2 avril 2003

NOTE : pour lire les précédents messages d'Himalove sur la révolte maoiste au Népal voir :
AG 605 et 614

Kathmandou,

                    Salut do,

          Je te donne quelques nouvelles politiques du Népal. Les leaders maoistes sont sortis de leur jungle et ont tenu une conférence de presse à Kathmandou. Ils ont déclaré, avec le gouvernement royaliste, que le pays était divisé en deux États. L'un tenu par Kathmandou, l'autre par eux. C'est officiel. Ce qui enrage les partis politiques parlementaires traditionnels (le Congrès et le Parti Communiste) qui ont été mis de fait à l'écart du jeu politique. Les maos disent d'eux qu'ils ont été incapables de défendre une "democratie formelle", qu'ils méprisent du reste, lors du coup d'État royaliste du 4 octobre dernier. Pour les maos, c'est clair : « Le pouvoir est au bout du fusil ». Le commandant Badal, le che guevara local, a déclaré publiquement à la télé, à une heure de grande écoute : « je suis contre le concept d'armée mais pour celui du "peuple en arme" »...

          Voyons la suite des événements.

                    Bien a toi,
                    Himalove

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QUESTIONS de do :

                    Salut, Himalove,

          Tu dis que l'État du Népal est partagé en deux. Est-ce une victoire, ou une demi-victoire ?

          Connais-tu un lien où il y ait une carte du partage ? Les Népalais qui sont côté maopati ont-ils eu droit à une partie des montagnes où s'organisent les fameux trekings dont tu parlais ?

                    Bien à toi,
                    do

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RÉPONSE d'Himalove :

                    Salut do,

          Il n'y a pas de frontières, comme en Colombie, entre les zones territoriales tenues par les maopatis et les forces royalistes. C'est ce qui fait la force des maoistes népalais. Ils sont dixit Mao "dans le peuple comme les poissons dans l'eau".

          Le premier qui a évoqué dans les journaux qu'il existait désormais deux États, c'est le Premier ministre Chand, nommé par le Roi. Les maopatis n'ont pas contredit. Ils se sont sentis flattés... Mais ils ne sont pas dupes. Le gouvernement royal, issu d'un coup d'État au mois d'octobre dernier, a un autre ennemi mortel : les partis parlementaires traditionnels, le Congrès et le Parti Communiste UML. Le roi se sert de la légitimité que lui confère le cessez-le-feu signé avec les maopatis pour perdurer politiquement. Le deal avec les maos est à ce prix.

          Les maopatis ne représentent pas, pour l'heure, un danger immédiat pour ceux qui exploitent, de facon éhontée les parcs nationaux des Anapurnas et de l'Everest. Ces parcs sont très protégés militairement. Ils représenteront un danger s'ils prennent le pouvoir à Kathmandou, décentralisent et mettent au pas les agences Newar et Chetri.

          Les maopatis ont envoyé des ambassades aux représentations americaine, britannique, chinoise et française à Kathmandou. Ils ont été plutôt froidement reçus.

          Ce soir, ils organisent un meeting à l'Open Theatre à Kathmandou, les organisateurs attendent 150 000 personnes. Je crois que je vais m'y rendre...

          Les maopatis profitent au maximum du cessez-le-feu pour renforcer leur position à Kathmandou et dans la vallée. En fait, ils doivent faire attention à plusieurs choses : ne pas se laisser endormir par une relative paix, ne pas se laisser corrompre. Le pouvoir au Népal, peut-être plus qu'ailleurs, corrompt "absolument". On achète et on vend les prébendes et les places. Ils doivent aussi faire attention au roi, qui n'a pas hésité à assassiner, à en croire la vox populi, son frère et toute sa famille pour voler le trône. Faire assassiner tous les leaders maoistes, devenus députés à l'Assemblée, doit être un de ses rêves...


                    À bientot,
                    Amicalement;
                    Himalove

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QUESTIONS de do :

                    Salut Jean-Michel,

          J'ai mis tes deux derniers courriers en AG, en 629. Tu te doutes que j'ai quelques questions :

          À ma connaissance, c'est che guevara qui a dit le premier ceci exactement : « Le guérillero doit être au sein du peuple comme un poisson dans l'eau ».

          As-tu été à ce meeting des maopatis ? C'était bien ? tu as pu comprendre quelque chose ? parles-tu le Népalais ? Que s'est-il dit ? L'ambiance était comment ? Comment ont réagi les diverses couches de la population ? Et les diverses ambassades françaises, anglaises, américaines, etc. y a-t-il là-bàs une ambassade Irakienne ? Les maos ont-ils parlé de la guerre en Irak ?

          Il y a des députés maopatis à l'assemblée ? je ne comprends pas. Depuis quand ? ont-ils été nommés ou bien élus ? combien sont-ils en nombre absolu, et en pourcentage ?

Amicalement,
do
http://mai68.org

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RÉPONSES d'Himalove :

          3 avril 2003

                    Salut do,

          Le meeting avait commencé à 2 heures de l'après-midi, en plein centre de Kathmandou, à l'Open theatre. Je n'y suis allé qu'à 6 heures, ayant été mal informé par la presse locale... C'était encore noir de monde et plein de drapeaux rouges. Impressionnant, ces portraits de Mao et de Staline. La plupart des gens présents en fin d'après-midi etaient des hommes. Les femmes ont quitté le meeting très tôt, m'a-t-on dit. C'était la première manifestation des maopatis à Kathmandou. Le tribun du moment, j'ai cru reconnaitre l'ideologue du parti, le docteur Battarai, s'exprimait en anglais et condamnait vertement l'agression americaine en Irak.

