22 juillet 2003
BUSH AU SÉNÉGAL
Pour une poignée de dollars promise, j'ai vu la République se prostituer des jours durant dans les rues et les palais de la capitale, offrant impudemment ses charmes les plus secrets au maître yankee et à sa valetaille arrogante. J'ai vu un chef d'Etat réputé intraitable se faire dicter par l'hôte du jour les règles du protocole, les membres de son gouvernement ainsi que les représentants du peuple forcés de marcher à la queue leu leu comme des écoliers débutants pour accéder aux tribunes officielles, tandis que le ministre de l'Intérieur en personne devait bander les muscles pour ne pas se faire fouiller comme un vulgaire malfrat, en terre sénégalaise, par des agents de police étrangers emmurés derrière leurs lunettes noires, inscrivant par ce «geste héroïque» son nom sur toutes les lèvres. J'ai vu des hommes blancs en noir, dressés pour tuer, prendre d'assaut le palais présidentiel symbole de notre souveraineté, piétiner ses pelouses et ses toits, leurs armes meurtrières pointées sur des passants inoffensifs, six chefs d'Etat assignés à résidence dans un hôtel de seconde catégorie et des journalistes de la presse nationale publique et privée, pour une fois compagnons d'infortune, entassés comme du bétail dans un «enclos» (le terme insultant est du directeur du Centre culturel américain en personne), empêchés de faire simplement leur métier au profit de la meute des cow-boys chasseurs d'images à la solde des services de propagande de l'administration républicaine.
J'ai vu, comme dans un horrible cauchemar, l'île mémoire de Gorée dont les rochers du côté de la porte sans retour renvoient certains soirs en écho les hurlements de ceux qu'on arrachait à leur terre et à leur chair renouer le temps d'une matinée avec les chaînées humiliantes d'antan, les enfants et les vieillards terrorisés parqués au soleil implacable de juillet, et des chiens farouches tenus en laisse par des garde-chiourmes hideux troubler le repos des ancêtres en souillant les autels sacrés. Que leurs aboiements hargneux ne rappellent-ils la chasse funeste aux nègres marrons rougissant de leur sang insoumis les cotonneraies de Virginie ! J'ai vu, bien après le départ des maîtres honnis, un convoi d'officiers de l'armée et de la gendarmerie fendant à la hauteur de Soumbédioune la circulation à coups de sirènes, que la foule regardait avec une colère à peine contenue, pour avoir laissé sans sourciller leurs tenues d'apparat servir de serpillière à de vulgaires troupiers Us. J'ai vu encore, mais peut-être n'était-ce qu'une hallucination née de la douleur, pour quelques billets verts incertains, j'ai vu saigner le coeur fier d'un peuple dont on vendait à la criée l'honneur et la dignité et emporter les enchères un bourreau à moitié frappé de débilité venu du Texas, descendant direct des négriers sans foi ni loi qui ont saigné pendant quatre cents ans notre mère Afrique. Et j'ai alors pensé en mon for intérieur que je ne pourrai jamais pardonner aux bouffons à qui nous avons si imprudemment confié notre destin de nous avoir imposé ce western répugnant où l'on voit une nation qui n'a jamais courbé l'échine marquée au fer rouge d'une si infamante flétrissure.
Qu'avons-nous réellement à attendre de cette Amérique-là ? «Bush, l'Africain», «Un indomptable semeur de paix», titrait le quotidien Le Soleil dans son édition spéciale du lundi 7 juillet 2003. Dans quelle encre corrompue faut-il donc avoir trempé sa plume pour écrire pareilles inepties ? Quelle sensibilité vis-à-vis de notre continent peut avoir un homme d'une telle inculture politique et historique, élu par défaut dans ce qui passe pour la plus grande démocratie du monde, et dont l'éducation, l'idéologie ultra-conservatrice et les élucubrations sur une Amérique blanche, protestante et élue de Dieu ne dépareraient point dans les rangs du Ku Klux Klan ? Un «partenariat sur le socle des libertés», indiquait encore en première page le même organe au lendemain du départ du président américain ! De quelles libertés donc s'agit-il ? Commençons par les Etats-Unis ou Bush gouverneur s'est sinistrement illustré par l'application systématique de la peine de mort, «solution finale» pour abréger la déchéance des couches les plus pauvres du pays, noirs et hispaniques notamment, plutôt que de travailler par une politique sociale hardie à les sortir du ghetto économique, politique et culturel dans lequel pourrissent la plupart d'entre eux. Et entre mille autres attentats inacceptables aux droits élémentaires des gens, qui ne se souvient pas du guinéen Amadou Diallo, au corps pulvérisé de 41 coups de feu dans un immeuble de New York par quatre policiers assoiffés de sang, pour un simple portefeuille qu'il tirait de sa poche ? Comme aux pires heures de l'esclavage et de la ségrégation raciale, quand il n'est pas attelé à la charrue ou aux petits soins du maître, au pays de la Statue de la Liberté, «un bon Nègre est forcément un Nègre mort».
