JOURNAL
" Celui qui dit la vérité, il doit être exécuté. "
N° 38, 8 avril 2000
J'ai reçu un courrier électronique tellement important que j'en ai fait ce numéro du journal. A part quelques modifications typographiques destinées à en faciliter la lecture, je n'ai modifié la traduction qu'en un seul endroit : je me suis permis de remplacer " diviser pour mieux contrôler " par l'expression habituellement utilisée : " diviser pour mieux régner ".
LEONARD PELTIER
Un Guerrier en Cage - Entretien avec Leonard Peltier par Ben Corbett
Paris, le 30 mars 2000,
Bonjour à toutes et à tous,
Les dernières nouvelles qui nous sont parvenues concernant la situation de santé du prisonnier politique amérindien Leonard Peltier font état de son séjour prolongé en observation à la clinique Mayo de Rochester ( Minnesota ) où il récupère progressivement des forces après l'intervention chirurgicale réussie pratiquée par le Dr. Keller le 21 mars dernier.
Pendant ce temps, son comité de défense et ses avocats se préparent pour la prochaine comparution de Leonard devant la Commission des libérations sur parole prévue le 12 juin prochain. Des modèles de lettre de soutien sont disponibles à cet effet, [ Note de do : elles sont présentes sur ce site et vous pouvez les obtenir instantanément en cliquant ici ] vous pouvez nous les demander par email via : LPSG-France@wanadoo.fr
Voici ci-dessous la traduction française de l'article de Ben Corbett, journaliste américain pour l'hebdomadaire Boulder Weekly ( Colorado ), qui a réalisé récemment cet entretien avec Leonard. Nous pensons qu'il restitue bien le contexte et les circonstances qui sont à l'origine de la condamnation et l'incarcération arbitraires de Leonard. Nous avons mis des annotations [ NDT ] là où des éléments d'informations semblaient faire défaut.
Nous espérons que le volume important de cet email n'encombrera pas votre messagerie et que vous apprécierez la lecture de l'article de Ben Corbett.
Merci.
Céline Vaquer-Nos
pour le LPSG-France
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Un guerrier en cage
Entretien avec Leonard Peltier réalisé par Ben Corbett
Boulder Weekly - semaine du 9-15 mars 2000
La réserve indienne de Pine Ridge [ NDT : dans l'État du Dakota du Sud ] est bien connue pour être un des endroits les plus pauvres économiquement sur l'ensemble de l'Amérique du Nord. L'alcoolisme y est souvent le seul moyen de résistance à la dépression. Cette région a un des taux de mortalité infantile les plus élevés de la zone occidentale, accompagné de la plus faible espérance de vie concernant l'homme et la femme. Le chômage approche le taux des 75 %. L'eau courante et le tout à l'égout y sont un luxe. Le réconfort y est une chose inconnue. Une région mise à l'ombre et livrée à toutes sortes de statistiques. La honte de l'Amérique, enfouie derrière les gros titres, aujourd'hui derrière Clinton et le Kosovo, hier, derrière Nixon et le Vietnam.
Dans les années 1973-75, la situation sur Pine Ridge était la même, sauf que cette réserve avait alors un taux d'homicides par habitant encore plus élevé que n'importe quelle grande mégapole américaine. L'aggresseur était le nouveau président tribal oglala-lakota, Dick Wilson, un ancien plombier qui fut investi à la tête de ce gouvernement fantoche à l'issue d'élections truquées. Wilson détourna les fonds destinés aux indiens traditionalistes, plaça les membres de sa famille élargie aux différentes fonctions du gouvernement tribal, leur distribua des salaires énormes, escroqua la communauté en cédant une portion de territoire riche en uranium au gouvernement américain en échange de dessous de table. L'ampleur de cette corruption a laissé un gouffre. Lorsque les indiens traditionalistes s'opposèrent au régime de Wilson, une série de morts mystérieuses s'ensuivit. Des corps de traditionalistes oglala-lakotas étaient retrouvés dans des caniveaux ou chez eux, portant des traces de tortures, d'impacts de balles et de mutilations infligées par la milice privée de Wilson, les GOONs, les Gardiens de la Nation Oglala lakota. Les traditionalistes oglala-lakotas, désespérés, vivant dans la terreur et voyant leurs enfants et personnes âgées menacés à tout instant par la mort et les tirs d'armes des escadrons mobiles, ont demandé de l'aide auprès du récemment constitué American Indian Movement ( AIM ).
Dans l'orientation du dispositif du COINTELPRO [ NDT : Counter-Intelligence Program, soit programme de contre-espionnage ], les exécutants du FBI de J. Edgar Hoover avaient pour mission de briser tous les mouvements considérés comme subversifs, en utilisant des tactiques du " diviser pour mieux régner ", en introduisant des drogues dures dans les quartiers populaires des centre-villes, en les neutralisant par des arrestations et des procès truqués et en se rendant les complices de traitements infligés au moyen de la cruauté et de la torture. Les principales cibles de ces attaques brutales étaient les Blacks Panthers et l'AIM, étiquetés comme des groupes communistes. En 1975, le FBI a financé, assisté et équippé Dick Wilson et sa milice des GOONs en leur distribuant de l'armement et des munitions sophistiqués, transformant Pine Ridge en un champ de bataille destiné à anéantir l'AIM.
La tension fut à son comble le 26 juin 1975, lorsque deux agents spéciaux du FBI pénêtrèrent sur la propriété de la famille des Jumping Bull qui était une place forte de l'AIM. Les deux agents, Coler et Williams, suivirent un véhicule conduit par un suspect, Jimmy Eagle, jusqu'au terrain où ils stationnèrent dans une zone encerclée par des défenseurs de l'AIM armés [ NDT : il est important de noter que c'est le gouvernement américain qui défend la version très controversée de ce véhicule pour faire croire à une embuscade préparée par l'AIM, une thèse qui a volé en éclat lors du procès de Peltier du fait de la multitude de contradictions et incohérences présentées par les témoins introduits par l'accusation ]. Aujourd'hui encore, les témoins insistent que ce sont les agents qui ont fait feu sur l'AIM en premier à l'aide de leurs revolvers et fusils d'assaut de service dissimulés dans leurs voitures. Les agents, dépassés en nombre et en arme, ont tout deux été blessés dans les échanges de coups de feu et peu après exécutés à bout portant par un assaillant non-identifié. Chacun a d'abord pu fuir la propriété, puis la réserve et enfin l'État [ du Dakota du Sud ]. Peltier, tout comme Sitting Bull avant lui, s'est enfui au Canada.
