3 septembre 2000
De Millau à Cellatex,
la défense des droits humains contre la marchandisation du monde, L’EMERGENCE D’UNE NOUVELLE CONSCIENCE DE CLASSE
Quel rapport entre le rassemblement de Millau et la grève des Cellatex ? Apparemment d’un côté se trouve le " mouvement social " dernier cri, de l’autre une lutte qui a été présentée par les médias comme un des derniers vestiges de la vieille économie, une complainte des exclus de la croissance. Il y a pourtant entre les deux bien des points communs. D’abord le fait d’être devenu autre chose que ce que les acteurs de ces mouvements projetaient de faire au départ. Car ces luttes participent de la prise de conscience de notre camp social. L’affirmation de ses droits, l’expérimentation des moyens nécessaires pour les défendre révèlent et renforcent les solidarités : entre l’ouvrier licencié, l’infirmière, l’agriculteur, le lycéen. Cette conscience d’être un camp en lutte, pour l’instant émiettée et fragile, se renforce au fil des expériences, qui permette de discuter les forces et les faiblesses des combats, comme Millau ou Cellatex, qui en précisent l’identité sociale, politique, culturelle. Ces mouvements n’ont rien " d’exemplaires ", comme il était coutume de dire dans le jargon gauchiste. Ce sont deux combats, parmi beaucoup d’autres qui restent anonymes. Mais ils ont grandement contribué à affirmer la fierté des exploités à défendre leurs droits, à résister à la violence quotidienne du capitalisme moderne.
Millau : un sillon qui s’élargit
Pendant deux jours, la volonté de la justice de punir les militants de la Confédération Paysanne a réussi à faire ce qui ne s’était jamais réalisé auparavant : un forum permanent qui a réuni la plupart des composantes du mouvement social, associations, syndicats, qui s’opposent à la mondialisation libérale ainsi que plusieurs organisations politiques d’extrême gauche.
Le bouillonnement intense qui a parcouru tous ceux qui étaient venus, en car, à pied, en stop, ou à vélo va laisser des traces. Car ce qui s’exprimait le plus souvent, c’était une sorte de légitimité évidente de prendre part à une manifestation politique, et de le faire dans la joie. Créer des liens nouveaux, s’informer, connaître les problèmes des autres, les perspectives pour réagir, faire de la politique.
C’est ce qui se retrouve dans les propos d’un jeune militant d’Attac : " Depuis des années, les élus ou les institutionnels font l’aveu de leur impuissance face à la mondialisation, de leur incapacité à infléchir le social, nous les prenons au mot : ils ne comptent pas pour nous non plus. A chaque question posée, ils nous répètent : on ne peut pas, le pouvoir ne sert à rien. Pourquoi nous intéresserons nous à ce rien ? Maintenant nous passons par dessus leur tête ".
Une infirmière libérale venue avec son mari résume " Nous imprimons nos propres tracts, nous nous représentons nous mêmes. ". A force d’en parler, ils ont emmené la moitié de leur village : " Nous avons fini par fonder un collectif, Tam-Tam (Tous à Millau). Cela a tellement marché que nous n’allons pas le dissoudre. C’est cela que Millau a rendu visible : tous ces gens qui bougeaient chacun dans leur coin, dans leur village de façon souterraine, sans se rendre compte que les autres faisaient pareil à côté. Maintenant qu’on l’a compris, c’est le début de quelque chose. " C’est de cette façon qu’une nouvelle force politique, dans et hors des organisations traditionnelles est en train de se construire.
Mais au fait, pourquoi cela maintenant ? Le rassemblement de Millau n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein. Car entre le démontage du Mac Do d’août 99 et juin 2000, la lutte des paysans a rencontré sur son chemin bien d’autres échos : Seattle bien sûr, mais aussi les grèves de l’éducation nationale et des hôpitaux etc… En août 99, c’était les produits agricoles français qui n’étaient pas une marchandise, à l’hiver 2000, c’était la santé, puis au printemps, des dizaines de milliers d’enseignants et de parents d’élèves manifestaient : " l’éducation n’est pas une marchandise "… En juin 2000 : " le monde n’est pas une marchandise ". C’est pour cela que Millau 2000 marquait une étape par rapport à Millau 99 : le rassemblement à l’occasion du procès de José Bové est donc devenu un rassemblement nécessaire pour une bonne partie du mouvement social. Une nécessité pour discuter de l’avenir des luttes en France et dans le monde, de discuter des différentes politiques. Toutes pouvaient librement exister, s’y exprimer, et ce caractère ouvert a largement contribué au succès de l’initiative, notamment auprès de la jeunesse.