Et que dire, à l'extérieur des Etats-Unis, de la guerre coloniale entreprise contre l'Irak et de l'occupation d'un pays souverain au mépris de toutes les lois internationales et des résolutions répétées de l'Organisation des Nations-Unies, justifié par ce qui s'est révélé aujourd'hui comme le plus odieux mensonge de l'histoire moderne : la présence d'«armes de destruction massives», qui n'a été attestée nulle part trois mois après la chute de Bagdad et de Saddam Hussein, dût-on assécher le Tigre et l'Euphrate ?
Poétiquement pour continuer la saga des Bush, inaugurée par le père lors de la première guerre du Golfe, plus prosaïquement pour s'emparer des puits de pétrole de Bassora et de Kirkouk, prendre pied dans une région où depuis la désagrégation de l'Union soviétique et la chute du Mur de Berlin se joue l'avenir géopolitique de l'humanité, on a déversé des milliers de tonnes de bombes sur une population innocente déjà éprouvée par trente ans de dictature implacable, laissé des snipers se croyant dans des salles de jeu vidéo tirer comme des lapins des femmes, des enfants et des vieillards, organisé le pillage puis l'incendie de la bibliothèque de Bagdad avec ses cent mille pièces uniques et foulé aux pieds partout ailleurs, en même temps que les terres sacrées de Nadjaf et de Karbala, les richesses culturelles inestimables d'un pays qui est véritablement le berceau de notre civilisation. Mais que signifie pour un Gi's américain semi-analphabète, négro des bas-fonds de Harlem ou latino frais naturalisé rescapé des barbelés de la frontière mexicaine (certains ont reçu la nationalité américaine «à titre posthume», sur leur cercueil rapatrié d'Irak), incapable de faire la différence entre un vase sumérien multimillénaire et un pot à jeter de milk-shake, que signifie vraiment le nom de la Mésopotamie, «Pays des Deux-Fleuves», creuset des civilisations sumérienne, babylonienne, assyrienne, perse, grecque, parthe, sassanide et islamique ? Comment lui faire comprendre que ce pays qu'il piétine de ses bottes aveugles a vu la naissance de l'agriculture et de l'écriture pictographique il y a treize mille ans, inventé la céramique au Ve millénaire avant notre ère, comment lui parler des premières ziggourats (tours dédiées au dieu-lune) de la dynastie d'Our, des fastueux palais royaux de Nemrod et de Nabuchodonosor, du taureau ailé de Khorsabad et des stèles du code d'Hammourabi.
Qu'est-ce donc qu'un américain, dont le plus lointain sentiment d'appartenance à ce qui ne pouvait même pas être encore appelé une nation remonte au mieux à l'épopée des Pilgrim's Fathers du Mayflower (1620), autant dire cinquante siècles après les premières cités de l'époque d'Ourouk, peut-il apporter à ce peuple-là ? Des canettes de Coke et du corned-beef survitaminé ? La destruction et le pillage des biens culturels, aussi terrifiants que le massacre planifié d'une population sans défense, parce qu'ils portent sur un patrimoine irremplaçable de l'humanité, commis par-dessus le marché au nom de «la liberté pour l'Irak», ne sont pas plus insoutenables pour l'esprit que le dynamitage des Bouddhas géants de Bâmyân par les Talibans fous de Kaboul.
Est-ce donc pour ces crimes de guerre aussi abominables que ceux commis naguère au Vietnam rasé sous les flots de napalm et de défoliants, les assassinats commandités à Panama et au Nicaragua et en prévision de tous les forfaits prochains que commande inévitablement un impérialisme triomphant que l'Amérique insolente tord la main à ses «partenaires» les plus faibles pour leur faire renier leurs engagements sur la Cour Pénale Internationale ? Pour une poignée de dollars maculés du sang de tant de peuples, on achète ainsi à l'avance le droit de renier le droit et il se trouve, chez nous, des dealers de la liberté des nations tout disposés à vendre au diable ce qui leur reste d'âme ! Et qu'on ne me parle surtout pas de soutien au Nepad, de préférence commerciale, de «Digital Freedom Initiative», de lutte contre la pauvreté et le sida.
