27 septembre 2003

 

" L’humanité n’a pas aujourd’hui les moyens de rendre le monde vivable pour tous ! "

Rapport sur le décès de Semira Adamu

Cécily FALLA

22 septembre 2003

 

 

Sources : Les citations en italiques proviennent de précieuses notes d’audience rédigées par Griet, diffusées le 10 et le 11 septembre 2003 par Daniel Liebmann sur la liste : Fondation Liebmann@skynet.be et présentes sur Indymedia.be. Elles proviennent aussi du texte écrit du témoignage de Lise Thiry au procès des gendarmes le 10 septembre 2003.

 

 

Les deux négatifs

En 1998, Sémira Adamu, une jeune femme d’une vingtaine d’années, a fui son pays, le Nigeria, parce que sa famille voulait la marier à un homme d’une soixantaine d’années qui avait déjà une femme.

Elle a demandé l’asile en Belgique. Sa demande d’asile a été refusée, et plus précisément déclarée irrecevable, par l’Office des étrangers. C’est ce que les étrangers, et à leur suite les avocats appellent dans le jargon : "premier négatif". Ce "premier négatif" frappe environ 96% des demandes d’asile.

Sur ce, Sémira a formé le classique recours urgent au Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides. Celui-ci, appelé ci-après "CGRA", a confirmé cette irrecevabilité, ce qu’on appelle le "deuxième négatif". Le "deuxième négatif" frappe, d’après mon estimation, 80% des demandes d’asile.

Au cours d’une formation en droit des étrangers, un orateur nous a lu un extrait de la décision du CGRA concernant Sémira. On y retrouvait les clauses de style typiques du "deuxième négatif", avec le langage impersonnel inénarrable qui les caractérise. Après un résumé de l’histoire de Sémira, correct et entièrement rédigé au conditionnel, le CGRA concluait d’un de ses raisonnements fréquents, à savoir qu’elle n’était pas une réfugiée au sens de la Convention de Genève, parce qu’elle avait été victime d’une affaire familiale purement privée, et non d’une persécution par l’Etat pour des raisons de race, de religion, d’appartenance culturelle ou d’opinion politique.

Le CGRA "oubliait" que l’Etat nigérian n’offre aucune protection aux jeunes filles qui ne veulent pas se marier comme leur famille leur dit de se marier. C’est bien le Nigeria d’où proviennent régulièrement des appels d’Amnesty International pour retarder la lapidation d’une jeune fille qui n’a pas su rester vierge jusqu’au mariage. On peut raisonnablement se demander ce qu’il en est de la liberté de mariage dans ce même pays. Enfin bon, c’est négatif, trop tard, fichu, foutu et point c’est tout.

 

Le faux négatif

Devant ces administrations que sont l’Office des Etrangers et le CGRA, tout va vite. Ce n’est pas comme devant un tribunal où, une fois que l’instruction de l’affaire est terminée, les avocats s’envoient deux paires de conclusions bien léchées, lestées de recherches, avant que le juge ne les entende plaider, puis ne tranche.

En procédure de demande d’asile, Sémira a d’abord été entendue toute seule, sans avocat, par un juriste de l’Office des Etrangers assisté d’un interprète. Cela a dû prendre, on ne sait pas : trois quarts d’heure, une heure ? Puis, l’Office des Etrangers a pris son "premier négatif".

Ensuite, Sémira a été entendue par le juriste du CGRA. Cette fois, elle pouvait avoir un avocat, et même un avocat gratuit.

Si cet avocat s’y connaissait en droit des étrangers et voulait s’investir convenablement dans sa défense, il la rencontrait avant l’audition, accompagné d’un interprète également gratuit. Il lui lisait les motifs du "premier négatif". Là-dessus, elle re-raconterait son histoire en mieux, avec des circonstances en plus, que l’interrogatoire à l’Office des Etrangers, souvent trop sommaire, ne lui avait pas permis ou suggéré de raconter. L’avocat jouerait un peu le rôle du juriste du CGRA, comme le moniteur de l’auto-école joue le rôle de l’examinateur quelques jours avant l’examen pour le permis de conduire.

L’entretien au CGRA se prépare comme un examen.

Mais quand même. Si on y réfléchit, même avec un avocat compétent, il manque encore à cette procédure administrative beaucoup des garanties contre l’erreur judiciaire, que les tribunaux offrent.

Ainsi, juste à la fin de l’audition au CGRA, l’avocat a la parole, et il parle dans le vide, sans filet, sans recul, sans préparation. Puis, c’est fini. Il n’y a plus qu’à attendre la décision du CGRA.

Dans un tribunal, une fois qu’on a fini l’audition, c’est-à-dire l’instruction, le procès-verbal de cette audition est distribué aux deux camps : au représentant de l’Etat qui a intérêt à expulser, et au conseil de Sémira qui demande le droit d’asile. Ces deux camps s’envoient des conclusions rédigées comme ceci : « Moi, dit le représentant de l’Etat, je trouve que Sémira ne doit pas bénéficier du droit d’asile, parce que son cas ne répond pas à la définition du réfugié, parce que, parce que, parce que. » A quoi le conseil de Sémira répond : « Moi, je trouve que le représentant de l’Etat a tort et que Sémira est une réfugiée, parce que, parce que, parce que. » Quand les deux se sont biens affrontés par écrit, ils viennent au tribunal s’affronter oralement devant un juge qui n’est pas l’auditeur, et qui ne dit à peu près rien. Et c’est le juge qui tranche.