Même si, à part les délégations étrangères, le rassemblement était essentiellement français, son caractère internationaliste ne fait aucun doute. Rebaptiser " Seattle-sur-Tarn ", la petite ville d’Aveyron, c’était se projeter à l’échelle mondiale, la seule possible pour envisager l’avenir et la défense des droits des êtres humains. Le rassemblement de Millau a été un cadre de rencontres, une façon de réaliser le " tous ensemble " des luttes. " Tous ensemble " pas seulement pour réagir, se défendre contre la dégradation permanente engendrée par le capitalisme, mais aussi pour imaginer l’avenir.
Ce procès a aussi été la prise de conscience des moyens nécessaires qu’il faudra mettre en œuvre pour défendre les droits de la population. Plusieurs militants de la Confédération Paysanne l’ont déclaré à la presse, s’il est nécessaire de sortir du cadre des lois qui donnent toute liberté à la logique du libéralisme, il n’y aura pas d’hésitation. " L’illégalité, c’est une question qu’il ne faut pas éviter. C’est un moyen, pas un but. Après il faut pouvoir assumer tête haute devant un tribunal, fier de soi. " déclare un militant de la Confédération Paysanne. Il est vrai que vu le succès de ce rassemblement, les militants syndicaux peuvent être assurés de la légitimité de leur combat.
cellatex, heineken… des luttes d’avenir
Mettre à mal la légalité : les salariés de l’usine Cellatex sont passés directement à la pratique, car que faire contre un plan social ? Face à une telle décision, les travailleurs licenciés se débrouillent seuls, sans soutien des grandes centrales syndicales ni des partis de la gauche plurielle, ceci à l’exception de quelques sections locales. La seule force réelle sur laquelle les salariés peuvent compter, c’est la leur, celle de l’usine. A ce niveau-là les travailleurs disent : l’usine c’est nous, c’est nous qui la faisons tourner, elle nous appartient. Comme nous appartient aussi l’outil de travail. Vous voulez nous liquider, alors nous liquidons l’usine, outil de travail compris. Le vieux tabou des organisations syndicales " responsables " saute : sauver sa peau avant l’outil de travail ou le site.
Les commentateurs bourgeois ont joué la complainte de la lutte désespérée, façon " derniers des mohicans " ou " Jurassik Park ". Mais quand une salariée, après plusieurs dizaines d’années à Cellatex explique : " Ma vie c’est aussi et surtout l’usine, mon usine. ", et qu’en même temps, elle menace de " tout faire péter ", ce n’est pas un suicide. C’est un déchirement : on était des " Cellatex ", des " Bertrand Faure ", comme on dit des " Renault " ou des " Bibs ", pour Michelin. Vous ne voulez plus de nous, alors on liquide tout, nos espoirs, nos illusions, mais aussi nos chaînes… et patrons et gouvernement se retrouvent en face d’être humains qui tout simplement veulent être traités comme tels, et à qui on ne la fait plus sur le " sens de la responsabilité ", " l’intérêt de l’entreprise ", " le respect de l’outil de travail ", ou le énième plan de reconversion qu’ils vont devoir subir.
Si malgré l’absence de toute campagne de popularisation , la méthode Cellatex a fait école, c’est bien qu’elle était un peu plus qu’une lutte " défensive " classique, qu’une lutte " désespérée " ; on n’imite pas le désespoir : le contenu politique de cette lutte, c’est-à-dire l’affirmation d’une légitimité, et donc d’une stratégie, a d’autant plus provoqué des émules que c’est l’idée du " producteurs sauvons-nous nous-mêmes " qui refait surface. La méthode Cellatex était dans l’air du temps. Alors De Forgeval à Valenciennes, jusqu’à Bertrand Faure, en passant par l’usine du Lyonnet en Haute Saône, les luttes se renforcent entre elles, mêmes si elles ne se jonctionnent que rarement. A Adelshoffen, un syndicaliste explique comment ils en sont arrivés là : " Cela fait longtemps qu’on avait cette action en tête. Ce n’est pas une imitation de ce qui se passe à Cellatex. Depuis 2 mois, on fait la grève du zèle et on manifeste mais la direction fait la sourde oreille. Alors on a plus rien à perdre. "
Mêmes moyens à Cellatex, Forgeval, Bertrand Faure, Adelshoffen et Lyonnet, mais pour des fins différentes. Contre la logique financière, à Adelshoffen on veut avoir son mot à dire sur l’avenir de l’usine et à Lyonnet, après des erreurs de gestion du patron, on envisage de fonder une coopérative. C’est une autre façon de s’approprier l’outil de travail, et dans ces cas-là, de vouloir le contrôler.
