10 juin 2002
Points de vue sur le travail Le travail, vu d’en bas Débat épineux le 23 mars 2002 au théatre de Chelles. Le thème de la soirée était : « le sort des salariés face aux restructurations d’entreprises. » Une troupe de théatre action, composé d’ex-ouvrières licenciées durant les restructurations néolibérales, venait de faire sa représentation. Au débat qui s’ensuivait, participaient les deux autres générations d’ouvriers: les plus vieux, rescapés chenus d’une carrière complète, et les plus jeunes, à majorité black-beure, tous des garçons d’une école professionnelle et d’une cité. (Monde Diplo ; juin 2002 p. 4 ; Béaud et Pialoux, " la fabrique de la haine : contre les politiques sécuritaires ", Dagorno/Esprit frappeur, à paraître) Très vite, l’animateur interpelle les jeunes : « Comment vous, vous voyez la condition ouvrière ? Quelle appréciation vous portez sur ce monde du travail ? » Samir se lance : « Nous, on ne veut dépendre de personne. On ne veut pas de chef au-dessus de nous qui nous donne des ordres. Nous, on veut pas aller travailler en usine, on veut respirer ; on veut devenir patron. On ne veut pas être ou rester au bas de l’échelle. » Aussitôt, la salle réagit indignée. Il ne peut pas parler comme ça ! Il ne doit pas ! Il donne de la condition ouvrière une image trop dévalorisée ! Il y a toujours eu des ouvriers et des ouvrières debout, une dignité ouvrière ! Et l’école ? Oh ! répondent les jeunes, ils ont été orientés d’autorité vers les filières d’enseignement pour devenir ouvriers, ce qu’ils refusent. Ils réagissent en ne fichant rien. Alors, ils subissent largués des cours d’électronique qui ne sont pas si débiles que cela : « le BEP, ça allait... mais alors là, il y a un tas de cours... magnétisme, électromagnétisme, machin... Moi je vais vous dire, et je vous jure, il y a bien 90% ou même 95% des élèves de notre classe qui ne veulent pas devenir électriciens. » Un vieux réplique : « Mais il faut bien des électriciens, des plombiers ! » Ca tombe à plat. Une ex-ouvrière de chez Levi’s, et de la troupe de théatre, raconte qu’elle avait sept frères et soeurs, qu’elle n’a pas pu faire les études qu’elle voulait, qu’elle a dû aller travailler à 16 ans, " mais on était fier ; je ne me suis jamais sentie rabaissée ! " Un vieux : « Tu dis que tu es diminué en tant qu’ouvrier, mais moi, je veux te dire que, quand tu manifestes avec 500 ouvriers à côté de toi, tu te sens fort, tu es fier de toi et des autres. » Les vieux et les intermédiaires sont consternés : ils voudraient que les jeunes épousent la condition ouvrière, pour la transformer; ils voudraient des jeunes qui étudient à l’école, pour se donner au moins quelques connaissances et une arme dans la lutte des classes, au lieu de seulement rêver d’"être patron". Mais la panade se révèle inavalable pour Samir et les autres : « Mon père, il gagne 7000 balles par mois et on est six enfants... » Eh bien c’est vrai, depuis les années 70, la condition ouvrière a reculé, matériellement, et de manifs triomphales, il n’y en a plus guère. " Mon père a toujours travaillé dur, et il était dirigé par des incompétents " Là encore, c’est vrai, car durant les années 80-90, de nouvelles techniques de travail au noms anglosaxons ont été implémentées par des arrogants, et les ouvriers ont traité ces arrogants d’incompétents, ce qu’ils n’étaient pas, car c’était intentionnellement qu’ils sacrifiaient un certain rythme de travail, qu’on ne dirait pas du bonheur, mais plutôt ce palier supportable juste en dessous du bonheur, que les anciennes générations appellent "la fierté". Et Samir d’enfoncer le clou jusqu’au bout : « De toute façon, moi, à 19 ans, je sais bien que ma vie, elle est foutue. Un électricien, quelle femme voudra de lui. » Ouais bon, surtout pas un électricien doublé d’un macho, qui croit encore qu’avec les femmes, on conclut un contrat où la liberté de l’une s’achète avec l’argent de l’autre. Hélas, si le peu qu’on peut appeller "civilisation" dans tout ce que l’Occident a inventé se noie dans sa barbarie, les jeunes échaudés auront-ils des oreilles pour l’entendre ? On ne peut mieux intuitionner que le malaise dans l’enseignement et dans les banlieues a de puissants motifs politiques, qui n’ont strictement rien à voir avec "le laxisme d’après Mai 68 ", ni avec les profs, ni avec aucune technique particulière d’enseignement : simplement, les jeunes résistent mentalement à l’oppression. Cette situation met les profs et n’importe quel système d’enseignement en échec, car la cause ne réside pas en eux mais