11 aout 2004
INDE
Insurrection et desobeissance civile au Manipur
Le crime de trop...
Le 11 juillet 2004 à l'aube, en banlieue d'Imphal, la capitale peu connue du Manipur, un État indien frontalier de la Birmanie, la soldatesque indienne enlève une jeune femme de 32 ans, Thangjam Manorama Devi, suspectée d'appartenir au "People's Liberation Army". Quatre heures plus tard, son corps supplicié est retrouvé à quelques kilomètres du domicile familial. Selon l'autopsie, Thangjam Manorama Devi a été torturée, violée puis fusillée d'une balle dans le vagin...
L'État du Manipur, sous loi martiale depuis 1980, peut rivaliser sans problème, en matière de violations des Droits de l'Homme, avec la sinistre dictature voisine.
Le 15 juillet 2004, à Kangla, devant le quartier-général du 17th Assam rifles (le régiment d'infanterie, responsable du meurtre), 12 femmes nues, représentant trois générations, manifestent la poitrine à peine voilée d'une banderole où l'on peut lire distinctement : « Indian Army Rape Us », « Indian Army Take Our Flesh ».
De mémoire de jawan (soldat indien), on n'avait jamais vu ça ; la pudeur ayant toujours enveloppé toute expression féminine même la révolte !
Lire à ce propos l'interview d'une des participantes, Tuckchom Ramani, 75 ans, parue dans Times of India, du 10 aout ; article intitulé "Mother Courage", page 10. Voici le lien direct :
http://timesofindia.indiatimes.com/articleshow/808456.cms
À la suite de ces Douze Femmes Dévoilées, c'est toute la société du Manipur, excédée par les atrocités commises par l'armée indienne, qui se mutine.
En dépit du couvre-feu et de la loi martiale, les manifestations de rue se multiplient ; les fonctionnaires de l'État décrètent une grève générale et réclament, avec la population, le retrait immédiat du "The Armed Forces (Special Powers) Act", qui confère à tout assassin en uniforme une licence de tuer et une imunitée légale.
Neuf ministres du gouvernement de Okram Ibhobi Singh, Chief Minister, menacent de démissionner le 15 aout 2004, jour de l'Indépendance, si la loi martiale n'est pas révoquée par Dehli le 15 aout est aussi le jour de l'Ascension, célébrée par de nombreux chrétiens dans le Nord-Est...
Il est peu probable que le gouvernement indien, appuyé pour l'occasion par l'ensemble des partis politiques du BJP aux communistes accepte l'ultimatum des Manipuris. Le retrait d'une loi d'exception et la condamnation des Forces armées créerait un fâcheux précédent, pendant les fêtes de l'Indépendance, qui déboucherait à terme sur l'implosion de l'Union indienne...
"Un cauchemard comparable à la fin de l'Union Sovietique et l'éclatement de la Yougoslavie", craignent les communistes...
Nonobstant, la population du Manipur, unanime, entonne : « 24 ans de loi martiale et de pleins pouvoirs accordés à l'armée, ça suffit ! »
Cette loi, supposée lutter contre la sécession qui fait rage dans les États du Nord-Est indien a été particulièrement contre-productive : rien qu'au Manipur, il existe aujourd'hui 24 groupes d'insurgés qui réclament l'indépendance !
De nombreuses régions "libérées", aux frontières de la Birmanie et du Bengladesh (Tripura), sont régies par des gouvernements parallèles.
Au vu et au su d'une police, sous-payée, et d'une admnistration étique qui jouent les figurants, du fait de la loi martiale, les militants prélèvent la dîme, construisent des routes et ouvrent des écoles. L'influence des independantistes est si forte qu'ils ont réussi à faire interdire dans la vallée d'Imphal tout film en langue hindi.
La situation n'est sous contrôle que dans les médias nationaux, qui parlent très peu du Manipur, ainsi que dans la presse internationale qui préfère tourner son regard vers la Birmanie et son élégante prix Nobel...
Qui connaît Irom Sharmila, 33 ans, l'égérie de la rebellion, en grève de la faim depuis 3 ans ? Amnesty International ne semble même pas la connaître...