Mais ce que révèlent toutes les menaces de destruction du fameux " outil de travail ", c’est l’affirmation que les logiques économiques n’ont aucun sens, le travail lui même n’a aucun sens s’ils doivent briser des vies humaines pour perdurer. C’est l’affirmation que par leur travail, par leurs droits humains, les travailleurs ont légitimité à donner leur mot sur leur sort, qu’ils l’identifient ou non à celui de leur entreprise. C’est bien en cela que ces différentes luttes peuvent renforcer l’ensemble des exploités dans leur volonté de faire respecter, de se battre pour leurs droits, c’est ce qui permet d’en comprendre la popularité et le retentissement.
Les salariés de Cellatex se sont tournés vers le gouvernement puisque personne ne se tournait vers eux. Aucune force organisée ne s’est préoccupée d’organiser un soutien direct à l’échelle nationale aux salariés en lutte contre les plans de licenciements qui avaient réussi à percer dans les médias. Pourtant, la grève des Cellatex était alors devenue la lutte de tout le monde. S’il y a une non-intervention des organisations réformistes du mouvement ouvrier, s’il y a eu apathie de l’extrême-gauche, par contre, les Cellatex ont vu les salariés des usines environnantes et la population les soutenir. Ou comme cette dame de 84 ans qui débarque à 3 heures 30 du matin par un train de nuit : et déclare au piquet de grève : " J’arrive de Nantes, je suis vieille, je vous ai vu à la télé, je viens vous dire que je suis avec vous. "
Les salariés en lutte demandaient au gouvernement d’intervenir. Et c’était d’une certaine façon le plus réaliste. Formulée par personne, la perspective d’une lutte d’ensemble, et des moyens nécessaires à l’échelle nationale pour mettre en œuvre une campagne contre les plans de licenciements ne pouvait surgir spontanément. En conséquence, les luttes de juillet ne gênaient pas le gouvernement, même si ce qu’elles révèlent de colère accumulée a effrayée bien des commentateurs officiels.
Mais pour les salariés, il ne s’agissait pas d’une confiance quelconque envers le gouvernement de gauche. L’attitude avec la droite aurait été sensiblement identique, comme le disent les salariés eux mêmes, il s’agissait de " faire plier l’état ".
Ce sont bien ces luttes, c’est bien cet " air du temps " - qualifié par certains commentateurs, faisant le lien à juste titre entre Millau et Cellatex, de " nouvelle radicalité sociale " … bref, cette prise de conscience, qui à un an des municipales, a contraint le gouvernement, pour légitimer sa position, à intervenir dans le dossier Cellatex.
L’affirmation d’une nouvelle force politique
Cette nouvelle force qui s’affirme progressivement doit encore s’endurcir et se préciser pour devenir réellement politique. Cette force se consolidera notamment au travers des luttes, qui sont le cadre naturel d’élaboration et d’expérimentation des différentes politiques qui s’expriment en son sein. Elle sera d’autant plus sûre d’elle même, de son droit qu’elle s’affirmera comme irréductiblement indépendante de tous les pouvoirs établis. Mais les luttes elles-mêmes auront d’autant plus de chances d’être victorieuses, seront des sources d’enseignement fécondes pour l’ensemble des travailleurs, que leurs militants en trouveront le sens qui les rattache aux autres. Pour l’instant, ce qu’il y a de commun entre ceux qui sont partie prenante des luttes de l’été, c’est que les uns comme les autres pourraient dire : " on sait très bien ce qu’on ne veut pas, mais on ne sait pas encore ce qu’on veut ". C’est ce que critiqueront les esprits chagrins d’extrême-gauche, qui ne se rendent pas compte que leurs propres organisations politiques… souffrent également du même défaut de perspectives… et que les 2 défauts de perspectives sont liés !
