26 mai 2004

 

Au nom de Ram, de la nation et du fric

Article relatif aux élections parlementaires indiennes, et à l'Inde en général…

"Aucune religion n`est plus haute que la vérité"
Gandhi

         Mars 2004, Kanyakumari, sud de l'Inde. 101 noix de coco ont été cassées, et une chêvre égorgée, devant les pneus du bus safran conduisant le député Premier ministre, Lal Krishna Advani, vers son pélerinage électoral, Bharat Uday Yatra. c'est le troisième du genre. Celui peut-être du triomphe à la Lok Sabha (parlement indien).

          Les élections qui auront lieu en avril et mai seront le moment de vérité pour le chef incontesté du BJP (Bharatya Janata Party) ; car, selon les analystes, Advani sera sans doute dans le cas d'une énorme victoire de l'alliance nationale démocratique (NDA) — les plus optimistes du BJP escomptent 300 députés sur 545 (le rêve !) — le successeur d'Atal Bihari Vajpajee, le poète modéré du parti nationnaliste hindou. Les communistes indiens surnomment advani "le masque".

          La nomination du faucon hindou, L.K. Advani, au poste de député Premier ministre, en juin 2000 — nomination qui s'est faite en dehors du cadre constitutionnel — ne laisse aucune ambiguïté quant à son ambition. À la manière des fascistes italiens et des nazis allemands qui avaient ritualisé leur violence politique par des meetings sonores, des marches viriles et des pélerinages mystiques, lors d'élections démocratiques, les ligues politico religieuses (Rahstrya Swayamsewak Sangh, VHP, Bajrang Dal, Shiv Sena, etc.), reprennent aujourd'hui les mêmes recettes, ajoutant il est vrai le "massala" du liberalisme à leur sinistre curry.

          B.U.Y India (Bharat Uday Yatra) qui finira à New Dehli, est le troisième important pélerinage d'une marche au pouvoir soigneusement préparée par les leaders nationalistes hindous. Le premier, inaugural, qui signa l'avénement politique du BJP, fut, en 1990, le Ram Rath Yatra, de Somanath à Ayodha en Uttar Pradesh. Somanath est un temple hindou reconstruit par le gouvernement Nehru en 1951. Ayodha est le lieu supposé de naissance du dieu Ram. En 1528, nous dit la legende, le sultan Babar détruisit le temple hindou et y construisit une mosquée, la mosquée Babri.

          Cette mémoire fut habilement consignée par les clercs du colonialisme anglais afin d'asseoir leur domination. Les historiens anglais périodisaient l'histoire du continent indien en ère dominée par les musulmans et ère dominée par les hindous. Du reste, le mot "hindou" et le concept de "nation" n'existent pour l'indigène que depuis le XVIIIe siècle… Le mantra des colonialistes n'était-il pas "Divide and Rule" [ndd : Divise et règne] ? Il était nécessaire pour eux de ré-écrire l'histoire à l'intention de leurs sujets. À partir des années 1920, cette Histoire des Indes écrite par le colonialisme anglais a été poursuivie par les pères spirituels du nationalisme hindou, V.D Savarkar et M.S Golwalkar.

          Au moment où naissait en Europe le NSDAP allemand, accouchaient curieusement en Inde, de manière presque confidentielle, des théories racistes et suprématistes... La théorie de l'Hindutva consistait à remettre de l'ordre dans le panthéon hindou et à construire une nation, à imposer une langue, le sanscrit. Le dieu Ram, aryen et "blanc", a été mis arbitrairement au sommet de la hiérarchie des dieux et des hommes...

          Depuis le 26 fevrier 2003, figure en bonne place dans le hall du parlement indien un grand portrait du présumé cerveau de l'assassinat du mahatma Gandhi, V.D. Savarkar.

          Dans la première Yatra, de 1990, Ram Rath Yatra, il y a toute la stratégie politique du BJP. Remontée aux sources d'un trauma fictif, occassionné par les musulmans ; révision de l`Histoire, désignation de l'ennemi (musulman) et mobilisation des masses au travers de lignes de tension communautaire. Le 6 décembre 1992, les Kar Sevak (travailleurs volontaires), chauffés à blanc par Uma Barati (aujourd`hui chief minister du Madya Pradesh), et Advani, entourés d`une kyrielle de "mahant" et de saddhus, éradiquaient la mosquée Babri, plusieurs fois centenaire...

          La seconde Yatra du chef incontesté du BJP, en 1997, Janati Rath Yatra, célébra le 50ème anniversaire de l'Indépendance indienne et récupéra une foule de de libérateurs, sans qu'il y ait pourtant de liens entre eux : Gandhi, Baghaw Singh, Aurobindo, Vivekananda, Savarkar, Golwakar, Netaji Chandra Ghose. Excépté Nehru et Indira Gandhi.

