Les Indes noires : le gibet de la honte

          Alipore Central Jail. Calcutta, West Bengal. Le 14 aout 2004 a 4 heures 30.

          Après 13 ans et 8 mois "à espérer" dans les couloirs de la mort, DHANONJOY CHATTERJEE – peut-être violeur et assassin, mais sûrement fils de pauvre – a été pendu ce matin

          C'est le jour de son 43ème anniversaire que d'obscurs magistrats ont choisi pour lui infliger le dernier supplice.

          À 200 km de là, dans un petit village à peine inscrit sur la carte, Kuludihi, un vieillard à moitié nu, le père de Dhanonjoy, et tous les membres de sa famille, allongés sur des lits de corde, participent "au supplice" : ils ont décidé ensemble de se donner la mort…

          Les caméras de la télévision d'État ne nous font grâce de rien.

                              AUTOPSIE D`UNE PENDAISON

          Selon l'Accusation, le 5 mars 1990, le vigile Dhanonjoy Chatterjee, sur son lieu de travail, viole, assassine et vole l'écolière Hetal Parekh, 14 ans, fille de son employeur. "L'assassin" soit-disant en fuite est vite arrêté dans son village natal.

          La trahison des domestiques est la hantise de la bourgeoisie indienne qui forme l'Opinion.

          Dans leur échelle de valeur, il n'y a pas pire crime que celui-ci, avec l'atteinte à la Propriété...

          De plus, devant la déferlante de viol en Inde – un sport national pour les machos, comme le cricket, ici – les associations de femmes indiennes réclament le châtiment suprême pour les violeurs.

          Bien sûr, selon le bon mot de Victor Hugo : « que tu sois puissant, riche ou pauvre, la justice, c'est selon ! »

          Dhananjoy était vigile, responsable de la sécurité et de la prospérité de la maison.

         « Il avait la confiance de ses patrons ».

          Autant de circonstances qui rendent son crime "inqualifiable".

          Il y a 11 ans, "pour les mêmes raisons", ont été pendus les 2 bodygards, meurtriers proches d'Indira Gandhi.

          Ce sont les deux dernières mises-à-mort officiellement connues…

          Bien que les exécutions extra-judiciaires, organisées par la police ou l'armée de pseudo-terroristes ou bandits, soient quotidiennes (voir Jammu-et-Cachemire, le dossier d'Amnesty International), la peine de mort judiciairement fondée est, selon la formule constitutionnelle indienne : « la rareté des raretés ».

          La pendaison de Dhanonjoy Chatterjee, au regard de "cette rareté", est clairement un acte politique, décidé en très haut lieu.

          Au reste, le bourrage de crâne auquel se livre la chaîne d'État Doordarshan quant à la culpabilité monstrueuse de Dhanonjoy ne trompe pas.

          Il n'y a pas une heure qui passe sans qu'une fiction le mettant en scène accomplissant son forfait ne soit diffusée ; et, pour normaliser la peine de mort par pendaison, on y ajoute des images de la chaise électrique américaine et du sabre arabe tranchant les têtes.

          Ce qui a facilité "le travail des juges", dixit Peter Bleach, co-détenu célèbre qui a cotoyé longtemps Dhanonjoy en prison : « C'est la pauvreté de sa Defense ».

            http://www.hindustantimes.com Article du 13 aout 2004 en sa page 16.

          D'après l'espion anglais, condamné à vie pour trafic d'armes, gracié récemment par le Premier ministre indien (sous pression de Tony Blair et du Foreign Office) : « Dhanonjoy n'est pas un goonda ni un mafieux ; il est poli, tranquille et très pauvre. Dhanonjoy est choisi arbitrairement parmi les condamnés à mort parce qu'il est illettré en anglais, maladroit en hindi, et qu'il ne connaît aucune personne influente.

          Aucun des ténors du Barreau indien ne semble avoir pris la peine de le défendre correctement !

          Si bien que c'est l`espion de la Couronne (un comble !), honni par les nationalistes hindous, qui rédige "en très bon anglais" son second recours en grâce auprès du Président et du Gouverneur de l'Ouest Bengale...

          Le dossier d'accusation est très mal ficelé, selon ses dires, mais peu décortiqué par la Défense ; un test ADN prouvant avec certitude la culpabilité de Dhanonjoy n'a même pas été effectué ; les témoignages sont très contradictoires et douteux…

          Il est possible, étant donné les méthodes policières (l'interrogatoire du 3ème degré – C'est-à-dire la torture –, et l'innocent payant pour les coupables, sont choses courantes ici), qu'il fut innocent.

          Le lynchage presque publique de Dhanonjoy et l'agonie de sa pauvre famille, filmée et racontée dans ses moindres details, témoignent non seulement de la terrible brutalité des rapports sociaux, mais encore du mépris inoui des bureaucrates de "Shining India" à l'égard des crève-la-faim.

          Le crime essentiel de Dhanonjoy, qui l'a conduit devant le gibet, n'est pas d'avoir violé et brutalement tué la fille de son patron, mais d'appartenir – aux yeux de ceux qui gouvernent l'Inde – à une sous-humanité "qui mérite ontologiquement la pire des souffrances".

          La plupart des militaires, policiers, fils de ministre, nombreux à être impliqués dans des cas de viol, sont rapidement relaxés. Seul reste au milieu de la foule en colère, le pauvre des pauvres.

          Honte à Sonia Gandhi, qui a gagné les dernières élections sur l'idée de grâce et de compassion, qui n'a pas eu un mot pour le condamné…

          Honte au Gouvernor et au Chief Minister, communiste, de Calcutta, qui, avec leur famille respective, ont organisé des meetings en faveur de la pendaison où on applaudissait le bourreau…

          À croire que les communistes indiens n'ont plus, pour mobiliser les masses, que l'exaltation de la peine de mort pour les pointeurs...

          Jamais lors de ses 25 meurtres ordonnés par l'État, le bourreau de père en fils, Nata Malik, 84 ans, n'a eu droit à autant d'interviews et de gâteries…

          Honte au Dr APJ Kalam, président, pour l`Honneur, de l'Union indienne, dont la garde personnelle, en janvier dernier, kidnapa et viola une jeune lycéenne, en plein New-Dehli… Par deux fois, il refusa la grâce pour Dhanonjoy.

          Honte aux autorités religieuses du pays, Mahant, Gourou, Sage et Dalai-Lama qui n'ont pas eu une prière pour le condamné.

          Que Dieu, s'il existe, les pardonne !

          Dhanonjoy montant, les mains liées dans le dos, sur l'échaffaud, a béni le Super Intendant de Police ; il lui a dit, bourré de tranquillisants « je suis innocent » et « God bless you », avant de tomber dans la trappe.

          Honte aux policiers, magistrats, journalistes haineux qui ont conduit toute la famille de Dhanonjoy au suicide.

          Ultime news, le bourreau, Nata Mallik, a perdu connaissance après son Exploit.

          Des images de la télévision d'État nous le montre brancardé par la foule vers l'hôpital.

          « God Bless You… God Bless YOU... »

          Quant à la famille de Danonjoy, on ne sait pas s'ils se sont effectivement suicidés ou non, la presse ayant plié bagage juste après l'exécution...

          Depuis, un immense silence, peut-être celui de la Honte, est tombé sur cette tragédie.

          "Peut morale serait le monde sans la faculté d'oubli", disait F. Nietzche.

                    Himalove

 


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