A la source des révoltes, qui ont chacune leur visage propre, irréductible, il y a la prise de conscience lente et profonde que le capitalisme n’épargnera rien, que la " bonne volonté " individuelle ne suffit pas pour changer les choses. Il y a un refus de l’aliénation que chaque individu subit jours après jours, années après années dans un système social absurde, qui broie, use et gaspille le meilleur des énergies humaines, techniques, naturelles. Il y a le rejet du totalitarisme de la marchandise, de la libéralisation généralisée qui réduit les sociétés à des masses inertes, les individus à des " pions sur l’échiquier ", qui nous met tous " à la masse ". La lutte contre ce " totalitarisme du XXIème siècle " passe par la défense des droits démocratiques, les droits des individus, à disposer de leur corps, de leur temps, de leur travail, de leurs richesses, le droit d’être acteur dans tous les domaines de la vie sociale et politique.
" Le monde n’est pas une marchandise ", ce slogan a traversé les luttes de ces derniers mois. Il témoigne de l’aspiration humaine à un autre monde, à d’autres rapports, gouvernés autrement que par le marché. Mais si l’école, la santé, la vie elle même, les gènes, la nourriture ne doivent pas être des marchandises, commençons par le commencement : l’être humain lui même ne doit pas être une marchandise. Le travail humain ne doit pas être réduit à la logique de la marchandisation. Un homme vaut plus que son salaire. Pourquoi les 9 dixièmes de l’humanité devraient-ils perdre leur vie à la gagner. La vie est un droit. La monnayer est une survivance barbare qui freine tout développement de la civilisation humaine.
La logique politique des luttes actuelles, de l’évolution des consciences permet aux révolutionnaires de défendre de façon très réaliste la perspective de l’abolition du salariat, de la propriété privée sur le travail et la vie d’autres hommes, comme sur le vivant dans son ensemble, la production culturelle, scientifique et technique, sources de progrès si elle est maîtrisée. Plus encore cette logique réaffirme avec une force nouvelle la perspective d’une société communiste qui permette aux hommes et aux femmes de vivre librement sur cette planète en travaillant le moins possible. Dans le cas des salariés de Cellatex, l’idée d’appropriation collective peut paraître plaquée. Aucune idée d’autogestion n’ayant été même formulée pendant ou après le conflit. En effet, Cellatex n’était pas LIP. Mais mettre en jeu l’existence de l’usine face à celle du sort de ceux qui n’en sont " que " les salariés, c’est une 1ère étape dans la contestation de la main mise absolue des capitalistes sur les moyens de production de l’économie.
L’autonomie des forces populaires vis à vis des pouvoirs institués n‘est pas qu’un souci de garder son indépendance vis à vis de partis politiques qui seraient " récupérateurs ". A Millau par exemple, tous les partis politiques qui l’ont souhaité étaient naturellement présents, puisque chacun a la même place que quiconque. Mais c’est plutôt un constat pratique que les gouvernements, les états, et les institutions qu’elles soient nationales ou internationales sont impuissants à résoudre les problèmes de la société, voire responsables de ces problèmes. La solution la plus réaliste sera de construire un nouveau pouvoir politique exercé par le peuple et pour le peuple et qui mettra en commun toutes les richesses de l’humanité pour satisfaire les besoins vitaux des populations.
De Millau à Cellatex, les germes du communisme, d’une vie démocratique réelle sont bien présents. Les résistances sont pour l’instant l’œuvre de minorités qui deviennent " massives ", en représentant les aspirations de tout un camp social. Ces minorités sont en voie de constituer une force indépendante et solidaire, collective et individualiste, organisée et libre, ouverte et ferme sur ses convictions, sérieuse et festive, mêlant jeunes et vieux, méfiante à l’égard des pouvoirs et des discours établis, mais avide d’inventer un autre avenir. Cette force est celle des " nouveaux sans culottes ", de ce " peuple d’extrême gauche " qui s’affirme depuis maintenant 5 ans.