Plus tard, Jimmy Eagle, Bob Robideau, Darrell Butler et Leonard Peltier ont été accusés de charges liées à la mort des deux agents. Jimmy Eagle a été acquitté [ NDT : les charges ont été abandonnées ]. Robideau et Butler ont été acquittés lors de leur propre procès sur la base de la justification de l'auto-défense. Ils ont fait le serment devant les jurés qu'ils ne savaient pas que les deux hommes étaient des agents du FBI et ont expliqué le " règne de terreur " instauré par Dick Wilson sur Pine Ridge entrainant des meurtres et des fusillades par les escadrons mobiles. Les véhicules des agents ne présentaient aucun indice particulier pouvant aider à leur identification. Deux étrangers ont fait irruption et ont ouvert le feu en direction du campement de l'AIM, en conséquence de quoi l'AIM a riposté. Il n'existait aucune preuve établissant un lien entre les deux accusés et l'exécution. Ils ont été acquittés. Auto-défense. Peltier était la dernière chance pour l'accusation d'obtenir une condamnation. Une certaine Myrtle Poor Bear fit une entrée très à propos dans l'affaire, alors que personne n'avait jamais vu ou entendu parler de cette femme sur la propriété des Jumping Bull, en prétendant être la petite amie de Peltier et déclarant sous serment l'avoir vu tirer sur les deux agents. Grâce à ses dépositions -trois au total et toutes contradictioires- l'extradition du Canada était scellée.
Et voilà qu'un fusil de type AR-15 fait soudainement son apparition comme l'arme du crime, accompagné d'une mystérieuse douille retrouvée dans le coffre de la voiture de l'un des deux agents morts. Alors qu'il y avait plusieurs AR-15 sur la propriété des Jumping Bull lors de ce 26 juin, celui-ci a été désigné comme appartenant à Peltier. Comment ont-ils pu prouver qu'il appartenait à Peltier ? Il n'y avait aucune empreinte sur cet AR-15 car cette arme avait partiellement fondu et été carbonisée sous l'effet de l'incendie d'un véhicule survenu dans l'État du Kansas, à quelques 4.500 kms de l'endroit où se cachait Peltier. Ainsi, les avocats représentant le gouvernement ont établi un lien entre la douille et l'arme par un test balistique assez confus. Mais comment établir un lien entre ces fragments de preuve et Peltier ? À en juger, Peltier aurait dû être acquitté pour la simple raison qu'ils ne pouvaient pas mettre cette arme entre ses mains pendant le déroulement de la fusillade. Il n'existait aucune preuve le liant à cette arme, en admettant seulement qu'elle fut l'arme qui servit à tuer les agents. Cependant, par une manipulation flagrante de la justice, le gouvernement établit le lien entre l'arme et Peltier. La manière avec laquelle ils y sont parvenus dans une cour de justice est déconcertante. N'importe qui peut consulter les dossiers et voir que c'est chose impossible. Jusqu'à maintenant, il n'a pas été prouvé que Peltier était plus coupable que Robideau et Butler de la mort des agents. Il avait seulement tiré dans la direction de deux étrangers par auto-défense. Pourtant, il est encore en prison depuis 24 ans.
Leonard Peltier s'est posé cette question jour et nuit pendant plus de 24 ans. Pendant plus de 288 mois. Pendant plus de 8.760 jours. Pendant plus de 21.240 heures. Pendant les plus de 12.614.400 minutes qui ont été arrachées à sa vie.
" Pourquoi ? "
La question est en suspension dans l'atmosphère dense du pénitencier fédéral de Leavenworth. Elle fait écho aux murs de béton froids et monolithiques et aux regards morts des gardes. Elle résonne dans l'imposante porte en acier de la cellule de Leonard, qui conduit vers une cage plus vaste où se trouve la population générale de la prison, conduisant vers deux rangées de haie de barbelés hautes de près de 4 mètres, conduisant vers la cage du gouvernement où sont emprisonnés tous les Amérindiens, conduisant vers les prisons mentales des geoliers, les morts qui marchent. La sentence pour Leonard ? Deux peines de prison à vie consécutives. La sentence pour les Amérindiens ? Deux peines de prison à vie consécutives. La sentence pour ceux qui ont condamné, les Etats-Unis ? Deux peines de prison à vie consécutives. La sentence pour l'humanité qui reste passive ? Deux peines de prison à vie consécutives.
" Pourquoi ? "
Le FBI dit que c'est une mesure de sécurité nationale. Ils ont réussi à avoir leur homme et ils s'acharnent à le garder. Pour eux, il est un symbole leur rappelant la haine qu'ils ont d'eux-mêmes. Un bouc-émissaire sur lequel se projette la honte du gouvernement. Pour les Amérindiens traditionalistes, Leonard est devenu un martyr sacrifié pour la liberté des Peuples Indigènes dans le monde entier. Un natif catalysant l'unité de la lutte dans la guerre qui se poursuit contre le génocide. Pour Peltier ? " Je suis emprisonné pour deux peines de prison à vie consécutives parce que je suis Indien ".
" Pourquoi ? "
Nous espérons que les propres paroles de Leonard répondront en partie à cette question difficile. Mais plus encore, nous espérons qu'elles mettront au défi le lecteur de s'en poser des plus hardues. Des questions sur ce qu'est la responsabilité. Sur la valeur de la justice. Sur la lutte pour les droits, les droits de Leonard, les droits humains, les droits naturels, nos droits. Sur le sens à donner au terme " Liberté " et sur ce qu'il en coûte lorsqu'on la perd à quelque niveau que ce soit.
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Boulder Weekly ( BW ) : Vous avez eu une semaine assez chargée.
Leonard : Oui, Rigoberta Menchu est venue, ce qui fut un grand honneur. Cela a été une visite très fructueuse. Je ne savais pas que les Prix Nobels de la Paix pouvaient avoir autant de poids. Beaucoup de gens lui prêtent une attention toute particulière. Elle s'est rendue récemment au Département de la Justice en ma faveur. Je connais Rigoberta depuis le début des années 80, alors qu'elle travaillait avec le Conseil International des Traités Indiens ( IITC ). Cela a été agréable de pouvoir enfin la rencontrer en personne. Je n'avais eu jusque là que des entretiens par téléphone avec elle. C'est une femme généreuse. Elle a beaucoup souffert.