ailleurs. Le travail, vu d’en haut Qu’est-ce que le travail ? Paradoxalement, ceux qui ont un destin d’ouvrier ne sont peut-être pas les mieux placés pour le savoir. En effet, en le subissant, que ce soit à la manière schizophrène négativiste comme les jeunes, ou obsessionnelle ambivalente comme leurs aînés, ils sont immergés dedans, et ils ne savent pas clairement à quoi le comparer. Parfois, pour bien définir quelque chose, il faut s’élever au-dessus d’elle et la voir d’avion. Qui peut mieux définir ce qu’est le travail, que le grand patron de la sidérurgie carolo, Albert Frère ? Il y avait ainsi une conférence à laquelle il était invité, sur le thème : « Comment réussir ? » Comme il avait si bien réussi, on supposait qu’il en savait le fin mot. Alors il répondit : « C’est bien simple : j’ai travaillé. » (Echo de la Bourse, 19 novembre 1986). Ce que Claude Herne commente d’une langue agréablement fourchue : « C’est suffisant, parce que prétentieux. C’est insuffisant parce que court d’explications. » (Contradictions,n°92, 2000 : « la réussite d’Albert Frère ») Pourtant, un des fils d’Albert Frère, Gérald, confirme aux médias que son père a toujours beaucoup travaillé ! "J’ai toujours vu mon père travailler, mais je l’ai toujours vu aussi prendre des vacances et des week-ends prolongés." Et pendant les journées de travail, comme le confie un de ses amis, "à midi, le chauffeur d’Albert venait me chercher : c’était l’heure du tennis, et nous jouions une heure ou deux. Souvent vers cinq heures, nous remettions cela." (José-Alain Fralin p. 74). Or, Gérald se révèle un cancre, ce qui inquiète son père. Albert Frère ne se reconnaît pas dans ce fils "un peu mou". Il l’envoie d’abord dans un internat suisse, une sorte de maison de correction pour gosses de riches, mais rien n’y fait. Alors, il lui dit : " puisque c’est comme ça, tu iras travailler, ça te fera les pieds !" Et voici Gérald opérateur au laminoir de Ruau, qui appartient au père. Il doit prendre son poste à six heures du matin. Problème : comment va-t-il s’y rendre ? Est-ce vraiment un problème ? Comment font les ouvriers ? Ils vont à vélo. L’usine est à huit kilomètres de la maison. Quoi de plus faisable ? En voilà un emploi convenable qu’un chômeur ne peut pas refuser ! Mais le père ne fait pas faire cela au fils : il le conduit lui-même en voiture. À quatre heures du matin, ce n’est pourtant pas de bonheur qu’Albert se réveille. Au bout d’une semaine, il convoque Gérald : " Bon, on arrête. " Eh bien, si on jugeait Gérald et son père à l’aune du commun des ouvriers, ce serait un "refus d’emploi convenable" et une dégringolade minable au niveau de la bande d’assistés qui pèsent si lourd sur notre économie, dit-on. Finalement, que sait-on ? Qu’Albert Frère ne se lève pas à cinq heures du matin, qu’il prend une pose de midi de deux heures, qu’il remet le sport à cinq heures, et qu’il prend souvent des week-ends prolongés. Tout mis bout à bout, on peut estimer qu’il travaille comme un Boschiman: quatre heures par jour ouvrable. C’est d’ailleurs le rythme naturel de l’être humain pour les activités nécessaires, stressantes ou ennuyeuses, tandis que les autres heures sont consacrées au plaisir. C’est donc ainsi que travaille un être humain libre. Par contraste, on aperçoit que ce que nous appelons le travail, c’est-à-dire les huit heures sous subordination des ouvriers et des petits employés, ou encore les huit heures d’activité stressante des employés et des petits cadres et indépendants, c’est du forçage, de l’excès, de la monoculture intensive, de l’exploitation pas bio du tout. Nuisible pour la personne et pour la vie en société, c’est de nature à engendrer des tas de conséquences psychiques et physiques désagréables, depuis les tendinites à répétition des vieux ouvriers qui se retrouvent à "profiter de la Moutouelle" dès la cinquantaine, jusqu’à la déglingue des relations humaines dans une impatience peu propice aux rencontres, dans une avidité qui détruit ce dont elle s’empare; ce qu’on appelle un peu vaguement l’individualisme consumériste de notre vie moderne. Le travail, c’est toujours l’instrument de torture. Deux générations d’ouvriers y ont trouvé une espèce de fierté, pas le bonheur mais le stade en-dessous, une sorte d’espoir pour leurs enfants ; mais la donne est différente aujourd’hui, et l’espoir a été trahi, ce qui saute aux yeux des jeunes pour qui il n’y a plus de "fierté" possible dans la condition d’ouvrier. Il n’est rien de plus atroce qu’une vie oisive ! Les porte-parole des classes dominantes sont d’autant