L’individu et l’amour

L’individu et l’amour

 

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L’histoire de l’amour et celle de l’individu sont intimement liées

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Dans " Romeo et Juliette ", Shakespeare exprime l’amour impossible, l’amour assassiné par la haine qu’éprouvent l’une pour l’autre les deux familles auxquelles appartiennent les amoureux, mais il exprime aussi l’amour vainqueur : plutôt mourir que renoncer. Dans le " Discours de la méthode", Descartes prend conscience de son individualité : " Je pense donc je suis ".

Shakespeare (1564-1616), dans " Romeo et Juliette ", exprime les " débuts " forts difficiles de l’amour. Descartes (1596-1650) voit, avec son " Je pense donc je suis ", le moment où la personne humaine devient individu.

Le mot " individu " est censé désigner une unité indivisible. L’individu n’a pas toujours été la personne humaine. A certaines époques l’individu était le clan, à d’autres, c’était la famille. Hitler voulait que l’individu soit " Le peuple Allemand ". Ce n’est que tout récemment (fin du XVIeme) que la personne humaine a commencé à devenir individu. Et ce mouvement n’est pas encore terminé.

L'amour est plus fort que tout puisque les individus qui s'aiment se sont choisis librement. L'amour concerne les individus. L’amour entre personnes n’a pas toujours existé, puisque les personnes n'ont pas toujours été des individus.

Tant que l’individu n’est pas encore la personne, tant qu’il est encore la famille ou le clan, une dispute peut durer plusieurs siècles, et dure effectivement jusqu’à la réconciliation des deux clans ou jusqu’à la disparition de l’un d’entre eux. Tant que rien ne vient dissoudre l’individu-clan, tant que l’histoire n’a pas commencé à individualiser la personne, il est inenvisageable, aussi bien du point de vue de la personne (qui se sent soudée au clan) que de celui du clan, il est inenvisageable qu’un membre de l’un des deux clans ennemis tombe amoureux, ou tout simplement devienne ami, d’un membre de l’autre clan. Je veux dire qu’aucune des personnes appartenant à l’un de ces deux clans ne pourrait avoir une telle idée ou un tel sentiment.

Progressivement, la personne se détache du groupe et devient elle-même individu à la place du groupe. Mais ça ne plait pas au groupe, et il se défend. C’est l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre qui pousse Romeo et Juliette à s’individualiser, à ne pas tenir compte des interdictions familliales, à se séparer des groupes qui, dorénavant, cherchent à les emprisonner. C’est l’amour qui les pousse à l’individualisation.

 

Deux choses sont à noter : 1°) Aujourd’hui, la personne n’a pas encore totalement conquis son individualité.

2°) Malgré cela, dans le langage courant, le mot " individu " s’emploie comme synonyme du mot " personne ". Cela signifie que la Culture actuelle admet que la personne a potentiellement gagné son individualité. Mais ne nous réjouissons pas trop tôt, et, après avoir constaté que la plupart des gens utilisent presque toujours le mot " personne " plutôt que le mot " individu ", qui a visiblement trop de sens pour eux (même s’ils ne savent pas lequel), nous serons bien obligé d’admettre qu’il y a encore du chemin à parcourir.

Pour qu’un individu soit un individu vrai, il doit être intégré à une communauté vraie. Pour qu’une communauté soit une communauté vraie, elle doit être composée d’individus vrais. Dans son concept même, l’individu est libre. C’est ce qui le différencie de la personne, du moins quand celle-ci est soudée (je n’ai pas écrit " intégrée ") au groupe, car alors, elle n’est pas plus libre que la main ou le cœur.

Toute la différence entre le communisme et le communisme primitif est là : dans un cas la personne est un individu qui s’intègre librement, dans l’autre elle est tellement soudée à la communauté qu’elle n’a même pas vraiment conscience d’exister. Mais le point commun entre ces deux moments de l’histoire humaine, dont l’un arrivera peut-être et l’autre a presque totalement disparu de la planète, c’est la solidarité. Dans le communisme, la solidarité est forte, consciente, réfléchie, et librement voulue ; dans le communisme primitif, elle est totale, mais, inconsciente d’elle même, elle est comme naturelle, comme si les membres de la communauté étaient les organes d’un même corps qui, lui, est un individu.

Et nous, nous vivons entre ces deux âges d’or : très loin du premier et pas loin du second, pile au moment où les anciens liens de solidarité ont presque totalement disparu et où les nouveaux ne sont pas encore apparus. C’est cette absence presque totale de solidarité qui fait le malheur des temps. Un jour, peut-être, le capitalisme apparaîtra comme la phase de déséquilibre qui fut nécessaire à l’humanité pour accomplir le pas qui la fit passer d’une solidarité à l’autre.

Il me paraît indispensable de remarquer que si les primitifs sont nés solidaires et heureux, notre solidarité à nous, et donc notre bonheur, nous devrons les construire, les conquérir contre toutes les forces qui ne manqueront pas de s’y opposer mais qui, aujourd’hui, sont les forces du passé même si, au XVIeme, elles représentaient l’avenir.

 

De ce point de vue, l’histoire de l’humanité peut se résumer au processus d’individuation de la personne humaine. Processus dont le moteur est l’amour si l’on en croit shakespeare.

 

21 juin 1999

 

do

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