Introduction
Cet automne, avant de
nous lancer tête baissée dans la bataille, nous nous étions dit qu’il
fallait analyser l’action de ce gouvernement et tenter de découvrir
ou d’imaginer son « plan de match ». Les conclusions que
nous en tirerions détermineraient nos stratégies de lutte. C’est donc
à cela que nous nous sommes d’abord attelés.
Brève analyse de Jean Charest
Pour commencer, nous
avons constaté que ce gouvernement était le pire que nous ayons eu depuis
longtemps au Québec. Jean Charest est bien collé aux idées de droite conservatrices.
D’ailleurs, questionné lors d’une émission de variétés, il avait
déjà déclaré, à propos des élections américaines, se sentir « beaucoup
plus proche des idées de Georges Bush que de celles des démocrates » !
Jean Charest est de la trempe des Ralph Klein en Alberta et Mike Harris
en Ontario. Et à leur façon, surtout celle de Harris, il ne reculera devant
rien pour accomplir ses projets. Rappelons-nous quand Mike Harris a appliqué
sa « révolution du bon sens » en Ontario : il y a eu un nombre
incalculable de manifestations et de luttes, des mobilisations immenses,
même des tentatives d’entrer au Parlement par la force. Rien n’y
fit, Harris tint son bout. Et on en voit maintenant les résultats pour la
population.
Tout comme Harris, Charest s’était déclaré « prêt » à affronter
la colère des mouvements sociaux organisés, sans broncher, parce qu’il
aurait « … le courage que les autres gouvernements d’avant
n’ont pas eu ! » D’ailleurs, sa réaction récente suite
aux nombreuses manifestations et aux sondages très défavorables, où il a
proposé de tenir des forums régionaux « … pour expliquer
la position du gouvernement, … tout en maintenant le cap »,
le prouve.
Mais s’il voulait maintenir « le cap », c’est qu’il
savait où il s’en allait. Monsieur Charest n’avait donc pas
que du « courage », il avait aussi un plan. Nous le savions. Mais
quel était ce plan ?
Nous avons essayé de mettre ensemble les morceaux que nous avions.
Les premiers morceaux du puzzle
Nous pouvions témoigner
de la rapidité avec laquelle il avait procédé, et de l’effet produit :
nous occuper à courir partout sans qu’on ait le temps d’analyser
et de comprendre. Mais son peu d’arguments (« un mandat clair
le 14 avril », « la population a voté pour du changement »)
pour justifier son empressement à réaliser si vite autant de choses nous
semblait cacher autre chose.
Nous avions aussi constaté la façon dont il avait attaqué : à plusieurs
niveaux, oui, mais en concentrant son tir sur la santé, qui représente plus
de 40 % des dépenses du gouvernement (plus de 19 Milliards $).
C’est important comme effet, ça, dans un Produit Intérieur Brut (PIB) !
Comme investissement annuel direct (et impacts indirects), c’est majeur
dans l’économie. Changer la donne au niveau de la façon de faire les
choses dans ce secteur, c’est influencer au grand complet la façon
de faire du gouvernement dans tous les secteurs, et probablement l’ensemble
de la société.
Enfin, nous avions également noté la mise en place du processus d’évaluation
systématique de chacun des programmes gouvernementaux des organismes publics
et des ministères visant un « recentrage de l’État sur ses 4
missions essentielles ». Au début, Charest avait appelé ça la « réingéniérie »
de l’État, puis ensuite la « modernisation » de l’État.
Peu nous importait le nom, l’objectif semblait être clair : réduire
l’intervention, le rôle de l’État pour redonner du pouvoir au
privé.
Ça en disait déjà beaucoup sur ses intentions, mais ça n’expliquait
pas tout. Par exemple, dans la santé : pourquoi les fusions d’établissements
dans le réseau ? Pourquoi toute cette réorganisation de structures,
pourquoi l’abolition des mandats, pourquoi changer le rôle de « fournisseur
de services de santé et sociaux » des nouveaux établissements appelés
Instances Locales en « coordonnateur de services de santé et sociaux »
qui établissent des ententes avec des partenaires communautaires et privés
pour la prestation des services ?
« La face cachée de la lune »
La réponse nous est venue
d’un document d’analyse de la FIIQ, Des marchés publics dans
la santé, et portant sur l’Accord sur les marchés publics, qui fait
partie des accords de libre- échange. Vous ne le connaissez pas ? Si on
vous le résume : cet accord-là stipule que les organismes publics et les
ministères qui auront sous-traité une seule fois des services, des produits
ou des travaux de construction vont être dans l’obligation par la
suite de continuer à sous-traiter sous peine d’être poursuivis pour
perte éventuelle de profits. Et les entreprises privées des 28 pays signataires
de cet accord vont pouvoir compétitionner pour faire la job.
Il y a aussi une autre condition qui doit être remplie pour que les organismes
publics et les ministères soient assujettis à cet accord : il faut
que le volume des dépenses sous-traitées atteigne un certain seuil minimal.
On vous explique : par exemple, un CLSC seul pourrait ne pas atteindre
le seuil requis de dépenses en sous-traitance pour être assujetti à l’accord
sur les marchés publics. Mais si vous regroupez plusieurs CLSC, plus des
Centres d’accueil (CHSLD), et même un hôpital (CH) dans une nouvelle
instance sous un seul conseil d’administration, il devient alors très
facile pour ce nouvel établissement de santé d’avoir un niveau suffisant
de dépenses en sous-traitance pour être assujetti aux accords.
Bien ça, voyez-vous, c’est la loi 25 qui a été adoptée en décembre.
Cette loi établit légalement que les nouveaux établissements résultant de
la fusion vont pouvoir et vont devoir passer des ententes avec d’autres
organismes, dont des privés, pour qu’existent certains services de
santé et services sociaux.