En novembre de l'an 2000, des Assam Rifles assassinent dix jeunes Manipuris exigeant l'abolition de la loi martiale. Sharmila, emprisonnée après une rafle, entreprend une grève de la faim illimitée. Menottée et couchée sur un lit d'hôpital, elle est nourrie de force. Le 6 aout, elle arrache la sonde nasale qui l'alimente après que le Chief Minister Okram Ibhobi Singh refuse de la rencontrer...
"The Armed Forced (Special Powers) Act", version 1958, plonge ses noires racines dans "The Armed Forced (Special Powers) Ordinance", de 1942, promulguée par le gouvernement britannique et destinée à réprimer le mouvement Quit India, dixit maître Rakesh Shukla, avocat à la Supreme Court. Lire l'article du 11 aout 2004 intitulé "Licensed to Kill" de Rakesh Shukla :
http://timesofindia.indiatimes.com/articleshow/809839.cms
Depuis
46 ans pour le Nagaland et 24 ans pour le Manipur, les 7 provinces
du Nord-Est, appelées poétiquement "Seven Sisters",
sont qualifiées par le gouvernement central de "Disturbed Area" ;
et leurs habitants sont perçus comme des sujets à la loyauté
douteuse.
Le fait que pendant
le mouvement qui a présidé à l'Indépendance, pendant
la Seconde Guerre mondiale, des freedom fighters tel Netaji Subasch Chandra
Bose aient lutté au côté des Japonais, au carrefour de l'Empire,
ici, n'est peut-être pas absolument étranger au phénomène.
Peut-être est-ce pure spéculation ? Toujours est-il que selon
le professeur Debananda Singh de l'université d'Imphal : « L'attitude
du Centre et la condescendance des médias à l'égard du
Manipur sont à priori typiques d'une relation coloniale avec les États
du Nord-Est. »
Il ne manque jamais un commentateur pour déclarer dans la presse que les Nagas, les Kukes, les Paites, Kasi, Garo, Mizo, etc. sont avant tout loyaux à leurs ethnies, sous-ethnies et tribus. Du reste, l'admnistration coloniale et les lois héritées du Raj (quota et classification discriminant les groupes sociaux, en vertu de leurs race, origine et religion) permettent aux préjugés racistes de perdurer.
En fait, au Manipur comme dans les six autres provinces, on ne discute pas avec le peuple au travers d'institutions démocratiques, on envoie la troupe et les officiers de renseignement (research and analyst wing, RAW) afin d'évaluer la situation en temps de crise. La politique de Dehli vis-à-vis du Nord-Est est un "copie-collé" du mantra britannique aux Indes : « Divise and Rule ». Dans un jeu compliqué de cessez-le-feu, de répression et de préférence, les gouverneurs appointés par Dehli, et leurs officiers "aux affaires tribales", opposent les peuples les uns aux autres : Grand Nagaland contre Manipur.
En pleine crise du Manipur, le Premier Ministre n'a-t-il pas rencontré, à Chiang Maï, en Thaïlande, le chef suprème des forces du Nagaland ? Dans les États de l'Arunachal Pradesh et de l'Assam, l'ex-gouvernement dirigé par le BJP n'avait-il pas accueilli dans leur union NDA les indépendantistes de l'Arunachal et encouragé les militants assamais à massacrer les émigrés venus du Bengladesh ?
En fait, tout le Nord-Est est un champ de manuvre pour une armée et des forces para-militaires pléthoriques, spécialisées dans la lutte anti-terroriste. Sans doute, la brève invasion chinoise de 1962, qui a tant humilié les bravaches de l'armée, est-elle responsable de cette agitation paranoïaque.
Au Mizoram existe une école militaire de réputation mondiale, spécialisée dans la contre-guerilla en forêt primaire ; les assassins en uniforme y vendent leur savoir-faire ; les forces spéciales népalaises, britannique, américaines, et bientôt francaises, y viennent s'entraîner sous le stick d'officiers indiens aguerris par 40 ans de massacres.
Le viol, l'assassinat d'indigène rebelle et la torture (nommée ici interrogatoire du 3ème degré) y sont des disciplines hautement enseignées. Dans cette école du crime, la peau d'un civil particulierement celle des femmes ne vaut pas plus que la dépouille d'un singe ecorchée à la pointe d'une baïonnette.
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