BW : De quoi avez-vous discuté ?
Leonard : Ils se demandaient quelle stratégie ils pourraient utiliser pour m'aider à sortir de là. Poursuivre les efforts en vue d'établir des coalitions. À Washington, après qu'ils se soient rendus au Département de la Justice, ils ont tenu une conférence de presse et plus de 300 organisations nationales se sont rangées derrière elle, pour soutenir ses efforts pour me libérer. Cela a été un grand plus pour nous. Un gain majeur pour essayer de réunir plus de tribus derrière moi, en les amenant à signer des lettres en faveur de la grâce présidentielle et même davantage.
BW : Que ressentez-vous par rapport à la manière dont les évènements se déroulent ?
Leonard : Bon... Je ne vois toujours pas la lumière au fond du tunnel. Ces politiciens sont de tels guignols que vous ne savez jamais. Vous ne pouvez vraiment pas obtenir grand chose de la plupart d'entre eux une fois qu'ils sont parvenus au pouvoir. Ils oublient complètement tout de leurs engagements. Les gens qui sont démunis les élisent et ils oublient ces gens. Lorsque Clinton était en campagne électorale il y a 7 ans, des membres de son électorat lui ont demandé : " Que ferez-vous pour Leonard ? ", et il a répondu : " Je m'en occuperai. " Et 7 ans plus tard, il n'a toujours rien fait. Nous savons que le Procureur fédéral a fait des recommendations sur le point de la grâce présidentielle durant son premier mandat. Cela a été transmis au bureau de Janet Reno. Et cela reste en souffrance là-bas depuis. Un grand nombre de gens ont rencontré Clinton et il connait l'affaire. Peter Matthiessen [ NDT: auteur du livre " In the Spirit of Crazy Horse ", l'histoire de Leonard Peltier et de la guerre du FBI contre l'AIM ] l'a rencontré, Thom White Wolf, le représentant de l'Église Méthodiste Unie, l'a rencontré à plusieurs reprises. Clinton est allée sur la réserve de Pine Ridge l'année dernière et il a vu plusieurs de mes sympathisants agiter à son attention des pancartes exigeant ma libération. Mais Harold Salway ( le président tribal oglala-lakota ) m'a dit que lorsque Clinton et lui se sont trouvés que tous les deux, Clinton lui a demandé : " Qui est Leonard Peltier ? " Donc, ce n'est pas bon pour moi quand des gens en arrivent à dire de telles choses, vous voyez ?
BW : Je sais que vous l'avez répété des milliers de fois mais à quoi ressemblait la pression qui existait sur Pine Ridge en 1975 ?
Leonard : Je raconte cela sans discontinuer depuis 24 ans. Je ne peux que répondre comme je l'ai toujours fait. Il y avait un règne de terreur qui était imposé au peuple oglala lakota par son propre gouvernement tribal. Nous savons maintenant qu'il y a un organisme [NDT: la Commission sur les Droits Civiques des États-Unis] , au sein du gouvernement américain qui a mené des investigations et, qui, avant d'arriver à ses conclusions, avait déjà enquêté sur 64 décès qui ont été imputés à la milice des GOONs de Dick Wilson. Les gens vivaient dans la peur. Ils vivaient dans une terreur constante. C'était comme ça.
BW : Quelle était la principale raison de la présence du FBI ? Qui protégeaient-ils ?
Leonard : Des intérêts particuliers. Dick Wilson, qui soutenait les intérêts particuliers de groupes, de compagnies minières et d'agences gouvernementales en cédant la terre indienne pour l'ouvrir à l'exploitation minière. C'est un fait notoire que le FBI a toujours été du côté des gros bonnets du milieu des affaires et du gouvernement. Ils savaient qu'ils approchaient de la fin de la politique de " Termination " qui était prévue pour 1985, et ils devaient déclencher des incidents de manière à en accélérer le processus [ NDT: cette politique fut mise en place par le Congrès dans les années 50 et avait pour objectif de mettre un teme à la situation dite de " tutelle assistée " des nations indiennes par le gouvernement américain. Elle s'est traduite par la suppression totale et définitive -par des moyens généralement frauduleux- du versement des indemnités pour un certain nombre de tribus, et ce en violation totale des clauses des traités signés entre le gouvernement américain et ces nations indiennes. Cette politique a été officiellement invalidée par le Congrès depuis. Officiellement... ] Malheureusement pour eux, cela a produit des ricochets. L'opinion publique a soutenu les Oglala-Lakotas.
BW : Comment est-ce que l'AIM s'est trouvé impliqué ?
Leonard : L'AIM avait reçu la demande des traditionalistes et du peuple oglala-lakota [ NDT: la Nation Ogla-Lakota Indépendante ] de Pine Ridge de venir les soutenir. Les aider dans leurs démarches en vue d'obtenir gain de cause à travers le système judiciaire. À combattre la discrimination, la pauvreté et les activités criminelles de leur président tribal. C'est pour cela que l'AIM était là. À leurs demandes. Personne au sein de l'AIM y est allé et s'est imposé.
BW : Quel était votre rôle dans l'AIM à cette époque ?
Leonard : J'assistais Dennis Banks [NDT: un des leaders et co-fondateurs de l'AIM]. Garde du corps, si vous préférez ce terme. J'étais uniquement un parmi d'autres organisateurs, vraiment. Bien sûr, nous protégions Dennis. Vous ne pouviez certainement pas l'approcher ni l'atteindre avec moi et quelques autres types dans son entourage. Nous étions la sécurité, mais ce n'était pas réellement notre fonction. Notre rôle était d'aider à l'organisation d'événements sur la réserve.
BW : Quand est-ce que le FBI a commencé à mener des investigations sur vous ?