plus inquiets de la "mentalité qui fait disparaître l’incitation au travail", qu’entre deux parties de tennis, ils en mesurent la séduction. Comment convaincre les masses qu’ils mettent au travail, que là est leur bonheur et que là est la vie normale, alors que personnellement, on ne supporte même pas pendant une semaine le rythme des trajets pour aller turbiner et pour en revenir ? Il faut assurément beaucoup de repos pour se détendre de la dissonance cognitive que cela fait naître; mais après avoir travaillé la mauvaise conscience, on réussit à tenir aux masses un discours sinon cohérent, du moins asséné avec la force de conviction suffisante. Premier principe : « il faut travailler en s’amusant et s’amuser en travaillant », dit Albert Frère. D’où le tennis. Et les sept nains de Blanche-Neige, ceux de Walt Disney, chantaient "Siffler en travaillant..." pendant que Walt Disney était délateur au service de la CIA et a ainsi ruiné la carrière d’un certain nombre de ses collègues de Hollywood. (Contradictions n°92, 2000, p. 118) Second principe, exprimé par Henry Ford, cet autre Albert Frère : « Le principe moral essentiel est le droit qu’a l’homme à son travail. (...) A mon sens, il n’est rien de plus atroce qu’une vie oisive. Nul n’y a droit. Dans la civilsation, il n’y a pas de place pour les oisifs. » Diable ! Je crois qu’on devrait étudier les techniques de désinformation comme on étudie les figures de style, et j’appellerais cela une incohérence fascinatoire, comme celle des oxymores, depuis l’invention de la "guerre propre" et de ses « frappes chirurgicales », jusqu’au "cal-pitalisme à visage humain" en passant par les "investissements éthiques", les "placements humanitaires", le "commerce équitable" et la "consommation solidaire". C’est bien à cette grande catégorie qu’appartient le "droit au travail" et encore davantage la sophistication d’un "principe moral exigeant que chacun ait droit au travail". (Monde diplo du 8 avril 2002 p. 8; Manifeste contre le travail, groupe Krisis, éd.Leo Sheer 2002 p. 59) Traduisons : c’est un devoir moral que de clamer que le travail est une aspiration humaine, que c’est un droit de l’être humain, et que l’oisiveté est une condition atroce et dégradante. Et celui qui n’a pas compris qu’il doit prêter sa petite voix au grand mensonge, il n’aura pas de place dans la civilisation. Mais, sous-entendu, puisqu’on fait du mensonge un devoir moral aussi pressant, il faut bien supposer que la nature penche tout spontanément pour les thèses contraires: le travail étant une condition atroce, nous avons chacun droit à l’oisiveté à laquelle nous aspirons; mais la civilisation s’y oppose. Ouf ! Voilà les choses remises à l’endroit, un instant. Mais aussitôt, les armées médiatiques et étatiques recommencent à asséner la vérité officielle à l’intention des classes destinées au travail. "N’importe quel travail vaut mieux que pas de travail du tout !" clame Bill Clinton en 1998. "Il n’y a pas de boulot plus dur que de ne pas en avoir", dit au nom des chômeurs, une affiche syndicale en Allemagne. Et ce ne sont pas les chômeurs, surveillés et embrigadés dans des cercles de qualité, qui vont le démentir: ils y risqueraient des sactions administratives pour chômage volontaire. Pourtant, qu’est-ce qui est si dur pour eux ? L’oisiveté, ou bien... la culpabilisation, les persécutions administratives, l’insuffisance de l’allocation, l’interdiction de toute activité libre ? Pour les délivrer de cette oisiveté si interdite, et leur faire passer l’envie d’une activité libre, on invente leur activation, rémunérée par leur seule faible allocation : « l’engagement civique doit être récompensé et non pas rémunéré. Celui qui pratique l’engagement civique perd la souillure d’être chômeur et de toucher une aide sociale. » (Ulrik Beck, "l’âme de la démocratie", 1997). Comme on le savait déjà en 1850, "le capital (...) pousse à la réduction du temps de travail à un minimum, et d’autre part, il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse (...) D’une part, il éveille toutes les forces de la science et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation sociales, afin de rendre la création de la richesse indépendante (relativement) du temps de travail. D’autre part, il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créées d’après l’étalon du temps de travail... " (Marx, Grundrisse, 1857-58) Eh ! Si Marx s’en était tenu là, on n’aurait pas eu le communisme de guerre. Tout est ainsi fait pour continuer à opprimer les masses que la contraction du travail pourrait rendre oisives, et libres. Parmi elles, certains vont tenir le rythme d’enfer comme si c’était toujours le plein emploi, et les autres seront livrés aux administrations du chômage et de la pauvreté. Les premiers détesteront porter la charge des seconds, puisqu’on leur dit qu’ils payent de fortes cotisations sociales et des impôts pour entretenir les seconds; et les seconds voudront en vain partager le travail avec les premiers pour arrondir leurs fins de mois. Cécily ________________________ Réponse de do : 1°) C'est pas karl marx qui a fait le communisme de guerre, c'est Trotski. 