Dans la procédure administrative, l’avocat parle tout seul et sans recul, immédiatement après l’audition de Sémira. Il parle à quelqu’un qui est à la fois le représentant de l’Etat et le juge chargé de prendre la décision définitive. Il parle à quelqu’un qui est à la fois juge et partie. Ce raccourci économise du temps, du personnel et du papier, mais engendre beaucoup plus d’erreurs. Comme celui qui est à la fois juge et partie est du camp de l’Etat, ce sont des erreurs de type "faux négatif". Autrement dit, des gens dont la demande d’asile est rejetée sont de vrais réfugiés. L’Etat rejette plein de vrais réfugiés à cause de son obsession de ne pas en accueillir de faux.

Après les deux négatifs, un demandeur d’asile est expulsable. Donc, au terme d’une procédure très sommaire, il est expulsable, peu importe qu’un recours au Conseil d’Etat ait été introduit ou non contre le "deuxième négatif" du CGRA.

Comment se fait-il que les demandes d’asile soient traitées selon une procédure aussi sommaire ? C’est que, au début, la procédure des deux négatifs était destinée au gros écrémage. L’Etat avait constaté ou cru constater que la plupart des demandeurs d’asile sont des gens qui tentent leur chance. Ils inventent un récit de réfugié, ou déposent une demande d’asile formelle sans justification particulière. Il fallait pouvoir rejeter ces demandes fantaisistes rapidement, en suivant une procédure bon marché. Après cet écrémage, les demandes d’asile reconnues recevables seraient examinées une deuxième fois, selon une procédure plus approfondie (un peu plus approfondie).

C’est vrai qu’il existe des demandes d’asile fantaisistes. Mais pas 96%, comme le pourcentage de rejet par l’Office des Etrangers. Pas non plus 80%, comme le pourcentage de rejet par le CGRA. C’est que, progressivement, il y a eu de la part de l’Etat un abus de la procédure rapide. Loin de se contenter de ne rejeter que les olibrius dont la demande d’asile n’est manifestement pas sérieuse, l’Etat a commencé à rejeter, au cours de cette procédure sommaire, pas mal de demandes d’asile très sérieuses, dont celle de Sémira.

Sémira a fait les frais d’une erreur administrative. Femme déviante en pays de Charia, elle était menacée si elle y retournait. L’erreur administrative n’est pas rare, avec pour conséquence qu’on renvoie dans leur pays des personnes en danger réel. Ce sont aussi, forcément, des personnes décidées à mourir dans un avion ou dans une cellule, plutôt qu’à se laisser faire.

 

Légitime défense

Comme Sémira avait été cueillie dès son arrivée en Belgique et était en centre fermé, le Ministère de l’intérieur a commencé ses tentatives d’expulsion. Il y en a eu cinq.

Sémira a rencontré les militants du Collectif contre les Expulsions, qui ont décidé de la soutenir. Ils lui ont donné des conseils issus de l’expérience. Lors d’une expulsion, elle ne doit opposer aucune résistance physique, et se laisser sermonner par les gendarmes, jusqu’à ce qu’elle soit dans l’avion. Dans l’avion, elle doit attendre tout aussi calmement que les passagers rentrent. Alors seulement, elle doit entrer en action, en employant toute son énergie à leur parler. Elle doit leur dire qu’on l’expulse de force vers un pays où elle refuse d’aller parce que l’y attendent la misère et la mort : si les passagers veulent empêcher cela, ils n’ont qu’à se lever, refuser de se rasseoir et refuser d’attacher leur ceinture.

Durant sa quatrième tentative d’expulsion, Sémira a très bien pu faire passer son message aux passagers. Le capitaine Vandenbroeck, responsable des rapatriements, raconte : « Le 21 juillet, pendant la quatrième tentative, je suis allée dans l’avion. Les passagers se sont révoltés, il y avait même tellement de tumulte que l’avion bougeait. La résistance a été générale. Un passager nous a attaqués et on l’a arrêté.  »

Pour expliquer une telle résistance citoyenne, il faut préciser que les passagers de ces avions à destination de l’Afrique sont en grande majorité des Africains, et qu’ils se sentent très solidaires de ceux d’entre eux qui fuient la misère de leurs pays sous-développés pour tenter de s’établir en Europe. Ils disent : « Les Européens sont venus chez nous, prendre nos richesses, notre caoutchouc, nos minerais. Grâce à cela, ils sont devenus des pays riches. Et maintenant, ils ne veulent pas qu’on aille chez eux parce qu’ils disent qu’on vient leur prendre leur pain ! Mais c’est notre pain que nous venons prendre. »

Il n’y aurait pas une telle révolte si l’avion était rempli de passagers européens. Les étrangers "illégaux" sont vus par les Européens comme des zombies mal tués qu’il s’agit de renvoyer dans leurs tombes par tous les moyens possibles et imaginables. Ils sont la mauvaise conscience des Européens, mais rien à faire, on préfère rester du côté des vivants. On admet que, pour y rester, pour demeurer parmi les relativement nantis, on doit laisser traquer, regrouper, emprisonner dans des centres, torturer et renvoyer de force à la misère d’autres gens. Après tout, c’est une question d’espace vital, donc, en d’autres termes, de légitime défense.