J'ai d'ailleurs très peu goûté la blague présidentielle du «grand gaillard» sénégalais dépannant Amstrong sur la lune, parce que j'estime que nous en avons assez d'être les «mécaniciens» et les éboueurs du monde et que plutôt que de mendier la régularisation de nos sans-papiers terrés dans les trous à rats du Bronx, il est temps pour nous de réclamer la place qui nous revient de droit à la Silicon Valley. Georges Bush, de toute façon, n'est pas venu en Afrique ni pour nos personnes vivant avec le Vih, contre lesquels il a défendu à Pretoria les droits des multinationales pharmaceutiques au monopole sur les brevets des médicaments, au moment même où le Sénat américain rognait sur l'enveloppe destinée à lutter contre l'épidémie, ni pour secourir le coton malien contre les scandaleuses subventions fédérales qui l'étouffent. Il était là pour un one man show et avait juste besoin d'un plateau prestigieux, Gorée, et de figurants triés sur le volet pour «faire les Nègres» (on avait parqué dans un autre «enclos» les enfants de l'île, mais fait venir des élèves d'un lycée de Dakar conduits par une enseignante... américaine), le tout à l'intention de l'électorat noir américain qui lui-même, marasme intellectuel et lobotomie culturelle aidant, se fiche royalement des affaires d'un continent dont il ne revendique les racines que pour le folklore et que la majorité d'entre eux croient encore habité majoritairement par des singes. On ne perdrait vraiment rien, sauf à chagriner inutilement Joseph Ndiaye, à murer une fois pour toutes «la porte du voyage sans retour».
Que l'on se rassure, je
n'ai nullement la tentation de refaire l'histoire, mais je ne veux pas non plus
qu'elle se répète. Des dizaines de millions de nègres transportés
à fond de cale, morts dans les razzias ou jetés aux requins pour
faire la prospérité de l'Amérique, cela suffit ! Des générations
de sénégalais, pour ne considérer que notre histoire récente,
se sont battues avec acharnement pour ne pas baisser la tête devant l'ancienne
puissance coloniale, jusqu'au martyre à plus d'un titre symbolique de
Oumar Blondin Diop dans les geôles de Gorée. En souve
Pour une poignée de dollars
Pour une poignée
de dollars promise, j'ai vu la République se prostituer des jours durant
dans les rues et les palais de la capitale, offrant impudemment ses charmes
les plus secrets au maître yankee et à sa valetaille arrogante.
J'ai vu un chef d'Etat réputé intraitable se faire dicter par
l'hôte du jour les règles du protocole, les membres de son gouvernement
ainsi que les représentants du peuple forcés de marcher à
la queue leu leu comme des écoliers débutants pour accéder
aux tribunes officielles, tandis que le ministre de l'Intérieur en personne
devait bander les muscles pour ne pas se faire fouiller comme un vulgaire malfrat,
en terre sénégalaise, par des agents de police étrangers
emmurés derrière leurs lunettes noires, inscrivant par ce «geste
héroïque» son nom sur toutes les lèvres. J'ai vu des
hommes blancs en noir, dressés pour tuer, prendre d'assaut le palais
présidentiel symbole de notre souveraineté, piétiner ses
pelouses et ses toits, leurs armes meurtrières pointées sur des
passants inoffensifs, six chefs d'Etat assignés à résidence
dans un hôtel de seconde catégorie et des journalistes de la presse
nationale publique et privée, pour une fois compagnons d'infortune, entassés
comme du bétail dans un «enclos» (le terme insultant est
du directeur du Centre culturel américain en personne), empêchés
de faire simplement leur métier au profit de la meute des cow-boys chasseurs
d'images à la solde des services de propagande de l'administration républicaine.
J'ai vu, comme dans un horrible cauchemar, l'île mémoire de Gorée
dont les rochers du côté de la porte sans retour renvoient certains
soirs en écho les hurlements de ceux qu'on arrachait à leur terre
et à leur chair renouer le temps d'une matinée avec les chaînées
humiliantes d'antan, les enfants et les vieillards terrorisés parqués
au soleil implacable de juillet, et des chiens farouches tenus en laisse par
des garde-chiourmes hideux troubler le repos des ancêtres en souillant
les autels sacrés. Que leurs aboiements hargneux ne rappellent-ils la
chasse funeste aux nègres marrons rougissant de leur sang insoumis les
cotonneraies de Virginie ! J'ai vu, bien après le départ des maîtres
honnis, un convoi d'officiers de l'armée et de la gendarmerie fendant
à la hauteur de Soumbédioune la circulation à coups de
sirènes, que la foule regardait avec une colère à peine
contenue, pour avoir laissé sans sourciller leurs tenues d'apparat servir
de serpillière à de vulgaires troupiers Us. J'ai vu encore, mais
peut-être n'était-ce qu'une hallucination née de la douleur,
pour quelques billets verts incertains, j'ai vu saigner le coeur fier d'un peuple
dont on vendait à la criée l'honneur et la dignité et emporter
les enchères un bourreau à moitié frappé de débilité
venu du Texas, descendant direct des négriers sans foi ni loi qui ont
saigné pendant quatre cents ans notre mère Afrique. Et j'ai alors
pensé en mon for intérieur que je ne pourrai jamais pardonner
aux bouffons à qui nous avons si imprudemment confié notre destin
de nous avoir imposé ce western répugnant où l'on voit
une nation qui n'a jamais courbé l'échine marquée au fer
rouge d'une si infamante flétrissure.