Leonard : C'est difficile à dire. Je n'ai pas récupéré tous les dossiers du FBI me concernant après la requête déposée dans le cadre de la Loi sur la Liberté d'Information [ NDT : Freedom of Information Act ( FOIA ) votée en 1981. Sur les 18.000 pages du dossier concernant Leonard que le FBI devait légalement remettre à ses avocats, 6.000 restent maintenues au secret pour des raisons de sécurité ]. Mais ils me connaissent depuis Fort Lawton à Seattle ( 1970 ). J'ai aidé à l'occupation de la base militaire du Fort Lawton un an après l'occupation de l'île d'Alcatraz [ NDT : L'occupation de Fort Lawton fut une victoire indienne car depuis, il existe un centre culturel inter-communautaire ]. Ceux d'entre nous qui ont été impliqués et qui ont été arrêtés ont eu des dossiers constitués par le FBI. Là-bas, j'étais très visible et j'étais également très visible en aidant la communauté indienne à s'organiser contre la guerre au Vietnam. Il y a des documents qui prouvent que j'étais surveillé dès cette période.
BW : Cela faisait partie intégrante de la campagne du FBI dirigée contre de l'American Indian Movement ?
Leonard : Oui. Mais pas seulement à l'encontre de l'AIM. Il y avait beaucoup d'autres organisations qui étaient toutes aussi actives. Les " United Tribes of All Indians " dont j'étais l'un des fondateurs était alors une organisation puissante. Elle existe depuis 1970. C'est juste qu'elle n'a pas engagé des actions de même nature que celles que l'AIM a lancées. L'AIM s'est retrouvé sous les projecteurs.
BW : Après la fusillade de 1975, pourquoi ont-ils eu besoin d'épingler les meurtres sur vous ?
Leonard : Nous avons découvert pendant les procès qu'ils ne voulaient sûrement pas accuser qui que ce soit originaire de la réserve de Pine Ridge. Donc ils ont essayé d'inculper des individus qu'ils considéraient comme des agitateurs extérieurs, et ce fut moi, mon cousin Bob Robideau, mon ami Darrell ( Dino ) Butler, et bien sûr Jimmy Eagle. Moi-même et mon cousin Bob avons du sang lakota dans nos veines. Nous ne sommes pas vraiment des étrangers. Mais c'est comme ça qu'ils tentaient de nous décrire. " Voici des agitateurs extérieurs membres de l'AIM, venus causer la mort des agents. " Ils nous ont donc inculpés. Et il s'est avéré que Darrell et Bob ont été traduits en justice à Cedar Rapids ( Iowa ) et qu'ils ont eu beaucoup de chance d'avoir à affaire à un juge qui a respecté et honoré son serment et qui a présidé leur procès de la manière la plus juste qu'il le pouvait. Il y avait beaucoup plus de preuves dont il aurait pu autoriser l'introduction, mais il a vu à quel point cela aurait porté préjudice au gouvernement. Mais il en a laissé passer certaines et c'était suffisant. Les jurés les ont entendues et ont dit : " Oh, attendez une minute, il y a quelque chose qui ne va pas là. Ils n'ont pas tué ces agents. " Rappelez-vous qu'ils étaient accusés d'avoir tiré eux aussi. Et s'ils avaient tiré, c'était par auto-défense. Les agents Coler et Williams disaient être dans le coin à la recherche de Jimmy Eagle pour une histoire de kidnapping et de cambriolage. C'est ce que le FBI a raconté aux médias et au reste du monde. Mais à la base, lorsque l'accusation a été révélée, le seul motif pour lequel il était pursuivi était pour le délit mineur du vol d'une paire de bottes de cow-boy. Mais ce que nous pensons, et je crois que c'est ce qui s'est réellement passé, est qu'ils savaient que Dennis Banks se trouvait là. Et nous avons également appris de Duanne Brewer, qui était un des leaders de la milice des GOONs, qu'ils savaient que la propriété des Jumping Bull était une place forte de l'AIM. Ils avaient programmé des assauts sur la propriété et aussi dans un autre endroit à côté de Kyle. Ils étaient partout sur la réserve de Pine Ridge. Ils programmaient l'assaut de ces lieux avec la logistique et l'assistance du FBI sous la forme de munitions anti-blindage, d'armement sophistiqué et d'aide financière. Nous savons aussi qu'il y avait une large mobilisation d'APC ( Armored Personnel Carriers ) dans différentes zones à la périphérie de la réserve prêts à intervenir.
BW : Quelle était l'histoire de Williams et Coler ?
Leonard : Eh bien, nous savons que Williams était probablement obsédé par la haine qu'il nourrissait à l'égard des Indiens, et plus particulièrement à l'égard de l'AIM. Il avait été impliqué dans la tentative d'étouffement d'une affaire qui avait été finalement exposée et cela a évidemment fait du tort à ses états de services. Donc il était très motivé par la vengeance. Les gens ne savent rien de tout ça, et bien sûr les médias refusent d'imprimer ce fait, préférant le décrire comme un jeune homme américain bien clean et irréprochable. Ce sont des conneries. Si vous vous rappelez de ce que lui et ( l'agent ) David Price ont fait au moment du procès de Means et Banks à Minneapolis [ NDT: Dennis Banks et Russel Means, leaders de l'AIM ], il vous reviendra en mémoire qu'ils ont tous les deux collaboré de manière à étouffer une affaire de viol et d'agression brutale commis par leur témoin vedette Louis Moves Camp. Ils l'avaient emmené boire un verre ce soir-là. Louis était un jeune toujours à l'affut. Il a ramené cette fille et ils lui ont donné une petite tape dans le dos en lui disant " ok, à demain ", puis il a emmené la fille dans sa chambre d'hôtel où il l'a tabassée et violée. Et ces deux gars-là ont étouffé l'affaire.
BW : En quoi est-ce que le procès de Robideau et Butler était-il différent du votre ?
Leonard : Ils ont été autorisés à présenter un grand nombre de faits liés à la terreur, aux assassinats, à la pauvreté et à tout ce qui se passait sur Pine Ridge. Et ils ont été acquittés et déclarés non coupables sur la base de l'auto-défense. Malheureusement pour moi, par une manoeuvre menée dans le plus grand secret, ils ont été en mesure de soustraire mon cas à la Cour de justice de Cedar Rapids [ NDT : où Robideau et Butler avaient été acquittés ] et se sont mis en quête d'un nouveau juge. Nous savons d'où ça vient; ça vient du Département de la Justice. Mais nous ne savons pas de qui c'est venu dans le Département de la Justice. Probablement quelqu'un de haut placé. Beaucoup de juges ont refusé. Mais le Juge Benson était d'accord pour collaborer avec le gouvernement et pour obtenir une condamnation.