          La haine féroce qu'éprouvent les leaders du BJP, Vajpajee et Advani et les membres de l'alliance nationale démocratique tel le ministre de la Défense, Georges Fernandes, pour la dynastie Gandhi, remonte aux heures sombres de l'état d'urgence (1975-1977). Ils avaient été emprisonnés par la dame de fer du Congrès, Indira Gandhi.

          La mère de l'Inde moderne, qui a ouvert les portes au capitalisme international, et son fils, Sanjay, avaient décidé, à la suite d'un procès perdu devant la Haute cour, pour corruption, à Rae Bareilly (Uttar Pradesh), de décréter, rien de moins, que l'état d'urgence sur tout le territoire. Pendant les dix-neuf mois qu'ont duré l'État policier, 150 000 personnes furent arrêtées et, parfois, torturées, tel le grand leader Jayaprakash Narayan ; la presse fut muselée ; et le programme du fils prodigue (Sanjay Gandhi), de "beautification des bidonvilles" et de stérilisation de masse, fut imposé !

          C'est au sortir de l'état d'urgence qu'est né l'idée du Janata party — une fédération populaire qui regrouperait les partis régionnalistes tel le parti punjabi SAD Alkali, dravidien (sud de l`inde), et tous les opposants de la famille gandhi. C'est le divorce des masses "hindou" et du Congrès qui a donné naissance à l'alliance démocratique nationale, aujourd'hui cornaquée par les fascistes du RSS. Le BJP n'étant qu'un paravent de cette organisation. Advani dit lui-même, cyniquement, que son meilleur allié et modèle, a été de tout temps le Congrès dirigé par la famille Gandhi.

          Les pogroms anti-musulmans du printemps 2002, au Gujarat, n'ont-ils pas été exécutés sur le modèle des massacres anti-sikhs de novembre 1984 ? À la suite de l'assassinat d'Indira Gandhi, par ses propres gardes du corps Sikh, les cadres du Congrès et leurs "goondas" (gangsters) avaient organisé à grande échelle le massacre des Sikhs. Rien que dans les bidonvilles de Dehli, plus de 3000 sadarji (homme au turban) avaient été systématiquement tabassés et brulés vifs ; les femmes violées, et les maisons pillées et incendiées, avec le soutien des forces de police et la bénédiction de l'autres fils prodigue, Rajiv Gandhi. Le Néron de l'époque, paraphrasant André Malraux, avait déclaré, à propos de l'assassinat de sa mère et des massacres qui ont suivi :

          « Un chêne qu'on abat déclenche un séisme lorsqu`il tombe ! »

          Ce séisme, comme celui du Gujarat en 2002, furent fomentés à des fins politiques par les partis au pouvoir à Dehli. Le fait que les gouvernements indiens successif n'ont jamais pu ou voulu, depuis la Partition, juger ces crimes contre l'Humanité donne la mesure de la démocratie indienne et des partis qui la constituent. La criminalisation de la vie politique et la corruption des élites viennent de cette carence. Selon le magazine Tehelka (http://www.tehelka.com), 14% du parlement indien est constitué de criminels endurcis. La force d'un homme politique en Inde est aujourd'hui proportionelle au nombre de goondas (gangsters) qui l'entourent.

          Le gênie du BJP a été d'imposer un agenda "religieux" à la vie culturelle et politique indienne. Dans la vision Bjepiste, le fait culturel prime sur le fait politique que l'Indien méprise. D'autant que la prise de pouvoir dans les temples et ashram hindou ont enrichi considérablement les forces de l'Hindutva. La faillite de l'appareil d'État en matière d'éducation et de santé a laissé le champs libre aux organisations non-gouvernementales (la plupart contrôlées par les forces de l'hindutva) et les mouvements sectaires (Srai Baba, Rama Soami, Aurobindo, Osho, etc.).

          Plus ces fascistes religieux sont flous et libéraux en matière économique, plus ils sont précis et autoritaires en matière culturelle. C'est pourquoi ils sont si versés dans l'art de la censure. Jamais autant de toiles, de livres, nont été détruites, brûlées, censurées, au nom de Ram et de l'hindouisme, que lors des dernières six années du gouvernement BJP. Au reste, le programme surréaliste d'Uma Barati dans le Madya Pradesh donne une note d'humour à leur menu : Interdiction de l'abattage bovin, création de maisons de retraite pour ruminant (gaushala), vente et exportation d'urine de vache à fin thérapeutique, sanctification de 4 villes saintes dont Ujjain où il est interdit de manger du poisson, de la viande, boire de l'alcool, etc. Un comble pour la communauté de pêcheurs qui y vivent ! construction d'autels à la gloire de shiva et vishnou au sein même des commissariats et admnistrations.

          Selon Indian Express : « les Indiens ne votent-ils pas pour les babas et les gourous » ? Plus inquiétantes encore sont les lois anticonversions et la chasse aux chrétiens, organisée aux frontières du Gujarat, à Jabua...


          (la suite, pour la prochaine fois)

                    Himalove


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