Qu'avons-nous réellement à attendre de cette Amérique-là ? «Bush, l'Africain», «Un indomptable semeur de paix», titrait le quotidien Le Soleil dans son édition spéciale du lundi 7 juillet 2003. Dans quelle encre corrompue faut-il donc avoir trempé sa plume pour écrire pareilles inepties ? Quelle sensibilité vis-à-vis de notre continent peut avoir un homme d'une telle inculture politique et historique, élu par défaut dans ce qui passe pour la plus grande démocratie du monde, et dont l'éducation, l'idéologie ultra-conservatrice et les élucubrations sur une Amérique blanche, protestante et élue de Dieu ne dépareraient point dans les rangs du Ku Klux Klan ? Un «partenariat sur le socle des libertés», indiquait encore en première page le même organe au lendemain du départ du président américain ! De quelles libertés donc s'agit-il ? Commençons par les Etats-Unis ou Bush gouverneur s'est sinistrement illustré par l'application systématique de la peine de mort, «solution finale» pour abréger la déchéance des couches les plus pauvres du pays, noirs et hispaniques notamment, plutôt que de travailler par une politique sociale hardie à les sortir du ghetto économique, politique et culturel dans lequel pourrissent la plupart d'entre eux. Et entre mille autres attentats inacceptables aux droits élémentaires des gens, qui ne se souvient pas du guinéen Amadou Diallo, au corps pulvérisé de 41 coups de feu dans un immeuble de New York par quatre policiers assoiffés de sang, pour un simple portefeuille qu'il tirait de sa poche ? Comme aux pires heures de l'esclavage et de la ségrégation raciale, quand il n'est pas attelé à la charrue ou aux petits soins du maître, au pays de la Statue de la Liberté, «un bon Nègre est forcément un Nègre mort».
Et que dire, à l'extérieur des Etats-Unis, de la guerre coloniale entreprise contre l'Irak et de l'occupation d'un pays souverain au mépris de toutes les lois internationales et des résolutions répétées de l'Organisation des Nations-Unies, justifié par ce qui s'est révélé aujourd'hui comme le plus odieux mensonge de l'histoire moderne : la présence d'«armes de destruction massives», qui n'a été attestée nulle part trois mois après la chute de Bagdad et de Saddam Hussein, dût-on assécher le Tigre et l'Euphrate ?
Poétiquement pour continuer la saga des Bush, inaugurée par le père lors de la première guerre du Golfe, plus prosaïquement pour s'emparer des puits de pétrole de Bassora et de Kirkouk, prendre pied dans une région où depuis la désagrégation de l'Union soviétique et la chute du Mur de Berlin se joue l'avenir géopolitique de l'humanité, on a déversé des milliers de tonnes de bombes sur une population innocente déjà éprouvée par trente ans de dictature implacable, laissé des snipers se croyant dans des salles de jeu vidéo tirer comme des lapins des femmes, des enfants et des vieillards, organisé le pillage puis l'incendie de la bibliothèque de Bagdad avec ses cent mille pièces uniques et foulé aux pieds partout ailleurs, en même temps que les terres sacrées de Nadjaf et de Karbala, les richesses culturelles inestimables d'un pays qui est véritablement le berceau de notre civilisation. Mais que signifie pour un Gi's américain semi-analphabète, négro des bas-fonds de Harlem ou latino frais naturalisé rescapé des barbelés de la frontière mexicaine (certains ont reçu la nationalité américaine «à titre posthume», sur leur cercueil rapatrié d'Irak), incapable de faire la différence entre un vase sumérien multimillénaire et un pot à jeter de milk-shake, que signifie vraiment le nom de la Mésopotamie, «Pays des Deux-Fleuves», creuset des civilisations sumérienne, babylonienne, assyrienne, perse, grecque, parthe, sassanide et islamique ? Comment lui faire comprendre que ce pays qu'il piétine de ses bottes aveugles a vu la naissance de l'agriculture et de l'écriture pictographique il y a treize mille ans, inventé la céramique au Ve millénaire avant notre ère, comment lui parler des premières ziggourats (tours dédiées au dieu-lune) de la dynastie d'Our, des fastueux palais royaux de Nemrod et de Nabuchodonosor, du taureau ailé de Khorsabad et des stèles du code d'Hammourabi.