          Pratiquement chaque jour, les maos organisent des "rallys" contre la guerre en Irak dans les rues de Kathmandou. Après avoir dénoncé l'imperialisme américain au moyen-orient et les ingérences américaines dans les affaires népalaises, toujours en anglais, il s'en est pris violemment à l'imperialisme indien, qui, en fait, est le plus dangereux pour eux et le Népal. À noter que le gouvernement américain a livré des armes gratuitement au gouvernement royaliste, non seulement pour lutter contre la guerilla, mais pour remercier le gouvernement népalais d'avoir signé un accord avec eux interdisant l'extradition de tout citoyen américain vers une justice internationale.

          Les leaders maoistes et leurs cadres n'ont jamais été devant les électeurs. Il ont été elus par leurs hommes dans les combats. Beaucoup y ont perdu la vie à la tête de leur colonne. Les maos ne croient pas a la démocratie "formelle", parlementaire ; ils croient à la démocratie directe et au pouvoir du fusil. Ils ont une notion très expéditive de la justice. Passer devant leurs tribunaux equivaut à la mort. Ce sont des puritains endurcis ; ils font campagne contre l'alcool, la drogue, le tabac et les cabines-restaurants, haut lieu de prostitution à Kathmandou.

          Les maopatis ont, comme je te disais, envoyé des ambassades aux représentations consulaires americaine, anglaise, chinoise, francaise et indienne. L'ambassade des États-Unis a déclaré qu'ils n'ont aucun plan de négociations avec eux ; les Anglais et les Français les ont accueillis et écoutés courtoisement ; les Indiens et Chinois, les ont snobés. En fait, les maos essayent de
savoir si les étrangers soutiennent le roi ou les partis politiques traditionnels, évincés lors du coup d'État royaliste du 4 octobre. Tout va se jouer politiquement à Kathmandou dans les deux mois qui viennent entre les trois forces en presence : maos, roi et partis politiques (NC, UML, etc.). L'enjeu est le contrôle de l'armée royale. Jusqu'à aujourd'hui le commandant en chef de l'armée, c'est le roi.

          La première étape est de faire glisser le contrôle de l'armée et des forces de police gouvernementales des mains du roi dans d'autres mains. La convocation d'élections libres, en fait, est secondaire. Le fait que le dernier assassinat politique des maos ait été,
juste un jour avant la declaration du cessez-le-feu, fin janvier, le meurtre du général en chef de la police militaire, est très significatif. Qui contrôle l'armée et la police contrôle tout le pays.

          Je reprendrai demain matin...

                    Amicalement,
                    Jean-Michel

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SUITE DES RÉPONSES D'HIMALOVE :

          4 avril 2003

                    Cher do,

          Je continue à répondre en vrac à tes questions. Je ne sais pas s'il y a une ambassade irakienne à Kathmandou, mais je ne crois pas. Récemment il y a eu des réfugiés irakiens, perdus à l'aéroport de Kathmandou, les autorités ne savaient que faire de ces
personnes...

          Les maopatis et leurs sympathisants viennent de toutes les couches sociales, de toutes les castes, de toutes les ethnies. C'est un mouvement politique, social, national et populaire. C'est très curieux qu'ils se réfèrent au marxisme-léninisme, car il n'y a aucun prolétariat et aucune bourgeoisie, au sens classique de ces termes, ici. La société népalaise est une société "féodale" et rurale. On est maître, serf ou vassal. Et on ne peut considérer la petite bourgeoisie des villes, qui côtoie l'aristocratie, comme des barons et capitaines d'industrie. Ce sont des gens enrichis grâce au tourisme, à la spéculation et à toutes sortes de trafics.

          Un exemple : une de mes étudiantes (je donne des cours de francais) m'a invité dans sa famille ; la villa de sa sœur et de son beau-frère ressemblait au musée Guimet de Paris. Bouddhas anciens, vieux coffres tibétains dorés à la feuille d'or, statues, pilones en bois et portes, arrachés à d'antiques maisons et monastères. Le tout étiqueté prêt à être expédié. En fait, le beau-frère est à la tête de plusieurs équipes de voleurs, et travaille à la commande pour l'étranger. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie népalaise vendent leur pays en petits morceaux à de riches collectionneurs américains, allemands, japonais.

          Tiens à propos de ces derniers (les Japonais), sais-tu que le roi a vendu et expédié un vénérable banyan de Lumbini (lieu de naissance de Siddartha) au Japon ? Il y a un tel état de déliquescence au Népal, à tous les étages de la société, que les maopatis sont les bienvenus.

          Depuis le 4 octobre 2002, date du coup d'État du roi et de son armée, il n'y a plus de parlement au Népal. En fait, c'est l'armée et la police qui dirigent Kathmandou.

                    Non, je ne parle pas népalais, mais je comprends...

Amicalement.
Jean-Michel


La suite partie de ce reportage est en AG 653


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