BW : Et ceci était votre premier procès ?
Leonard : C'était mon premier procès. J'ai eu un jury composé de citoyens Blancs américains âgés entre 50 et 70 ans, tous originaires du Dakota du Nord, et ayant été conditionnés toute leur vie à croire que les Indiens sont tous des ivrognes et des feignants qui ne valent pas grand chose. Je devais forcément être coupable, vous pensez, parce que sinon, le FBI ne m'aurait pas arrêté. En plus, on est tous des ivrognes. Voilà en gros à quoi se résumait le jury. Je n'ai pas été autorisé à avancer quoi que ce soit pour me défendre. Le gouvernement a été autorisé à disposer de 5 semaines pour présenter ses témoins. Ils ont pu fabriquer l'arme du crime. Ils ont pu m'accuser illégalement d'être le propriétaire de cette arme. Et je n'ai eu droit qu'à une seule journée et demie pour produire des témoignages. Tout le reste a été déclaré irrecevable. Dès que j'appelais un témoin, le juge le déclarait irrecevable. Myrtle Poor Bear était cette femme qu'ils avaient utilisée pour signer les dépositions pour m'extrader du Canada. Nous avions le père de Myrtle Poor Bear, ainsi que sa soeur dans la liste de nos témoins. Ils étaient prêts à témoigner qu'elle était handicapée mentalement, qu'elle mentait, qu'elle ne m'avait jamais approché ni connu de toute son existence. Sa soeur s'est levée et est allée confirmer ces faits, à un moment où le jury s'était retiré, évidemment. Plus tard, Myrtle est venue nous voir et nous a raconté ce qui lui était arrivé. Elle nous a dit qu'elle avait été menacée de mort. Qu'elle avait été terrorisée par des agents de police et du FBI la poussant à être coopérante et à témoigner contre moi.
BW : Est-ce que ce sont les mêmes tactiques qui ont été utilisées durant les procédures de vos appels ?
Leonard : La pièce à conviction la plus critique contre moi était la preuve balistique. J'ai fait appel à deux reprises. Lors du premier appel, j'ai dénoncé 12 irrégularités qui étaient automatiquement réversibles, des questions constitutionnelles. Mon cas a été entendu par le Juge Gibson, le Juge Ross, je crois, ma mémoire me joue des tours. Et... Qui était ce directeur du FBI ? Webster. On ne le savait pas encore à ce moment-là, mais il avait été demandé à Webster s'il accepterait d'être nommé à la tête du FBI. Et bien sûr, il a répondu oui. C'est alors qu'il a mystérieusement été désigné pour entendre mon affaire. Donc il écoute tous nos arguments, et tout d'un coup, on apprend par nos contacts à Washington que Webster a eu vent de cette possibilité de promotion au top du FBI bien avant mon appel. Nous avons alors protesté et demandé une nouvelle audience. Nous voulions obtenir un tout nouveau panel de juges, mais ils ont uniquement remplacé un juge, et Webster avait déjà manigancé. Il a désigné le juge qui allait le remplacer. Ils ont maintenu ma condamnation pour meurtre au premier degré. Ils ont dit : " vous êtes coupable de meurtre au premier degré en raison de la pièce à conviction qui vous accable le plus, à savoir l'arme du crime. "
BW : C'était ce fameux AR-15 qui avait pratiquement fondu et été carbonisé dans l'incendie d'un véhicule ?
Leonard : Oui. J'ai déposé une requête dans le cadre de la FOIA et ai reçu en retour des milliers de documents. Dans deux de ces documents, j'ai découvert qu'il y avait eu des tests balistiques avec l'arme en question et qu'ils s'étaient révélés négatifs. J'ai fait une demande en appel. Le Juge Benson l'a rejetée. J'ai donc fait appel contre ce rejet auprès des autres Cours. Les Cours ont révoqué la décision du juge en 1984 en demandant la tenue d'une audience d'examen des preuves. Il y avait un expert en arme à feu, Evan Hodge, qui avait fait des fausses dépositions -et ceci est un fait, ce n'est pas une " accusation proférée par Leonard Peltier. " Nous l'avons démontré lors de l'audience de 1984. Il a produit un faux témoignage lors du procès de Bob et Dino [ NDT: Robideau et Butler ]. Il avait produit une fausse déposition destinée aux audiences en vue de mon extradition et aussi durant mon procès. Il avait certifié que l'arme était si endommagée qu'il n'avait pas pu lui faire subir de test [ NDT : dans un rapport bien antérieur aux audiences pour l'extradition et dissimulé à la défense ]. Il a déposé sous serment que seuls lui et son assistant, Joe Twardovsky, avaient accès aux rapports balistiques qui étaient placés dans un coffre. Le Juge Benson nous a accordé après beaucoup de réticence le concours d'un expert en graphologie et a suspendu la séance le temps de procéder à l'analyse des manuscrits. Je me dirige donc vers la cellule de détention et mes avocats disent : " on va descendre te voir très bientôt. " C'était Kunstler, Bruce Ellison et Lew Gurwitz. Je les attends donc pendant 3 ou 4 heures, ok ? Et j'attends et j'attends. Finalement, je regarde par cette petite lucarne, et je vois mon avocat qui sourit et me montre son poing victorieux. Ils viennent me trouver dans la cellule et me disent : " Voilà ce qui s'est passé. " Apparemment Crooks, le procureur, se balladait dans le hall avec Joe Tardowsky et Evan Hodge. Il a demandé à Evan Hodge : " Evan, c'est ton écriture n'est-ce pas ? " Evan a dit : " Non, c'est celle de Joe. C'est la tienne Joe, n'est-ce pas ? " Et Joe de répondre : " Non, c'est la tienne Evan, non ? " Finalement Crooks -c'est la version de Crooks le procureur- dit " j'ai donc coupé court et j'ai dit ' Alors, c'est l'écriture de qui ? ' " C'est alors qu'ils sont partis en trombe pour débusquer le juge, qui vivait à Fargo, et l'ont acheminé jusqu'ici secrètement, car il était tellement détesté qu'ils craignaient que quelqu'un chercha à l'éliminer. ( rires ) Je ne veux pas dire par nous les Indiens mais par tout le monde. Il y avait les dingues, ceux escroquaient le fisc, personne pouvait le blairer. De toute façon, il n'avait pas de radio dans sa voiture. Acheminement dans le secret. Ils ont dû le prendre en chasse à plus de 200kms à l'heure ( rires ), ils l'ont trouvé et lui ont annoncé : " Il faut que vous reveniez. " Ils l'ont ramené, ont eu un petit entretien avec lui et ont rappelé Evan Hodge à la barre. Le procureur lui a demandé : " Est-ce que c'est votre écriture ? " Et Evan dit : " Non, je me suis mal exprimé. " Et c'était suffisant pour lui éviter d'être traîné en justice pour parjure. Les audiences ont donc été ajournées pendant une dizaine de jours et les experts en graphologie ont non seulement décelé une écriture différente mais même deux. Trois en tout. Ça se voit. Je les ai distinguées, et j'ai un bon coup d'oeil pour ces choses-là, elles sont presque identiques. Cinq personnes qui ont presque la même écriture, c'est assez phénoménal! Vous voyez, cela me fait penser dit qu'ils ont imité les écritures de Hodge et de son assistant et et qu'ils ont réussi à les reproduire. Même les policiers, après avoir vu ça, disaient : " Ils doivent vous relâcher, parce que c'est leur pièce à conviction la plus cruciale contre vous. " Mais le Juge Benson a rendu une fin de non-recevoir en disant que comme Evan Hodge était retourné à la barre de son propre chef, cela n'avait fait que renforcer son témoignage plutôt que de le discréditer. C'est pour cette raison que sa déposition a été considérée comme recevable.