 

Une technique de management

Le 22 septembre 1998 a lieu la sixième tentative d’expulsion de Sémira. Le capitaine Vandenbroeck, responsable des rapatriements, brosse vigoureusement le contexte :

« Durant ces deux semaines, on a reçu l’ordre d’absolument déporter 23 personnes. Parce que les centres étaient pleins. Le Ministère de l’Intérieur nous a dit que les déportations n’allaient pas assez vite et que nous devions produire un effet choc. Normalement l’équipe de sécurité de la Sabena procède à des expulsions, mais d’une part cela coûtait trop cher et d’autre part les gens résistaient trop. C’est pour cela que la Sabena a demandé à la gendarmerie de procéder aux expulsions.

« Le dossier de Adamu était l’un parmi les 3 500 expulsions qui ont lieu chaque année. Il y avait peut-être un peu plus d’attention à cause des médias et parce qu’on avait un quota de 23 personnes à expulser dans une procédure d’urgence. (…) Il y a un tableau de pourcentage de réussite des rapatriements qui était affiché chaque jour. Si le chiffre était trop bas, le colonel Tempels nous réprimandait. Via les membres du cabinet des affaires intérieures nous avons senti la pression. La pression pour faire partir Sémira après tous ces essais. Sémira était soutenue par le Collectif contre les Expulsions. Si cette expulsion ne réussissait pas, cela pouvait faire croire que le Collectif était capable de saper la politique des étrangers. Vande Lanotte a dit que les longues périodes d’enfermement avaient un effet négatif sur les expulsions. Je savais qu’on ne pouvait pas garder Sémira bien longtemps.  »

Le gendarme caméraman Heylen et le gendarme Cornélis brossent le même tableau depuis leur position subordonnée. Heylen en dit : « Quelques semaines avant les faits, la pression émanant du Ministère de l’Intérieur était très forte. Nous sentions cette pression.  » Il a d’ailleurs déclaré au juge d’instruction Callewaert, encore à chaud peu après les faits : « Je pense que nous avons tous eu l’impression que ces gens devaient quitter le pays coûte que coûte et que nous devions employer pour cela tous les moyens.  »

Le gendarme Cornelis déclare : « Quelques jours avant l’expulsion, je prenais le café avec des collègues et nous avons parlé du cas de Sémira, en disant que c’était un cas difficile (…) Dans les couloirs on parlait et on disait ; les trente expulsions doivent réussir ou nous aurons des misères. Une pression certaine venait d’en haut.  »

Remarquons que les vingt-trois expulsions réussies auxquelles le capitaine Vandenbrouck est obligé se transforment en trente expulsions au niveau inférieur de la hiérarchie. C’est une technique de management, un truc classique de la gestion contemporaine du personnel : soumettez vos subordonnés à l’impossible et ils vous feront le nécessaire. Dites que vous voulez tel rapport dans trois jours, et comptez que vous l’aurez dans une semaine. Les employeurs ne se demandent pas quelles conséquences cette panique et cette mauvaise conscience permanentes peuvent avoir sur leurs subordonnés. Ce n’est que la petite et banale violence quotidienne. Allons, revenons à la nôtre.

 

Tout était normal dans la procédure

Depuis quelques années, la seule technique à peu près adéquate que les gendarmes ont trouvée pour empêcher la communication entre l’expulsé et les autres passagers, est d’agir dans l’avion au moment de l’entrée des passagers, en plongeant la tête de l’expulsé dans un coussin et en l’étouffant jusqu’à ce qu’il accepte de se tenir tranquille. Le coussin a déjà provoqué quelques décès par étouffement ou infarctus. Mais c’est un sur on ne sait pas combien, donc une circulaire intérieure au service des expulsions dit qu’il y a un « risque minime  » de décès. Et puis, vous pouvez retourner la situation dans tous les sens, si vous vous obstinez à vouloir expulser des gens contre leur gré et qu’ils résistent de cette manière, vous n’avez pas le choix.

Encore n’est-ce pas une technique absolument efficace. Il y a des expulsés qui, après un premier étouffement, donnent tous les signes de la soumission, et brusquement recommencent à parler aux passagers, toutes forces retrouvées. « Il y a des gens qui se tiennent calmes pour récupérer leurs forces et tout à coup recommencent  », dit le gendarme Cornelis.

Lors de la sixième tentative d’expulsion, Sémira entre dans l’avion étroitement menottée dans le dos, accompagnée d’une dizaine de gendarmes. Trois d’entre eux, Cornelis, Pippeleers et Colemonts, se mettent autour d’elle sur les sièges, tandis que les autres forment une haie entre elle et les places destinées aux passagers. Le gendarme Cornelis reçoit de son chef le coussin. C’est la deuxième fois qu’on utilise le coussin pour Sémira. Comme les gendarmes savent bien que Sémira est un "cas difficile", qu’elle n’a peur de rien sinon de rentrer dans son pays, et qu’elle résistera plus que quiconque, dès que les passagers entrent on lui plonge la tête dedans, et on l’y maintient longtemps.