Le paradoxe de la situation de l’extrême-gauche
Ces luttes participent du mouvement d’expérimentation d’un nouveau " monde du travail ", en pleine recomposition sociale, politique, culturelle, qui prend conscience de sa force. Ces luttes, donc, sont une chance. Notre tache, à nous révolutionnaires, c’est d’en dégager le maximum de sens, la portée révolutionnaire, les yeux résolument tournés vers la révolution à venir, et pas vers le passé réformiste du mouvement ouvrier, et ceci avec nos camarades de lutte, pour eux, pour l’ensemble de notre camp. C’est la condition nécessaire, mais pas suffisante, pour que ces luttes prennent leur véritable sens politique, qu’elles contribuent à forger une nouvelle " conscience de classe " en quelque sorte. Nous ne pourrons le faire qu’en tissant dans ces luttes des relations égalitaires, d’apprentissages réciproques, convaincus qu’elles vont contribuer à reformuler un manifeste communiste du XXIème siècle, renouveler non seulement notre programme politique de transition vers une société sans classe, mais l’ensemble de nos pratiques et de nos discours, l’ensemble de nos organisations, nous-mêmes.
Or, ce n’est pas le moindre des paradoxes que malgré la disparition des obstacles réformistes et staliniens à l’existence de l’extrême gauche dans son propre camp, elle se maintient elle même à l’écart du renouveau des luttes sociales. Ce qui contraste d’autant plus avec l’ouverture d’esprit des luttes, c’est à dire l’absence de corporatisme, dans lesquelles chacun peut y apporter son soutien, défendre ses propres idées. Dans les luttes pour défendre la santé, l’éducation, ou contre un plan de licenciement, personne n’est en fait " extérieur ", puisqu’il s’agit à chaque fois de défendre les intérêts immédiats de l’ensemble de la société. Se défendre de ne pas vouloir " récupérer " les mouvements, ou bien leur attribuer un caractère réformiste en ne prêtant attention qu’à leurs objectifs immédiats ou à leurs leaders, au lieu de mettre en œuvre tout ce qu’il est possible de faire au niveau national, revient à une démission politique.
Cette situation de l’extrême gauche n’est pas une question de mauvaise volonté mais le résultat d’une évolution qui s’étale sur plusieurs années et paraît arriver aujourd’hui à une étape critique. Depuis 1995, l’extrême gauche a pris conscience de l’écho nouveau de ses propres idées, essentiellement à travers le prisme électoral, par les 5 % d’Arlette aux présidentielles, puis aux Régionales de 98 et aux Européennes de 1999. Toute la discussion sur les perspectives des révolutionnaires s’est posée en terme de " responsabilités ", comme si tout reposait sur l’extrême gauche, ce qui est encore une façon de se mettre soi même au centre de la discussion.
Autre conséquence, bien plus dommageable, qu’est ce qui a polarisé depuis septembre 1999, les débats dans l’extrême gauche ? Les élections municipales… C’est un enjeu très important, un tremplin pour jeter les bases d’une force révolutionnaire dans ce pays, pour autant que cet enjeu est relié au terrain bien plus fondamental des luttes, auxquelles il s’agirait, à cette occasion, de donner une expression organisée et politique. La déformation parlementaire du débat au sein de l’extrême-gauche organisée a conduit jusqu’au 18 juin : LO refuse les propositions ultimes de la LCR, donnant ainsi la preuve de sa capacité à défendre la propriété privée de son (petit) capital politique.
Rejeter la responsabilité de la rupture exclusivement sur LO conduit à reproduire son sectarisme. Que pouvait-on attendre d’autre de la direction de LO ? Pouvait-on faire plus en créant les conditions politiques rendant impossibles un tel refus ? Non puisque cela ne s’est pas fait. Mais la paralysie de LO, qui a marqué l’ensemble du débat sur les municipales, conduit à cette paralysie de l’ensemble des forces. C’est un constat dont l’ensemble des forces révolutionnaires qui refusent le statu quo politique devront tenir compte. Malgré une nouvelle radicalité des luttes, l’extrême gauche suit pour l’instant une courbe vers l’institutionnalisation qui ressemble à s’y méprendre à celle des partis de gauche traditionnels. Il ne s’agit pas de trahison… plutôt d’une inertie tranquille, celles des directions traditionnelles qui ont eu le soucis pendant près de 50 ans de se définir par rapport à cette gauche traditionnelle.
Le " décalage " repéré par bien des camarades entre les luttes sociales et l’extrême-gauche organisée a pris la forme d’un décalage entre ce qui est vivant et ce qui paraît inerte. Il n’est même pas exclu que ce " décalage " devienne un gouffre et que la montée en puissance politique de notre camp social… ne se traduise même pas au niveau électoral dans les années futures, voire que les scores de l’extrême-gauche stagnent ou régressent : la boucle serait ainsi bouclée.
