominations de proches amis du roi - est toujours celle de l’ancien régime. La plupart des hauts gradés de l’armée qui étaient en poste sous Hassan II le sont toujours. Le régime a le label “Hassan II”, mais sans Hassan II. Les politologues assurent que le souverain attend la tenue des législatives de septembre prochain, que le pouvoir annonce comme les plus transparentes de toute l’Histoire, pour installer son makhzen à lui. De quoi sera-t-il fait ?

          D’ores et déjà, on peut prédire que l’actuel gouvernement ne sera plus de la partie. S’il y a une chose dont tous les Marocains sont sûrs, c’est que le Palais n’a pas de sympathie pour le gouvernement. On l’a vu, il y a quelques mois, quand André Azoulay, le très écouté conseiller du roi pour les affaires économiques, a, dans un entretien avec Le Monde, critiqué la gestion économique du gouvernement et déclaré, crûment, que la présence de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) dans le gouvernement était le “prix” à payer de l’alternance.

          Pour assurer une transition en douceur, Hassan II avait en effet convaincu, un an avant sa mort, le premier secrétaire de l’USFP et opposant historique, Abderrahmane Youssoufi, de prendre la tête du gouvernement dit d’“alternance”. Mais, alors que le premier ne cherchait qu’à assurer la survie de son régime, le secondcroyait vraiment qu’il allait avoir les mains libres pour mener sa politique de changement. Oubliant curieusement que son parti ne détenait que 10 % des sièges de la Chambre des représentants. On sait ce qu’il advint de cette politique de “changement”. Le projet qui tenait le plus à coeur, disait-on, à Youssoufi, la réforme du statut de la femme et de la Moudawana [le code de la famille], a été piteusement abandonné par le gouvernement à l’issue d’une offensive conjuguée du Palais, des islamistes (radicaux et modérés) et des oulémas. La presse indépendante, qui s’est retrouvée, faute d’opposition crédible, en première ligne, a été laminée par le gouvernement. On a assisté à trois interdictions de journaux, des saisies à la pelle et des procès politiques contre plusieurs directeurs d’hebdomadaire. Sans parler du boycott publicitaire, devenu quasiment institutionnel, contre la presse libre. La recherche de la vérité sur le passé - les terribles années de plomb de Hassan II - a été soigneusement évitée. D’ailleurs, toutes les décisions importantes et symboliques (retour au Maroc de l’opposant marxiste-léniniste Abraham Serfaty et de la famille de Mehdi Ben Barka, indemnisations de certains ex-détenus politiques) ont été prises par le Palais. Même les négociations avec le forum Vérité et Justice, une association des droits de l’homme qui veut procéder à un “inventaire” du passé, ont été menées par un proche du roi, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Fouad Ali al-Himma. Sans aucun résultat, il est vrai. Le régime a peur d’ouvrir une boîte de Pandore d’où sortirait un interminable chapelet de crimes contre l’humanité. Le dossier du Sahara est resté, comme à l’époque de Hassan II, entre les mains du roi. C’est ce dernier qui, à la fin du mois d’avril, est allé lui-même arracher au président américain George Bush un soutien à la position marocaine de la “troisième voie”, c’est-à-dire la résolution du conflit par l’octroi à cette région d’une large autonomie.

          L’absence du gouvernement dans un dossier aussi sensible que celui du Sahara rappelle que le chef de l’exécutif marocain n’a aucun contrôle sur cinq des plus importants ministères (Intérieur, Justice, Affaires islamiques, Affaires étrangères et Défense), qui sont directement gérés par le cabinet royal. Comme à l’époque de Hassan II. Même le ministère de l’Economie et des Finances est convoité par le Palais, sinon saboté. Exemple : avant le début de l’été 2001, le roi nommait, sans demander l’avis du gouvernement, une dizaine de walis [préfets] de région. Les nouveaux venus, des technocrates, ont pour mission d’impulser l’économie locale. Ils ont reçu de larges pouvoirs de décision, qui en font des “Premiers ministres régionaux” qui gèrent à leur guise la zone qu’on leur a allouée. Pour le reste, peu de chose a réellement changé. Nous pouvons certes voir le visage de l’épouse du souverain, ce qui ne s’était jamais fait dans toute l’histoire de la dynastie des Alaouites, mais le récent kidnapping de l’ancien chauffeur du prince Moulay Hicham [qui vit aux Etats-Unis depuis novembre 2001] par des éléments de la Direction de la surveillance du territoire (DST) nous rappelle que le passé n’est pas aussi éloigné qu’on le voudrait. Et puis, si les militaires n’ont pas pris le pouvoir au Maroc, les visages des années de plomb sont toujours là. Le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie, et le général Hamidou Laânigri, patron des services secrets, qui sont en tête de la liste des personnes accusées de crimes contre l’humanité par l’Association marocaine des droits humains (AMDH), sont toujours en poste. Même chose pour les islamistes radicaux d’Al Adl wal Ihssane [Justice et bienfaisance]. Leur but à l’époque de Hassan II était de renverser le régime. Pourquoi voulez-vous qu’ils changent d’avis, si le régime n’a pas changé ?

Amitiés
Abdelghani Balar
balar@wanadoo.net.ma
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