BW : Avez-vous fait appel contre ce verdict ?
Leonard : Nous avons fait appel et avons eu une audience qui s'est tenue à St Paul dans le Minnesota et durant laquelle William Kunstler a commis une énorme erreur à mon détriment. C'était en 1985 et le Juge Heaney a demandé : " Norman Brown ( un jeune navajo membre de l'AIM qui était présent lors de la fusillade de 1975 ) n'a-t'il pas témoigné avoir vu Leonard à proximité des voitures des deux agents ? Et si tel est le cas, êtes-vous en train de me dire qu'il souhaite maintenant plaider l'auto-défense au lieu de non-coupable ? " Kunstler a répondu : " Oui, Norman Brown a effectivement témoigné dans ce sens. " Évidemment, l'accusation a exulté. Ils n'en revenaient pas de la stupidité de Kunstler. Moi, je me trouvais dans la salle d'attente. Un de mes avocats du coin m'a apporté un enregistrement de cette audience et je l'ai écouté. Je me suis tourné pour appeler Bill ( Kunstler ). Je lui ai dit : " Bill, c'est une erreur ". Il m'a répondu : " T'en fais pas, c'est rien. " Le Juge Heaney m'a annoncé que la raison pour laquelle il ne permutait pas ma condamnation était le fait que Norman Brown avait témoigné m'avoir vu près des voitures. Avant de mourir, Bill Kunstler a rédigé une déposition dans laquelle il admet avoir fait une grave erreur. Un vice de procédure. Je suis en prison pour le restant de mes jours à cause d'un vice de procédure. Je vais mourir en prison à cause d'un vice de procédure.
BW : Pourquoi les États-Unis ont-ils eu besoin de falsifier la pièce à conviction pour un premier procès ?
Leonard : Pourquoi ? Pour avoir la garantie que le gouvernement des États-Unis obtiennent une condamnation. Ils voulaient coincer leur homme. En 1985, la 8ème Cour d'Appels -durant mon second appel- a rendu sa décision sur deux pages. Dans ce compte rendu ils ont déterminé qu'il y a eu dissimulation de preuves en mesure de m'innocenter, ce qui signifie qu'il existait des points qui auraient pu m'épargner une condamnation s'il n'avaient pas été dissimulés, et cela concernait l'arme du crime. Parjures commis par des témoins introduits par l'accusation. Inconduite du FBI. Le juge a pris des décisions arbitraires qui entravaient ma défense. Cela constitue quatre violations de mes droits constitutionnels. Mais comme le FBI exerce un contrôle sur le plan politique et auprès des Cours, ils ont invoqué le verdict Bagley -désigné ainsi d'après un cas présenté devant la Cour Suprême et faisant jurisprudence par la décision finale que la possibilité doit l'emporter sur la probabilité- afin de me refuser une révision de procès. Ce qui est assez ironique dans tout ça et qui illustre ce que je viens de dire au sujet de l'influence du FBI sur les Cours est qu'il s'est produit un cas presque identique au mien peu de temps avant. Ils ont pris la décision inverse. Complètement à l'opposé. Ils ont libéré le type en se basant sur le verdict Bagley. Et dans mon cas qui venait après, ils ont carrément fait volte-face. Je suis donc assis ici en prison encore en raison d'un vice de procédure. Les Cours ont maintenant mis en place un système où non seulement il vous est impossible de recevoir un procès équitable mais en plus elles exigent que vous prouviez votre innocence. Dans un cas comme le mien, comment prouver l'innocence ? C'est impossible. Tout est manigancé dans ce pays pour empêcher les plus démunis d'avoir droit à la justice. Ils n'utilisent pas ce genre de tactiques avec des avocats de grande envergure. Les prévenus ne savent pas comment se défendre contre ce genre de choses. Les gens démunis ne savent pas comment se battre contre le système. Le gouvernement des États-Unis peut vous inculper de n'importe quoi, après, c'est à vous de prouver votre innocence. Et cela est contraire à la Constitution des États-Unis. Mais ceci est le résultat des manœuvres de la droite fasciste et conservatrice qu'on peut observer dans ce pays. Les gens ne se rendent pas compte, ou ne veulent pas ouvrir les yeux et regarder ce qui est réellement en train de se passer. C'est comparable à ce que le parti Nazi a fait au moment où il s'est emparé du pouvoir en Allemagne. Ils ont commencé par le système judiciaire et personne en Allemagne auparavant pensait qu'une telle chose pouvait se produire non plus.
BW : Pourquoi pensez-vous que c'est en train de se produire ici ?