DEFINIR UN PROGRAMME DES LUTTES, S’EN FAIRE L’EXPRESSION POLITIQUE
La situation actuelle n’ouvre pas une infinité d’évolutions possibles. Soit l’extrême gauche continue à s’institutionnaliser et perdurera en tant que " tradition ", courant politique qui aura une place, certes respectable, dans le musée du XXIème siècle, soit elle relève le défi de définir les taches pratiques pour les révolutions à venir, à partir d’une compréhension renouvelée du capitalisme. La question de l’élaboration d’un programme révolutionnaire exige à chaque période une méthode particulière qui nous permette de synthétiser l’expérience la plus large possible. L’organisation des Forums de la LCR au printemps 2000 était un début de réponse pratique : en associant tout ceux , militants, associations, syndicats qui veulent participer à la discussion. C’est le début d’une discussion concrète sur le programme nécessaire au lutte qui a été amorcée ici. Reste à mener le processus jusqu’au bout.
Millau nous révèle ou nous confirme que bien des gens, en particulier des jeunes ne fuient ni la discussion politique ni les organisations pour autant qu’elles leur paraissent utiles. C’est l’utilité sociale qui doit justifier notre existence politique : servons-nous à quelque chose ? Une organisation politique, son journal, ses réunions de cellule, à quoi ça me sert quand je suis en bagarre ? C’est à partir des besoins politiques des militants des luttes que doit commencer notre effort concret de reconstruction, notre révolution. Un parti se définit par les initiatives, le rôle social et politique pour un certain camp social dont il se fait l’outil de luttes, comment chaque lutte peut être une expérience pour l’ensemble des salariés. Ainsi un parti se fait aussi la mémoire des luttes des exploités, des expériences d’émancipation, les plus récentes comme les plus anciennes, celles-ci trouvant un sens au regard des combats présents, qu’elles contribuent à éclairer. A ce titre, bien des militants restent paralysés par l’expérience d’octobre 1917 vis à vis de laquelle ils entreprennent un inlassable " travail de mémoire ", qui paraît illusoire, alors qu’une des questions urgentes est de savoir qui fera la mémoire des luttes de Cellatex, de Bertrand Faure, et avant eux des convoyeurs de fonds ou de l’Education Nationale.
Quelles initiatives seraient utiles aujourd’hui pour les luttes ? Donner un écho national à leur programme. Une campagne ?
Le référendum sur le quinquennat par exemple offre une occasion d’exprimer les aspirations des luttes sociales. Toute la presse d’extrême-gauche a souligné l’indifférence que suscitait ce référendum, très éloigné de ce qu’on discute dans les quartiers populaires ! Soyons la force démocratique qui permet aux luttes des derniers mois de s’inviter lors du référendum, de s’y affirmer, de devenir une force nationale, c’est-à-dire politique. Une campagne nationale de l’extrême-gauche pour mettre dans l’urne des bulletins nuls intitulés par exemple : " pour une véritable démocratie : interdiction des licenciements, contrôle de l’économie par les travailleurs et les consommateurs, non au P.A.R.E. et à la loi Aubry, augmentation des salaires et des allocations ", plutôt que d’enfermer l’extrême-gauche dans le jeu parlementaire des municipales, prouverait qu’elle est à même, pour défendre les droits politiques de son camp, de braver la légalité, comme les syndicalistes paysans, comme les Cellatex. Aucun acte politique de nos députés européens n’aurait autant de retentissement, ne serait aussi utile pour construire la conscience politique des luttes, et donc le " tous ensemble … pour changer la société ".
Refusant la logique des institutions et des positions établies, les révolutionnaires ne sont en mesure de donner une portée politique aux luttes sociales et une force sociale à leur programme communiste que s’ils engagent un véritable dialogue avec le large peuple d’extrême-gauche, ne s’arrogeant ni le monopole de la décision, ni celui de l’organisation, ni celui de la politique. C’est de cette manière que dans les mouvements, nous pourrons nous rendre utiles, en tant que force collective, organisée. C’est de cette manière que nous trouverons " tout naturellement " les soutiens, les énergies qui se dépensent sans compter dans les luttes et seront d’autant plus en mesure de le faire qu’elles auront la conscience collective et individuelle de leurs actes.
François et Laurent
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