Toute la scène est filmée par un gendarme caméraman, Heylen. Le but de ce film est, dans l’esprit du service d’expulsion de la gendarmerie, de servir en cas d’incident, en cas de contestation. Ce film doit servir à montrer que les choses se sont passées dans les règles. Il doit démontrer qu’il n’y a eu aucune violence inutile au déroulement efficace de l’expulsion. En d’autres termes, il doit démontrer que les gendarmes se sont comportés de manière professionnelle, conforme aux consignes de leurs supérieurs, et qu’ils ne sont donc pas responsables en cas de décès de l’expulsé.

Pippeleers, un des deux gendarmes qui appuient, décrit : « Il y avait beaucoup de monde, entre autres le capitaine Vandenbroeck, une dizaine de personnes, des gens de la Sabena et des gens du service des Etrangers. Personne parmi eux n’est intervenu, tout était normal dans la procédure, j’ai confiance en mes collègues, qui ont vu et contrôlé qu’elle respirait.  »

Il est beaucoup question de "procédure" d’expulsion, et plus précisément de "procédure normale". Pour un peu, on parlerait "d’expulsions éthiques". Pippeleers appuie sur Sémira sous le regard de tout le monde et même de la caméra. S’il lui venait la fantaisie d’arrêter d’appuyer alors que personne ne lui a dit de le faire, il en supporterait les conséquences.

L’avocat de la partie civile demande au gendarme Cornelis : « On voit sur la vidéo trois grands adultes peser de tout leur poids sur Sémira. Est-ce que toutes les expulsions de passent avec une telle démonstration de force physique et de pouvoir  ?  » , « Oui, c’est normal, mais d’habitude il y a moins de policiers  », répond le gendarme.

Le film montré en justice dure onze minutes. On y voit deux gendarmes appuyer de tout leur poids sur Sémira, plongée dans le coussin. Elle réussit à tourner la tête. On la replonge. Les gendarmes échangent des propos pour se détendre, des rires. Ca va ? demande-t-on régulièrement à l’un d’eux qui contrôle : elle respire ? Oui, elle a des spasmes, comme quelqu’un qui sanglote, donc elle respire. Oui, elle résiste très fort, à tel point qu’on n’a pas trop du poids des deux hommes pour l’empêcher de se redresser, et que ceux-ci sont trempés de sueur, donc elle vit. A un moment, ils constatent que Sémira a déféqué. Ce doit être encore un truc pour résister. Ils l’aspergent d’eau de cologne. Et puis, tiens, elle est flasque. Peut-être encore un truc pour qu’on relâche la prise, estime le gendarme Colemonts qui surveille l’état de Sémira. Bon, cela fait un bout de temps qu’elle est flasque. Relâchons la prise. Trop tard. Elle est morte.

Cinq gendarmes : ceux qui ont appuyé sur le coussin, ceux qui ont surveillé et le capitaine Vandenbroeck, sont poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Bruxelles.

Sorti brutalement de son contexte et présenté à la salle d’audience, le film du gendarme Heylen devient insoutenable. C’est une mise à mort sous l’œil de la caméra, un "snuff movie". Le médecin légiste dit : les spasmes sont un symptôme d’étouffement. L’incontinence est un symptôme d’entrée dans le coma. "Les gendarmes, durant son coma, ont continué d’appuyer, il est possible qu’elle ait eu un dernier spasme, mais le coma est devenu irréversible après quelques minutes."  Et quand un avocat lui demande s’il est douloureux de mourir ainsi, le médecin légiste répond sans hésitation : « un stress énorme  ».

En justice, les gendarmes disent qu’elle a crié, qu’elle a voulu parler aux passagers, et que c’est à la suite de cela qu’on lui a plongé la tête dans le coussin. Puis qu’elle s’est redressée, qu’elle a encore résisté. Qu’elle a saisi l’un d’eux par le couilles. Mais le personnel de la Sabena dit qu’on ne l’a pas entendue crier, à aucun moment. De plus, on ne voit aucun mouvement de résistance de Sémira sur le film. Alors, le caméraman et les gendarmes disent qu’il n’y avait pas assez de pellicule pour tout filmer. Etrange quand même que ce soient justement les moments où Sémira résiste qui n’aient pas été filmés.

Le plus vraisemblable, et ce qui sera admis sans nul doute par le juge, est que l’étouffement a été purement préventif, et que Sémira a chèrement payé sa quatrième tentative d’expulsion.

Depuis la mort de Sémira, il paraît qu’on n’utilise plus le coussin. Cependant, il y a eu d’autres : « coups et blessures, coup du lapin sur la nuque, coups de botte dans le ventre d’une femme enceinte entraînant son avortement, non assistance après une tentative de suicide…  » déclame Lise Thiry, qui précise ne parler que des cas qu’elle connaît personnellement. On a aussi entendu parler de quelqu’un qui avait essayé de s’évader d’un centre fermé et qui s’était blessé au cours d’une chute de six mètres. Il avait été repris, mais pas soigné, et il mourut du manque de soins. Et ce ne sont que les cas qu’on connaît grâce à la vigilance des collectifs contre les expulsions.