Leonard : Le gros business. Le contrôle. Ils veulent davantage de contrôle. Plus de pouvoir. C'est la domination de la planète. Les États-Unis se sont illustrés comme un gouvernement très vindicatif. Nous savons qu'ils ont commis des atrocités dès le début de leur existence. Pendant les première et seconde guerres mondiales, pendant la guerre de Corée, pendant la guerre du Vietnam, il y a eu une multitude de massacres. Évidemment, si vous voulez vous pencher sur l'histoire des Indiens d'Amérique, elle est ponctuée de massacres perpétrés sur tout l'ensemble du pays, c'est bien documenté. Et à chaque fois qu'ils rencontraient une défaite comme celle de la bataille de Little Big Horn [ NDT: victoire écrasante remportée le 25 juin 1876 par les Indiens à l'issue de laquelle a été tué le Général Custer, ennemi juré des Indiens, immédiatement après qu'il ait lancé l'assaut avec sa 7ème cavalerie sur le campement du chef Sitting Bull ], ils réclamaient vengeance durant les 200 ans qui suivaient, et cela continue pour nous. Ils veulent encore venger leurs soldats qui ont été tués. C'est la même chose avec le système de justice. Il faut vraiment que vous soyez complètement demeuré pour ne pas croire à certains des faits que je relate concernant leur système de justice. On sait qu'il s'est produit une quantité de scandales impliquant la police de la ville de Philadelphie. On sait qu'il s'est produit une quantité de scandales impliquant la police de la ville de Los Angeles. Avec la police de l'État du Massachusetts. Du Michigan... j'entends par là, prenez n'importe quelle ville au hasard et vous constaterez que sa police y a toujours intrigué de manière à envoyer les gens en prison. Dans certains cas pour les assassiner. Qu'est-ce qui est si difficile à croire dans tout cela ? À moins que vous croyiez d'une manière plus ou moins inconsciente qu'ils agissent correctement, qu'ils doivent poursuivre cette guerre contre la pauvreté et l'élimination des minorités et des démunis de ce pays. Et c'est ce qu'ils sont en train de faire. Il y a maintenant 2 millions de personnes en prison. 2 millions. J'ai lu des cas de condamnations qui sont consternants, où ils ont même corrompu le jury. Le gouvernement fédéral. Mais les gens à l'extérieur, ils ont subi un lavage de cerveau. Il faut vraiment être demeuré pour continuer à donner prise à tout ça. Ça se passe juste sous vos yeux. Vous les voyez tirer 19 fois sur un type. Ils ont tiré sur un autre gars 41 fois ! [ NDT : Amadou Diallo, jeune Guinéen assassiné le 4 février 1999 à New York par des policiers. Ses meutriers ont été acquittés... ] Et ils continuent d'affirmer : " Oh, bon, c'était justifié. " Vous savez que ces flics s'en tireront sans difficulté.
BW : Beaucoup de gens vous voient comme un prisonnier politique. Vous considérez-vous vous même comme un prisonnier politique ?
Leonard : Oui. Certainement. Je suis un prisonnier politique. Je suis un activiste politique. Je me suis battu dans une guerre menée contre mon peuple et qui dure depuis plus de 200 ans. Et je continuerai. J'ai mes ennemis. J'ai mes ennemis à la fois parmi les miens et à l'extérieur. Il y a en certains parmi les miens qui sont aussi mauvais que l'ennemi. Tous les Indiens ne sont pas forcément des gens bienveillants. Il y a eu des Indiens qui étaient des éclaireurs guidant l'ennemi jusqu'à nos villages, tuant femmes et enfants. Leur propre peuple.
BW : Pensez-vous que tous les prisonniers issus de milieux défavorisés et de minorités sont aussi des prisonniers politiques ?
Leonard : Eh bien, je n'irai pas jusqu'à dire ça, parce que certains d'entre eux ont commis des crimes graves. De mon point de vue, un prisonnier politique c'est celui ou celle qui s'est engagé(e) à se battre pour les droits et la liberté des siens et qui se trouve emprisonné(e) précisément pour cette raison. Il y a des gens qui ont une opinion différente à ce sujet.
BW : Dans votre cas, est-ce que les nations indiennes sont des nations distinctes de celle des Etats-Unis ?
Leonard : Oui, ce sont des nations distinctes. Nous nous battons de nation à nation. Une nation souveraine face à une autre nation souveraine. Mais pour revenir à la question précédente, certains pensent que ceux qui se trouvent en prison après avoir reçu un traitement inique ou après être tombés à la suite d'un coup monté, sont des prisonniers politiques. Et je crois que cela a un caractère politique dans une certaine mesure... En fait pour les procureurs ça va encore plus loin car plus ils obtiennent de condamnations, plus rapidement ils gravissent les échelons de la hiérarchie. Mais je ne crois pas que tout le monde soit prisonnier politique. Cela m'est difficile de considérer comme prisonnier politique quelqu'un qui, en vendant de la drogue à ses frères et soeurs dans la rue, est tombé dans un piège qui l'a conduit en prison. Mais si un type a subi des injustices qui auraient dû être redressées, qu'il a été traité d'une manière inique devant les tribunaux, il doit alors avoir droit à un nouveau procès. C'est ce que je crois.
BW : Alors que se tenait en novembre dernier le rassemblement en votre soutien à Washington, le député Scott McInnis ( républicain du Colorado ) a lu devant le Congrès cette lettre dictée par le FBI. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Leonard : Je crois que les électeurs devraient vraiment examiner de près la crédibilité de ce représentant au Congrès. S'il se lève pour faire des fausses déclarations à son Congrès, alors qu'il a fait le serment de se conformer en toute impartialité et honnêteté à la Constitution américaine, je pense qu'ils devraient se poser des questions sur ses convictions. Il se tient là et défend une organisation qui a tué 80 parsonnes à Waco au Texas [ NDT : il fait référence au siège armé de 51 jours qui a opposé en 1993 les membres de la secte des " Davidiens " de David Koresh à d'importants contingents militaires incluant la garde nationale du Texas, l'armée américaine et le FBI. Une enquête officielle récente a révélé des fautes graves mettant en cause le FBI et qui seraient à l'origine de l'incendie qui a provoqué la mort des 80 personnes lors de l'assaut final donné le 19 avril ]. Ils ont brulés vifs quarante enfants. Nous savons que c'est un fait avéré maintenant. Et il les soutient? Je pense que l'opinion publique et son électorat dans le Colorado devraient sérieusement chercher à savoir qui est vraiment cet homme. Il ne devrait pas être en charge de cette fonction. Nous avons fait la même expérience lorsque Rigoberta Menchu s'est rendue au Département de la Justice et que l'officiel qui l'a reçue a déclaré : " Je ne suis pas au courant de cette question concernant la balistique. Je ne suis pas au courant des autres points. Le FBI nous a dit tout l'opposé de ce que vous venez de me parler." Il était aussi contrarié par tout ça. Il a dit: " Est-ce que c'est vrai tout ce que vous venez de me dire ? " Et Rigoberta lui a répondu, " Oui, vous n'avez qu'à consulter le dossier. " Bon, ce représentant au Congrès est soit un crétin fini, ou bien à la fois un fou et un crétin fini pour ne pas avoir fait au préalable des recherches au sujet de ce qu'il lui a été raconté ( par le FBI ) avant de prendre la parole devant le Congrès. Tout ce que nous présentons devant ces élus au Congrès doit être véridique. Si tel n'est pas le cas, ça se retourne contre nous. On perd notre crédibilité, notre soutien et tout le reste. Eux aussi doivent être mis devant la même situation.