Qu'est-ce donc qu'un américain, dont le plus lointain sentiment d'appartenance à ce qui ne pouvait même pas être encore appelé une nation remonte au mieux à l'épopée des Pilgrim's Fathers du Mayflower (1620), autant dire cinquante siècles après les premières cités de l'époque d'Ourouk, peut-il apporter à ce peuple-là ? Des canettes de Coke et du corned-beef survitaminé ? La destruction et le pillage des biens culturels, aussi terrifiants que le massacre planifié d'une population sans défense, parce qu'ils portent sur un patrimoine irremplaçable de l'humanité, commis par-dessus le marché au nom de «la liberté pour l'Irak», ne sont pas plus insoutenables pour l'esprit que le dynamitage des Bouddhas géants de Bâmyân par les Talibans fous de Kaboul.
Est-ce donc pour ces crimes de guerre aussi abominables que ceux commis naguère au Vietnam rasé sous les flots de napalm et de défoliants, les assassinats commandités à Panama et au Nicaragua et en prévision de tous les forfaits prochains que commande inévitablement un impérialisme triomphant que l'Amérique insolente tord la main à ses «partenaires» les plus faibles pour leur faire renier leurs engagements sur la Cour Pénale Internationale ? Pour une poignée de dollars maculés du sang de tant de peuples, on achète ainsi à l'avance le droit de renier le droit et il se trouve, chez nous, des dealers de la liberté des nations tout disposés à vendre au diable ce qui leur reste d'âme ! Et qu'on ne me parle surtout pas de soutien au Nepad, de préférence commerciale, de «Digital Freedom Initiative», de lutte contre la pauvreté et le sida.
J'ai d'ailleurs très peu goûté la blague présidentielle du «grand gaillard» sénégalais dépannant Amstrong sur la lune, parce que j'estime que nous en avons assez d'être les «mécaniciens» et les éboueurs du monde et que plutôt que de mendier la régularisation de nos sans-papiers terrés dans les trous à rats du Bronx, il est temps pour nous de réclamer la place qui nous revient de droit à la Silicon Valley. Georges Bush, de toute façon, n'est pas venu en Afrique ni pour nos personnes vivant avec le Vih, contre lesquels il a défendu à Pretoria les droits des multinationales pharmaceutiques au monopole sur les brevets des médicaments, au moment même où le Sénat américain rognait sur l'enveloppe destinée à lutter contre l'épidémie, ni pour secourir le coton malien contre les scandaleuses subventions fédérales qui l'étouffent. Il était là pour un one man show et avait juste besoin d'un plateau prestigieux, Gorée, et de figurants triés sur le volet pour «faire les Nègres» (on avait parqué dans un autre «enclos» les enfants de l'île, mais fait venir des élèves d'un lycée de Dakar conduits par une enseignante... américaine), le tout à l'intention de l'électorat noir américain qui lui-même, marasme intellectuel et lobotomie culturelle aidant, se fiche royalement des affaires d'un continent dont il ne revendique les racines que pour le folklore et que la majorité d'entre eux croient encore habité majoritairement par des singes. On ne perdrait vraiment rien, sauf à chagriner inutilement Joseph Ndiaye, à murer une fois pour toutes «la porte du voyage sans retour».
Que l'on se rassure, je n'ai nullement la tentation de refaire l'histoire, mais je ne veux pas non plus qu'elle se répète. Des dizaines de millions de nègres transportés à fond de cale, morts dans les razzias ou jetés aux requins pour faire la prospérité de l'Amérique, cela suffit ! Des générations de sénégalais, pour ne considérer que notre histoire récente, se sont battues avec acharnement pour ne pas baisser la tête devant l'ancienne puissance coloniale, jusqu'au martyre à plus d'un titre symbolique de Oumar Blondin Diop dans les geôles de Gorée. En souvenir de toutes les souffrances de ma race et tous ses sacrifices, je proclame qu'il eût été préférable de laisser le peuple sénégalais mourir mille fois de faim plutôt que de lui réapprendre la servilité sous la baguette tordu du fantôme putréfié de l'oncle Tom.
Chef du département de Philosophie - Faculté des Lettres et Sciences humaines
Ousseynou KANE
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