 

Un homme du monde

Lise Thiry avait été contactée par un membre du Collectif contre les Expulsions, Serge Thiry, qu’elle ne connaissait pas et qui lui demanda d’être la marraine de Sémira.

Selon le règlement des centres fermés, les détenus ne peuvent recevoir de visite que de la part des membres de leur famille. C’est un peu surréaliste puisque, par hypothèse, ils sont sans attaches ici. Mais quelques autorisations spéciales sont parfois accordées à des personnalités.

Lise Thiry ne reçut jamais celle de visiter Sémira mais put lui remettre certains objets : des livres en anglais, des cartes de téléphone, des vêtements – pas tous : seulement ceux jugés "nécessaires", qui sont plutôt du genre training, vêtements de prison, pas des choses qui donnent un air trop digne à celui qui les porte. Pas de riz ni de thé pour pouvoir s’alimenter comme elle en a l’habitude. Pas de cosmétiques ni de journaux, seulement des livres qui ne parlent pas de l’actualité.

Et puis, le jour fatal, Serge avertit Mme Thiry que Sémira est à l’hôpital Saint-Luc. Elle s’y rend et est conduite auprès de Sémira définitivement insconsciente, au visage tuméfié, qui porte aux pieds les baskets qu’elle lui a offerts.

Peu de temps après, et alors que les poursuites contre les gendarmes n’ont pas encore commencé, Lise Thiry est convoquée et entendue par la police dans le cadre de poursuites contre les membres du collectif contre les expulsions. En effet, selon le raisonnement de la police et du parquet, en apprenant à Sémira comment résister, ils se sont rendus responsables de sa mort.

L’entretien entre Lise Thiry et l’inspecteur de police Grellet, le 9  septembre 1999 au 13 rue des Quatres Bras, révèle comment l’honnête homme perçoit les choses. L’inspecteur accueille Madame Thiry cérémonieusement et la complimente pour ses cours sur le sida. Justement ces cours l’intéressent beaucoup, "à cause du danger qu’encourent les forces de l’ordre à manipuler un blessé" Il enchaîne : «Vos arguments ne m’ont pas convaincu. Avant de toucher un blessé, j’y regarde toujours à deux fois ». Encore un avatar de la peur des zombies.

L’inspecteur se met à évoquer la "violence de Sémira". Ebahissement de Madame Thiry. Oui, explique l’inspecteur : « crier et se démener dans l’avion pour alerter le pilote. » Après un échange de vues sur les échelles de brutalité entre crier et étouffer avec acharnement, l’inspecteur, scrupuleux, note sur l’ordinateur : « selon la déclarante, ce n’est pas être violent que de se démener pour attirer l’attention des passagers ». L’opinion de Lise Thiry lui paraît bien originale.

Toujours sur le ton de l’homme du monde, l’inspecteur murmure, gêné : « Mais savez-vous que Sémira est allée jusqu’à déféquer sous elle, souillant ainsi ses vêtements, ce qui rendit la tâche plus pénible aux gendarmes ? » Or, ce relâchement des sphincters s’opéra au moment où Sémira, étouffée, perdit conscience. En révélant ainsi son entrée dans la mort, Sémira commit un acte contre la bienséance.

L’inspecteur avertit Madame Thiry que la convocation a pour but d’enquêter sur sa complicité avec le Collectif contre les expulsions.

« — Reconnaissez-vous en faire partie ?
   — Oui.
   — Ce Serge Thiry est-il de votre famille ?
   — Non, mais j’aimerais qu’il le soit. »

Au moment de signer sa déposition, Madame Thiry s’aperçoit que la deuxième partie de cette phrase a été omise, de même que certaines autres remarques. Nous sommes en plein dans ce que les euphémismes administratifs de rigueur appellent "un domaine sensible". Cela signifie qu’on marche courtoisement sur des œufs, sans les casser, et que de petits miracles sont possibles tels que des effacements de mots. Lise Thiry inscrit les rajouts en marge, et les paraphe.

La pensée de l’inspecteur, on a tous l’impression de l’avoir entendue quelque part. Elle est omniprésente et subliminaire. 80% des médias la flattent. Du coup, on l’entend aussi aux réunions de famille, aux restaurants entre collègues, partout. On a de la culture, alors pourquoi se tromperait-on ? Attention, la culture se porte de préférence générale, très générale.

Finalement, les poursuites contre les membres du Collectif sont abandonnées, mais pas sans que les médias n’aient répercuté une image négative des membres de ce Collectif, qui seraient des inconscients poussant à la rébellion les pauvres expulsés et les exposant à un risque de mort, au lieu de les convaincre de laisser tout se passer dans le calme, l’ordre et la dignité.

Les forces de l’ordre ont bientôt eu une autre proie à se mettre sous la dent. Quinze jours après la mort de Sémira Adamu, quelques milliers de manifestants indignés ont marché sur le centre fermé de Vottem, près de Liège. Ils ont jeté des mottes de terre, des cailloux, des pierres de plus grande taille et une variété de projectiles sur les forces de l’ordre, qui défendaient le centre. Pendant ce temps, ils étaient filmés par les caméras qui surveillent en permanence les abords du centre. Six manifestants qui ont été reconnus en train de lancer quelque chose, sont poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Liège. Leur procès se déroule en même temps que celui des gendarmes qui ont tué Sémira, qui a lieu à Bruxelles.