2°) En supprimant toutes les frontières, la révolution internationale supprimera aussi la séparation entre travail et loisir. C'est-à-dire qu'elle supprimera le travail. Voici un exemple pour bien comprendre ce que cela signifie : Quand en me promenant je cueille des mures et les mange, je n'ai pas du tout l'impression de bosser. Pourtant, la fonction essentielle du travail, se nourrir, est remplie ! Autre exemple plus compliqué à comprendre quand on ne l'a pas vécu : Dans les années 70, quand il y avait une fête, tous les participants à la fête préparaient la bouffe TOUS ENSEMBLES. Et juste après avoir bouffé, tout le monde participait à la vaisselle. Comme tout le monde était ensemble et COMMUNIQUAIT aussi bien pendant la préparation du repas et pendant la vaisselle que pendant la bouffe, dans nos têtes, la préparation et la vaisselle n'étaient absolument pas ressentis comme un travail, mais comme faisant partie de le fête. C'est la séparation qui crée le travail. La révolution supprimera toutes les frontières. A+ Post Scriptum : Proverbe arabe : on est mieux assis que debout. proverbe de do : on est mieux couché qu'assis. Proverbe chinois : quand on est fatigué, il est trop tard pour se reposer. Proverbe hindou : la fatigue est un symptôme de maladie. Conclusion : puisque le travail fatigue, c'est qu'il est mauvais pour la santé ! Proverbe de lulu : quand j'ai envie de bosser, je m'allonge et j'attends que ça passe. Remarque : Tu dis à propos d'Abert Frère : « C’est donc ainsi que travaille un être humain libre. ». Je ne pense pas qu'Albert Frère soit une être humain libre, puisque tout de même : il travaille ! Et aussi : il est un chef alors que le divin marquis, exprimant la révolte du maître, disait : « Et je supprimerai les esclaves parce que je n'en supporte plus l'aspect ! » ___________________________________________ RÉPONSE D'anne-marie : Je suis heureuse d'avoir lu " Cecily et le travail" Je
crois que l'erreur est de croire que le travail est une nécessité.
Pour moi, c'est une exigence parce que je veux que ce monde change mais
pour ceux qui ne sont pas motivés dites-moi qui leur en donnera
envie? La stupidité vient du fait qu'il a été fait
une liaison entre travail et argent. En effet le code du travail de 1848
définissait le travail comme une activité rémunérée. Quand on est passionné rien ne compte sauf votre passion. Un peintre, un sculpteur, une mère de famille, ceux qui aiment la cause qu'ils défendent travaillent à l'épanouissement de la vie, ils ont le privilège de voir leur oeuvre se développer et les industriels et financiers ne pouvaient pas les détacher de leur utopie Par
contre les usines, les mines, les entreprises avaient besoin de main d'oeuvre
et comment leur trouver cette main d'oeuvre sinon en appâtant, en
payant, en développant le salariat. Tu me donnes ton temps et ta
force, je te donne de quoi manger. Je suis au chomâge depuis 21 ans sans jamais avoir été indemnisée ( erreur de l'administration) mais je supporte mal d'être coupée de mes frères et soeurs. Les enfants ont aussi ce besoin des autres, c'est pour ça qu'ils aiment l'école. Pour pouvoir rencontrer, partager, s'amuser avec les autres. Le travail reviendra lorsque les gens découvriront en eux-mêmes, une passion, un plaisir, une spécialité. Supprimer l'argent et nous irons tous mieux ! Mais si vous supprimez l'argent, vous supprimez l'importance de l'état, la nécessité de construire des armes, tout l'ordre public ne dépendra que de la bonne volonté des citoyens. Personnellement j'aime le programme parce que je crois que nous sommes mûres pour nous assumer. La responsabilité est la réponse de chaque individu à la vie. Tu es libre de faire ce que tu veux, va. Il appartient alors à l'être humain de se définir lui-même. Veut-il ne penser qu'à lui-même ou se mettre à voir que les autres seraient heureux de le rencontrer ? À mort l'argent et vive la vie. |
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