4 octobre 2003

Formation des maîtres ou propagande ?

Le ministère de l’Education Nationale est-il devenu un relais du MEDEF ?

 

Dans le cadre des " Universités d’automne " (dispositif de formation continue des enseignants financé par le Ministère de l’Education Nationale) deux journées de formation sont organisées à Paris à l’intention des professeurs de Sciences Economiques et Sociales le 23 et le 24 octobre sur le thème " Les entreprises dans la mondialisation " sous le pompeux intitulé de " Entretiens Louis Le Grand ". Le ministère entend donner un certain retentissement à cette affaire puisque ces " entretiens " seront inaugurés par Luc Ferry et par Jean-Paul De Gaudemar (directeur de l’enseignement scolaire), la conclusion étant assurée par Xavier Darcos.

Il est évidemment normal que des professeurs de SES réfléchissent à ce thème qui correspond à des aspects importants du programme. Mais une formation d’enseignants doit respecter des critère élémentaires de garantie scientifique et de pluralité des approches. Or, toutes les interventions sont assurées par des dirigeants d’entreprises à l’exception de Jacques Chèrèque, de Christian Noyer (ex vice président de la BCE) et de Pascal Lamy (commissaire européen). C’est le PDG de SANOFI qui traitera du médicament et de la mondialisation, le PDG de Veolia environnement qui traitera de l’eau et de la mondialisation, le PDG de la BNP qui traitera du crédit et de la mondialisation, etc. Une après-midi entière est consacrée à des ateliers relatifs à des entreprises (Lafarge, Air Liquide, Danone, Axa, etc.). Pas une seule ONG n’est conviée à donner son point de vue. Pas un seul économiste n’est invité à apporter un peu de recul théorique. On est à la fois dans une logique de communication (autocélébration par les entreprises de leur stratégie de mondialisation) et dans une logique d’imposition d’une pensée unique (le texte de présentation indique explicitement une volonté de répondre aux critiques du mouvement altermondialiste qui n’est bien évidemment pas autorisé à s’exprimer).

Pour l’essentiel, ces deux journées de " formation " sont organisées par l’Institut de l’Entreprise, structure patronale financée par les grands groupes industriels et financiers français. Le service public d’éducation sous-traite donc la formation des professeurs de SES à une officine privée qui n’a jamais fait mystère de sa volonté d’intervenir dans le débat public pour défendre les conceptions économiques libérales. Ce qui est choquant, ce n’est pas que l’Institut de l’Entreprise s’exprime (c’est la moindre des choses en démocratie), c’est qu’il s’exprime seul sur la base d’un double préjugé :

Tous les autres points de vue, en particuliers les points de vue divers qui s’expriment parmi les économistes professionnels, sont ignorés.

Le caractère partiel et partial de cette prétendue formation apparaît aussi par l’absence de toute référence à la sociologie (quel est l’impact de la mondialisation sur les culture ?) et de toute référence à la science politique et à la géopolitique (les concepteurs de cette " formation " n’ont sans doute jamais entendu parler du 11 septembre 2001).

Il est incompréhensible et scandaleux que pour former des professeurs dans le cadre d’un stage national, sur un tel sujet, on ne fasse pas appel aux universitaires et aux chercheurs du CEPII, de l’OFCE, du CERI, de l’IFRI, de l’IRES, etc.

Mais sans doute la liberté intellectuelle et l’esprit critique qui caractérisent l’enseignement supérieur et la recherche sont-ils considérés désormais par le Ministère de l’Education Nationale comme un danger dont il faut protéger les professeurs des lycées.

Alain Beitone

4 octobre 2003

beitone@univ-aix.fr

 


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