Soudain je reste en extase devant un calendrier des services d’incendie liégeois. Une page de ce calendrier montre le matériel de désincarcération qui sert pour les accidents de la circulation. Ce sont des ouvre-boîtes géants. Quoi de plus approprié pour faire un sort à Vottem ! Sans compter que les lances des mêmes pompiers sont plus puissantes que les autopompes des forces de l’ordre, comme on le sait à Liège depuis une certaine bataille d’eau géante de 1981 entre les agents des services publics courroucés et les forces de l’ordre, au cours de laquelle ces dernières avaient dû battre en retraite. Il y a là une petite armée qui reste dans sa caserne. Sagement. Contre celle-ci, les forces de l’ordre n’auraient d’autre solution que de se mettre un cran au-dessus, et au-dessus, il n’y a plus que les armes à feu.

Pendant ce temps, au Tribunal correctionnel de Liège, les jeunes militants et leurs avocats plaident petit et piteux : « La caméra ne permet pas de savoir ce que je lançais : ce n’était qu’une très symbolique motte de terre inoffensive. En plus, je lance très mal et ce n’est certainement pas moi qui ai envoyé ce caillou qu’on voit fendre un des boucliers de plexiglas des gendarmes. Bref, il n’y a pas de preuve dans ce film que je commets réellement une dégradation ! » Les prévenus visent chacun individuellement l’acquittement au bénéfice du doute, ce qui est de bonne guerre et permettra au mouvement de conserver autant de militants actifs.

Mais là n’est pas vraiment la question soulevée par cette manifestation et par ces poursuites. Il s’agit de savoir si, dans l’histoire, tous les citoyens, sauf les militants, auront failli à leur devoir de révolte collective contre la théorie de l’espace vital, cette idée que le droit à la vie ne saurait être pour tous, et contre et les "violations des droits de l’homme" qui découlent nécessairement d’une telle renonciation. Ou bien alors, il faut tolérer que le pouvoir suspende les droits de l’être humain à l’égard d’une certaine marge de gens, et les envoie au diable. Tout dépend de la largeur de la marge. Par exemple, entre le plan de fermeture des frontières et d’expulsion des étrangers illégaux par les gouvernements européens, avec ses cas de privation de liberté, de torture, d’homicide, de suicides, et le plan d’élimination de 30 000 subversifs en Argentine en 1976, et il y a une question de degré qui fait que le premier est légitime tandis que le second ne l’est pas. Qui sait ? On avait prudemment évité d’aborder une telle casuistique au traditionnel cours "nie wieder" de mes humanités angéliques.

 

Nous avons fait notre travail, comme il faut

Le jour du procès des cinq gendarmes, Griet raconte : « A partir de huit heures, une bonne cinquantaine de policiers, mobilisés par leur syndicat, se sont postés à l’entrée. Entre eux, certains plaisantaient. Ils faisaient aussi des commentaires : on passera certainement à la télé, mais ce sera présenté comme un fait divers ordinaire. Leur but était d’occuper un maximum de place dans la salle d’audience pour que les sympathisants de la partie adverse ne soient pas nombreux à assister au débat », et d’exercer ainsi une influence sur les juges.

Les gendarmes affichent leur solidarité à l’égard de ceux d’entre eux qui sont poursuivis et leur indignation qu’ils le soient alors qu’ils n’ont fait qu’obéir aux ordres et exécuter la volonté du gouvernement.

Le procès permet une plongée dans leur milieu de travail.

Le gendarme Cornelis raconte : « Je fais partie de la section de contrôle de la frontière et de la section rapatriement forcé. Nous faisons cela à tour de rôle, nous sommes des gendarmes volontaires. A partir de 1995 j’ai fait entre 15 et 20 expulsions ; il y a eu quelques incidents, par exemple avec ceux qui cachaient des rasoirs. » Il dit aussi qu’il a employé le coussin une fois auparavant, et qu’il n’y a pas eu d’accident.

Le gendarme Pippeleers raconte : « J’ai commencé en 1994, après un an j’ai pu procéder à des rapatriements, j’en ai fait plus de vingt. (…) J’ai déjà employé le coussin deux fois. Et je connais une expulsion où on a appuyé sur la personne pendant six heures. »

« J’ai de l’expérience, dit le gendarme Colemonts : depuis 1981 j’ai procédé à une cinquantaine d’expulsions. (…) Dans les cellules j’ai parfois vu des gens dont j’ai eu pitié, leur situation est tellement inhumaine. Ils sont envoyés ici par leur famille, et en Afrique la famille espère qu’ils vont envoyer un peu d’argent. » Ne surtout pas croire que les gendarmes n’ont pas de sentiments humains. Mais c’est la famille africaine de ces gens qui est responsable de leur situation, ou encore les passeurs, les trafiquants d’êtres humains.