Vous ajoutez à cela :
- la loi #31, qui vient
faciliter la sous-traitance ; et
- la loi #30 qui fusionne les accréditations syndicales et regroupe les
corps de métiers par secteur de production : bureau, soutien, professionnel,
etc, facilitant ainsi la « départition » du personnel de tout
un secteur qui serait sous-traité ; et
- la loi #7 qui empêche la syndicalisation des personnes travaillant dans
des ressources intermédiaires ou de type familial en santé.
Puis, vous combinez toutes ces lois à l’Accord sur les marchés publics,
et vous démolissez notre système public de services sociaux et de santé.
Le saviez-vous ?... Nous, à la fin janvier 2004, on ne le savait pas.
Mais Jean Charest, lui, il le sait depuis le début.
« Dorénavant, il va se faire au Québec des affaires comme partout en
Amérique ! », était-il allé dire aux investisseurs américains
dans les semaines qui ont suivi son élection.
Et il ne s’arrêtera pas en si bon chemin : pensons à la loi #8
qui, comme la #7, empêche la syndicalisation des personnes travaillant cette
fois dans le domaine des services de garde familial.
Et au projet de loi #35 qui rendra plus difficile les recours légaux pour
faire respecter nos droits, et qui modifiera au passage 22 lois sociales
du Québec… Ça réduira nos moyens de nous défendre face aux injustices
qui vont résulter de tous ces changements.
Il y a aussi la loi #34, le projet de loi #38,…
« Réingéniérie » ?
« Modernisation » ? La vérité, c’est que le plan de
Charest vise à soumettre notre Québec, à « ajuster » l’État
et la législation du Québec aux accords de libre-échange, principalement
l’Accord sur les marchés publics. Toutes les lois actuelles et à venir
du gouvernement Charest ne visent qu’à transformer le cœur de
notre société québécoise en société américaine. Et la raison de son empressement,
c’est qu’il veut imprimer un mouvement assez important dans
son premier mandat pour que, quoi qu’il arrive ensuite, tout retour
en arrière s’avère difficile, voire pratiquement impossible. Nous
l’avait-il assez répété : il était « prêt » !...
Mais ce que le texte de la FIIQ nous a aussi appris, c’est que le
gouvernement précédent du Parti Québécois travaillait déjà en ce sens, il
avait, comme on dit, « mis la table » depuis longtemps :
par exemple, les fusions municipales visaient aussi le même objectif. Ça
explique pourquoi l’opposition à l’Assemblée nationale n’a
pas vraiment « déchiré sa chemise » cet automne à propos des fondements
de l’action gouvernementale : ça aurait pu mettre en évidence
leur propre action quand ils étaient au pouvoir.
La seule solution possible
C’est donc en tenant
compte que chacune des lois fait partie d’un plan global que nous
sommes convaincus :
- qu’il ne faut pas tenter de négocier chaque parcelle de loi, chaque
article, ou tenter de se ménager une niche qui pourrait être moins pire ;
dans un tel cadre, aucune négociation n’est possible ;
- que ce n’est pas non plus une contestation juridique qui aura raison
des ces lois : la justice a le bras long, mais elle a les pattes courtes !
Avant même que le jugement ne soit rendu, l’Accord sur les marchés
publics se sera appliqué, et il aura sans doute préséance sur le jugement
de la cour. Dans le cas contraire, des poursuites pourront être intentées
contre l’État québécois pour perte éventuelle de profits !
- que nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous, que nous ne
pouvons « passer à autre chose » et nous contenter de nous en
souvenir aux prochaines élections.
Et c’est aussi pourquoi nous affirmons que, dans notre stratégie de
lutte, nous devons refuser en bloc tout le plan Charest, nous devons rejeter
totalement sa transformation du Québec. Nous devons exiger dès maintenant
le rappel et le retrait complet de toutes les lois adoptées et de toutes
celles qui vont suivre dans la session qui débute aujourd’hui. Nous
n’avons jamais voté pour ça !
Jean Charest ne nous a jamais expliqué son projet d’ajustement du
Québec, ni avant la campagne électorale, ni pendant la campagne électorale,
ni depuis la campagne électorale. Il nous a trompé avant les élections,
pendant les élections, et il continue allègrement depuis son élection.
En janvier 2004, 70% de la population du Québec considérait que Charest
avait outrepassé son mandat. 70% de la population considérait qu’il
ne faisait pas ce qu’il avait dit en campagne électorale, qu’il
faisait autre chose, qu’il dépassait les bornes qu’il avait
lui-même fixées. 70% de la population du Québec considérait qu’il
n’avait pas la légitimité d’aller aussi loin.
À partir de cet instant, depuis cet instant, et tant et aussi longtemps
qu’il n’aura pas rappelé ses lois, le gouvernement Charest agit
illégitimement.
À partir de cet instant, depuis cet instant, et tant et aussi longtemps
qu’il n’aura pas rappelé ses lois, la légitimité, elle est dans
la rue, elle est en chacun de nous, elle est dans le mouvement social large
que nous construisons pour stopper ce gouvernement.
En aurons-nous le temps ?...
Le
collectif "J'ai jamais voté pour ça !"
Analyse de la FIIQ :
« Des marchées publics dans la santé » : www.fiiq.qc.ca/marches_publics.htm
Le
site du Secrétariat du Conseil du trésor (Sous-secrétariat aux marchés publics)a
un contenu très explicite dont un édifiant tableau
synthèse sur les accords de libéralisation des marchés publics publié
http://www.jaijamaisvotepourca.com/
Site citoyen de lutte contre le plan Charest
Le site du collectif web "J'ai
jamais voté pour ça !"
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