BW : Après 24 ans, pourquoi y a-t'il une campagne visant à vous empêcherd'obtenir une grâce présidentielle ?
Leonard : Je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas. C'est le coeur du problème. Je le sais. Peter Coyote, qui est un acteur d'Hollywood que je connais depuis l'époque des hippies, était délégué pour la Californie pendant la première campagne électorale de Clinton pour les présidentielles. Bien sûr, Clinton a été élu. Ils ont donc appelé tous ces délégués pour leur demander quelle faveur ils souhaiteraient recevoir de Clinton en retour de leur contribution au succès de son élection. Peter Coyote a donc répondu : " Écoutez, je veux parler au procureur général. " Il n'a pas rencontré Janet Reno mais obtenu un entretien avec un de ses assistants les plus hauts placés. Son bras droit. Peter s'y rend donc et discute pendant des heures. Il expose tous les détails de mon affaire, qu'il connait parafaitement et leur dit : " Je demande la grâce pour Leonard Peltier. C'est la faveur que je demande. " Le type lui dit : " Je vous recontacterai. " Le type s'en est allé et l'a rappelé deux semaines plus tard en disant : " Vous savez quoi Peter ? Je vais être très honnête avec vous. Quand vous m'avez raconté toutes ces choses à propos du cas de Leonard, j'ai pensé que vous étiez un de ces gauchistes fanatiques. " Il a dit : " J'ai fait des recherches sur tout ce que vous m'avez dit, et tout est vrai. Mais malheureusement, Leonard Peltier est quelqu'un de très puissant et ils ne veulent pas qu'il sorte de prison. " Et c'est tout ce que je peux dire.
BW : Au fil de votre emprisonnement, vous êtes devenu un symbole emblématique des peuples autochtones opprimés par leurs gouvernements. Comment ressentez-vous cela ?
Leonard : Je l'ai entendu dire... Je ne sais pas... je l'ai entendu dire. C'est un peu comme vous poser sur un piédestal. Surtout lorsque vous ne faites rien pour ni ne souhaitez qu'une telle chose vous arrive. J'espère seulement ne pas décevoir les miens si jamais je suis libéré. J'espère ne jamais faire outrage à cet honneur. Je reçois beaucoup de lettres de gens, de la région de Boulder en fait. Des femmes indiennes m'ont dit que lorsque je serai libéré -elles sont déjà en train de s'organiser- elles me désigneraient 'Chef des Chefs." (rires) Vous savez, c'est un certain honneur. Mais je ne me sens pas différent du Leonard Peltier qui est entré ici il y a 24 ans. Je ne me comporte pas d'une manière différente. Et j'espère pouvoir continuer à affirmer ça pendant ce qui me reste de vie à vivre. J'espère que le statut qu'ils m'ont attribué profitera aux miens. Sinon, cela n'aura eu aucune valeur.
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Le 18 février, Rigoberta Menchu, Indienne maya Ambassadrice de Bonne Volonté à l'UNESCO et Prix Nobel de la Paix, a rendu visite à Leonard Peltier accompagnée de Curt Goering représentant Amnesty International qui ne s'était pas impliqué dans l'affaire Peltier jusqu'à une période assez récente. Menchu et Goering sont deux personnes parmi beaucoup d'autres venues visiter Leonard à un moment où la pression pour obtenir sa libération est la plus forte qu'il ait connu à ce jour. Le 2 janvier, Phil Fontaine, Chef de l'Assemblée des Premières Nations au Canada a aussi rendu une visite à Peltier dans le but de créer l'unité dans la lutte entre les Indiens des deux pays. En novembre dernier, après la publication du livre de Leonard " Écrits de Prison : Ma Vie est ma Danse du Soleil " [ NDT : qui sera publié en français à partir du mois de mai aux Éditions Albin Michel ], des leaders amérindiens ont convergé vers Washington pour exprimer leur opposition face à l'incarcération illégale de Peltier, considéré comme un prisonnier politique par un front toujours grandissant d'activistes défendant les droits des peuples autochtones. Durant ce rassemblement qui a duré un mois, Katherine Porter, la femme du député au Congrès John Porter, a apporté les 35 millions de signatures d'une pétition demandant la grâce présidentielle immédiate pour Peltier. Afin d'entraver l'effort toujours plus large pour obtenir la libération de Leonard, le FBI a placé pendant le mois de novembre des encarts dans le Washington Post et auprès d'autres médias, dénonçant Peltier comme un tueur opérant de sang-froid et coupable des crimes dont on l'accuse. L'élu au Congrès Scott McInnis ( républicain du Colorado ) a répété ce rituel en lisant le communiqué du FBI mot pour mot devant le Congrès, accusant Leonard d'être " un homme violent au passé violent... Leonard Peltier est un meurtrier sans compassion ni sentiment humain à l'égard de son prochain. "
===fin de l'article===
( traduction et annotations : Céline Vaquer-Nos )
En cas de reproduction partielle ou intégrale de cet article, prière de faire référence à son auteur, au journal et la date de sa parution:
Un guerrier en cage ( Caged Warrior ) - Entretien avec Leonard Peltier
Par Ben Corbett
Boulder Weekly
Semaine du 9-15 mars 2000
Vive la révolution :
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