Le tribunal rappelle à Monsieur Pippeleers qu’en 1997, il procédait à une expulsion en compagnie d’un collègue dont c’était la première expulsion. Ce collègue le vit entrer en colère, frapper dans le ventre d’un homme expulsé vers Casablanca, avec pour justification que "comme gendarmes, nous devons montrer qui est le chef !" Ecoeuré, ce collègue porta plainte contre Pippeleers. L’affaire fut classée sans suite, mais le gendarme Pippeleers fut suspendu pendant un mois, c’est-à-dire mis en congé pendant un mois sans traitement. Après, pendant deux ans, il ne put plus faire d’expulsion. Enfin, il fut de nouveau admis à en faire, sous la surveillance d’un collègue qui ferait à la hiérarchie un rapport sur son comportement. Pour Sémira, Pippeleers n’a pas donné de coups, ne s’est pas fâché, et a procédé de la manière la plus règlementaire sous le regard de toute une série de personnes et d’une caméra : s’il ne s’était pas bien comporté, on n’aurait pas manqué de le lui faire remarquer. Donc, il n’a commis aucune faute et il se sent victime.

"Nous avons été menottés pour une nuit, enfermés dans une cellule glacée. Ca nous a cassés. J’ai assez souffert. Nous avons fait notre travail, comme il faut. Je n’oublierai jamais ce qu’on nous a fait." Si les menottes et une nuit en cellule glacée suffisent à le casser, il devrait penser aux expulsés qui ont des mois de centre fermé et des semaines d’isolement à leur actif. Enfin bon. Je suppose que les menottes et la cellule font plus de mal quand ils sont la récompense du travail bien fait que quand ils frappent des illégaux qui doivent bien savoir ce qu’ils risquent en venant envahir notre pays.

Si on n’affecte aux rapatriés que des gendarmes volontaires, c’est pour éviter d’y mêler ceux qui seraient choqués par la violence inhérente à ces actions. Ainsi, des réactions comme celles du collègue de Pipeleers, qui l’a dénoncé pour ses coups, sont rarissimes. Il y a deux manières de regarder une corrida : comme une boucherie immonde ou comme un rituel qui a un sens. Il y a aussi deux manières de regarder une expulsion.

Les rapatriements sont considérés comme une promotion par ces gendarmes volontaires. Ils veulent rester dans ce service. Pourquoi ? "C’est quelque chose qu’on fait ou qu’on ne fait pas. Je suis amoureux de l’Afrique. J’ai de très bonnes relations avec des gens qui ont une autre couleur de peau, j’aime connaître les autres cultures. Les expulsions ne nous donnaient pas d’avantages financiers, mais on pouvait voyager et on recevait de l’argent pour se loger là-bas." Ne surtout pas croire que les gendarmes procèdent aux expulsions avec des sentiments xénophobes.

Le gendarme Colemonts ajoute : « L'aéroport, c’était ma deuxième vie, j’aimais tellement le monde de l’aéroport, je ne comprends pas pourquoi j’ai dû le quitter. (…) Je ne voulais pas aller compter des boîtes vides dans une cave, parce que je n’ai commis aucune faute. »

Les gendarmes du service des expulsions font cela pour le voyage, parce que, comme le poinçonneur des Lilas et comme tout un chacun, ils ont envie de s’envoler au-dessus du nid de coucous commun et de s’offrir une virée au soleil de temps en temps. Cela vaut bien quelques déploiements de force à l’égard de gens qui n’ont d’ailleurs rien compris aux règles de la société et qui s’obstinent dans l’illégalité.

Il n’est pas exclu qu’un aspect de la gestion du personnel du service des expulsions, consiste à lui faire croire qu’en cas de demande de mutation, on n’aura plus pour lui que les postes de travail les plus rébarbatifs, les plus enterrés et les plus dépourvus d’intérêt. Cela pourrait faire partie du dispositif destiné à les motiver.

Les experts psychiatres considèrent les gendarmes poursuivis comme des gens parfaitement sociables, normaux, sensibles, dotés de toutes les qualités humaines et intellectuelles nécessaires pour être de bons éléments dans la société, dans leur famille et sur leur lieu de travail. Rien à signaler, même pas chez Pippeleers, qui avait pourtant donné des coups en 1997 à un rapatrié maghrébin.

Nul doute que ces gendarmes sont réellement des gens normaux, aussi normaux que les 90% de gens qui, au test de Milgram, torturent l’élève.

 

Le réquisitoire du procureur Steppé

Le procureur du Roi, Hedwig Steppé, est bien embêté. La hiérarchie lui dit de demander l’acquittement, ou au moins la suspension du prononcé pour les cinq gendarmes. Mais cela ne lui plaît pas.

Il n’est pas simplement un homme de bien comme l’inspecteur qui a interrogé Lise Thiry. Il a plus de culture qu’il n’en faut pour faire preuve de bon sens spontané au cours des réunions familiales et des moments de détente entre collègues. Il a une conscience plus compliquée que celle d’un homme de bien.

Alors, il décide de la jouer schizo et de coller à son argumentation personnelle la conclusion imposée. Cela donne le réquisitoire suivant, toujours d’après les notes d’audience de Griet qui en reste perplexe et se demande si elle a tout bien compris.

