2 – MAI 2002 – LE MONDE DIPLOMATIQUE
Complotite
CENT QUATRE-VINGTS pages suffisent à boucler l'acte d'accusation. Et encore nombre d'entre elles ne font que reproduire des discours de M. George W. Bush ou développer des sujets périphériques à la démonstration : suivisme des médias américains, rôle des religieux, assaut contre les libertés publiques.
La thèse de Thierry Meyssan, si simple et aveuglante qu'un petit livre suffirait à la démontrer ? « L'existence d'un complot au sein des forces armées pour perpétrer les attentats du 11 septembre (1). » Car, si la couverture du livre annonce qu'« aucun avion ne s'est écrasé sur le Pentagone », c'est bien la lecture de la totalité des attentats du 11 septembre qui est ici remise en cause. La coïncidence entre une explosion au Pentagone et la destruction du World Trade Center suggère en effet que, dans la mesure où les destructions du premier sont le produit d'un coup d'Etat occulté, les événements de New York doivent l'être aussi. Une note page 168 indique, à toutes fins utiles, qu'il est possible de remplacer en plein vol des avions de ligne remplis de passagers par des drones. Seraient-ce alors des drones qui auraient frappé les tours ?
Aux yeux de l'auteur, peu importe : les militaires sont disposés à sacrifier des milliers de civils américains pour justifier ainsi le réarmement du pays. Ils sont aussi prêts à enlever le président des Etats-Unis (M. George Bush aurait d'ailleurs « négocié et cédé à un chantage »), voire le tuer. Meyssan reprend alors sans barguigner la thèse, plus cinématographique qu'historique, du réalisateur Oliver Stone sur l'assassinat de John Kennedy à Dallas. Le jeune président aurait payé de sa vie le désir d'un apaisement avec Cuba et d'une paix au Vietnam ? La réalité est bien différente (2).
La réalité met à mal une autre hypothèse avancée comme élément de preuve. Ainsi on apprend (page 69) qu'« Henry Kissinger est la figure tutélaire, l'inspirateur des faucons » à l'origine du coup d'Etat. C'est mal connaître l'histoire américaine. Loin d'être le Pygmalion de la droite républicaine, M. Kissinger en est haï depuis qu'il a activé la dynamique de « détente » avec le bloc communiste.
A quoi bon continuer ? La vieille intuition du « à qui profite le crime ? » a fait naître un soupçon devant des attentats à ce point providentiels pour le « complexe militaro-industriel » américain. Les dissimulations officielles ont fait le reste, créant un espace dans lequel Meyssan s'est engouffré. II ne restait ensuite aux grands médias qu'à accorder un écho inattendu à une critique qui leur permettait de discréditer ceux qui critiquent les médias (3). Pour le reste, l'auteur est fondé à ricaner quand, en France, parlant de « rumeur Internet » pour évoquer son livre fait de colle, de papier, d'encre et de conjectures, des quotidiens qui ont tour à tour gobé les charniers de Timisoara, les bébés de Koweït-Ville jetés hors des couveuses et le plan « Fer à cheval » au Kosovo prétendent lui infliger une leçon de journalisme.
S. H.
(1) Thierry Meyssan, L'Effroyable Imposture, Editions Carnot, 2002, 254 pages, 17,10 euros.
(2) Lire, sur le sujet, « Le film JFK, de l'histoire ou du cinéma ? », Manière de voir n° 26, mai 1995.
(3) Lire en particulier les dossiers et éditoriaux du Monde (21 mars 2002) et de Libération (30 mars).