« La vidéo a été filmée dans le but de montrer que tout s’est passé dans les règles. On voit une mort tragique, sans intention de la donner. On assiste à ça régulièrement, mais aujourd’hui, cela mobilise beaucoup de monde, parce que Sémira a personnalisé une résistance contre le monde tel qu’il est aujourd’hui, sans communauté mondiale ni libre circulation des personnes. Le Collectif contre les Expulsions a soutenu Sémira dans sa résistance. Dans les années 30 aussi il y avait des idéalistes aux pratiques altruistes.

« L’humanité n’a pas aujourd’hui les moyens de rendre le monde vivable pour tous.

« Chapitre sur l’arrivée en Belgique de Sémira et la chronologie jusqu’aux expulsions. A cause de l’action du collectif, le sort de Sémira Adamu est partagé par toute la société belge.

« Le 22 septembre 98, avant de monter dans l’avion, Pippeleers et Cornelis ont voulu lui parler, elle a refusé l’entretien rituel. Le procureur explique comment elle a été emmenée menottée, comment elle a été introduite dans l’avion, avant les passagers et séparée d’eux par une haie de gendarmes. Il est clair pour le procureur que la "résistance de Sémira" dont a parlé Cornelis dans ses déclarations n’a jamais existé.

« L’étouffement a provoqué le coma, mais c’est seulement quand la tension musculaire de la victime s’est relâchée qe les gendarmes ont lancé l’alarme.

« Pippeleers et Cornelis ont déclaré que tout s’est passé selon les règles. Ensuite le procureur a démonté un par un les mensonges flagrants qui figuraient dans la déclaration des gendarmes. Il a qualifié la déclaration de Cornelis "d’exemplaire". Par exemple, Cornelis écrit que Sémira était menottée avant de monter dans l’avion, mais pas fortement : il y avait entre ses mains un espace de 15 à 20 cm. La vidéo montre que c’est un mensonge flagrant, ce que confirme le procureur. Cornelis a aussi écrit qu’elle avait essayé d’enlever sa ceinture de sécurité parce qu’elle n’était pas menottée fermement. Le procureur montre que c’est un mensonge. Dans la déclaration de Cornelis, le procureur a aussi lu que Sémira criait et faisait un "show". Il parle d’une attitude  "hystérique et agressive". Le procureur dénonce tout cela, sur la base de la vidéo ; si c’était vrai, pourquoi les gendarmes, avec tout leur  "bon sens", n’ont-ils justement pas filmé ce comportement ?

« Le capitaine Vandenbroeecke a prétendu qu’elle avait hurlé : « Je ne suis pas une criminelle ! » tout en se débattant avec les bras. Le procureur montre que c’est impossible avec les menottes.

« Le procureur reprend le récit des médecins légistes : la tête de Sémira était entièrement enfouie dans le coussin, cette technique est médicalement risquée, la brutalité des gendarmes était disproportionnée par rapport à la situation. La mort est purement et simplement le résultat de la procédure utilisée, il n’y a aucune autre cause. Il est évident que l’histoire de la  "rébellion" est fausse.

« En terminant son réquisitoire, le procureur change progressivement de registre, et parle de moins en moins fort. Les gendarmes ont fait de graves fautes professionnelles. Qui n’a jamais commis de faute professionnelle ?  Le procureur fait état des rapports psychiatriques des prévenus. A part Pippeleers qui a déjà été sanctionné pour une faute semblable, il mentionne qu’ils ont tous eu une "carrière sans tache". Aucun n’a une pathologie, ils sont sociables, n’ont pas de comportement socialement déviant. En parlant dans sa barbe et l’air gêné, le procureur finit par murmurer les peines qu’il réclame. Difficile à saisir, mais nous avons compris ceci : le ministère public requiert l’acquittement pour les deux supérieurs hiérarchiques et la suspension du prononcé pour les autres », sauf peut-être pour le pauvre Pippeleers, qui pourtant n’est pas cette fois plus coupable que les autres : pour lui, le procureur requiert une peine avec sursis.

« Une honte, conclut Griet. Ce que demande le procureur ressemble à un cadeau de l’Etat à ses fidèles agents. » Si l’homme vous indigne, il aura atteint son but.

Euuuhhhh… Bon ben, pour finir, que n’ai-je pas déjà dit ?

Que si les gendarmes sont reconnus responsables, ils devront une indemnité à la famille de Sémira, qui voulait la marier contre son gré et qu’elle avait fui.

Cécily

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REMARQUES de do :

                    Merci Cécily pour ce beau texte.

          Je regrette cependant que tu aies écrit qu'il y a des "olibrius dont la demande d’asile n’est manifestement pas sérieuse". Qu'est-ce qui te permet d'en juger ? Personnellement, je pense que chacun a le droit de vivre dans la région du monde qu'il souhaite sans même à avoir à demander la permission à quiconque. Je suppose que pour cette phrase, tu as eu un coup de fatigue ! Car je ne te vois pas laisser l'hospitalité entre les mains du plus froid des monstres froids : l'État !

          Sinon, je complèterais bien tes pertinentes dénonciations en précisant que les flics, qui tuent en toute bonne conscience sous prétexte de respecter des consignes légales, sont à nouveau prêts à livrer les nouveaux Juifs aux nouveaux nazis (comme ils le firent pendant la deuxième guerre mondiale) !

                    Amicalement,
                    do

 


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