JOURNAL

"Celui qui dit la vérité, il doit être exécuté."

 

N°53,          7 février 2001


RETRAITES

          Les patrons nous ont volé le bifteck et l'hiver mais ça ne leur suffit pas. Maintenant, ils veulent nous enlever aussi nos retraites ! Et pour parvenir à leurs fins, ils sont prêts à tous les mensonges et à toutes les manipulations.

          L'État est double. Comme Janus, il a deux profils : le bâton et la carotte. Son côté bâton, c'est ce que karl marx appelait à juste titre " les bandes armées du capital ", c'est sa police et ses CRS, ses gardes mobiles et ses militaires. Son côté carotte, c'est la sécurité sociale et les retraites, les assedics et les diverses aides sociales, et aussi les services publics.

          L'État, c'est l'arme de la bourgeoisie, c'est ce qui lui permet de rester au pouvoir, de continuer à nous exploiter et à nous commander, de nous dire à quelle heure nous devons nous lever. Toute notre vie, notre survie1 devrais-je plutôt dire, est structurée par l'exploitation de l'individu par l'individu. Le rôle de l'État est de maintenir les choses en l'état !

          Mais la bourgeoisie sait bien que nous accepterons mieux l'état des choses si elle nous cache la vérité. Aussi essaie-t-elle de nous faire croire que l'État plane au-dessus des classes sociales comme un juge impartial, comme une émanation divine. Quoique depuis que beaucoup d'entre nous ont cessé de croire en Dieu, la bourgeoisie essaie plutôt de nous faire croire que l'État est une émanation du peuple, que " l'État, c'est nous ".

          Cependant, contrairement à ce que les patrons voudraient nous faire croire, et malgré les tragi-comédies électorales (comédies parce qu'en ces occasions-là, nos maîtres se moquent bien de nous ; et tragédies parce qu'à chaque fois nous tombons et retombons dans le même panneau !), l'État appartient bel et bien aux maîtres du pays " au-dessus duquel il plane ". L'État, c'est les patrons !

          Le côté bâton de l'État est destiné à nous taper dessus au cas où nous ferions de vraies grèves, comme en mai 68, surtout si en plus nous nous avisions de vouloir supprimer totalement et définitivement l'exploitation de l'individu par l'individu. Car non ! la police n'est pas là, contrairement à ce que prétend le mensonge courant, pour défendre la veuve et l'orphelin contre les voleurs à la tire ou contre les violeurs. Même si les policiers sont les premiers à croire à ce mensonge !

          Le côté carotte de l'État est là pour nous faire accepter l'existence de l'État ! Et pour nous faire tolérer la " société " telle qu'elle est en adoucissant suffisamment les horreurs de l'exploitation. Quand le rapport de force bourgeoisie-prolétariat évolue en faveur du prolétariat, alors, pour nous calmer, l'État-carotte augmente un peu nos salaires, nos retraites et notre service public, ce qui permet à l'État-bâton de taper sur ceux d'entre nous qui continuent à vouloir tout ce qui leur appartient2. Par exemple, après la Révolution Russe, le patronat prit peur et donna raison à Keynes qui prétendait qu'il fallait très nettement augmenter les salaires des employés sous divers prétextes fallacieux, alors qu'il s'agissait tout simplement, en donnant une carotte au prolétariat, d'empêcher la révolution de gagner le monde entier.

          Le bâton pour faire peur et la carotte pour adoucir, telle est la dialectique de l'État pour maintenir encore et toujours ce que la révolution fera disparaître si la fin écologique de l'humanité, de plus en plus à l'ordre du jour depuis la disparition du bifteck et de l'hiver, ne survient pas avant la fin de ce capitalisme qui, comme un anti-Midas, détruit tout ce qu'il touche. Nous n'avons plus beaucoup de temps, il faut se dépêcher !

 

          A l'époque où il y avait encore une Russie, je veux dire à l'époque où le pouvoir cherchait à nous faire croire que la Russie était communiste alors qu'il ne s'agissait que de capitalisme d'état, le rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat3 était moins favorable à la bourgeoisie qu'aujourd'hui. Nous avions une sécurité sociale, des retraites, et des salaires qui ressemblaient un peu plus qu'aujourd'hui à une sécurité sociale, à des retraites et à des salaires. En tout cas, tout ça ne semblait pas menacé. Au contraire, lors de puissantes grèves, comme en 1968, puis dans les quelques années qui suivirent, nos acquis sociaux avaient même tendance à s'améliorer quelque peu !

          En Russie, il n'y a jamais eu de communisme, seulement du capitalisme d'État (voir dans les annexes de la théorie du concept " le spectacle de l'effondrement du communisme "). Du point de vue de l'économie et de l'exploitation (dans le sens de la diminution de cette dernière), le faux-communisme à la Russe était tout de même mieux que le capitalisme privé, dit " libéral ". Alors qu'en Amérique, par exemple, il y a plusieurs centaines de patrons pour exploiter la population, en Russie, il n'y en avait qu'un seul dont le plus célèbre est peut-être Staline. Comme chaque patron américain cherche à profiter autant de la population américaine que le seul Staline de la population russe, les salariés américains sont forcément beaucoup plus exploités que ceux de la Russie prétendue " communiste ". Et du point de vue économique, contrairement à ce que prétendent les mensonges les plus éhontés qui ont cours aujourd'hui, le capitalisme d'État (le pseudo-communisme) a cent fois prouvé sa supériorité sur le capitalisme privé (" libéral "). Le fait que toute concurrence ait été supprimée en Russie a permis de supprimer aussi le gaspillage qui va avec. Puisqu'aujourd'hui il est besoin d'expliquer cela au moins un tout petit peu, songez par exemple que si en Amérique cent entreprises concurrentes font des recherches identiques, ce pays devra les financer cent fois tandis que dans la Russie de Staline, il suffisait de les financer une seule fois ! De plus, en Russie, au lieu qu'il y ait concurrence entre les chercheurs, il y avait solidarité. C'est-à-dire qu'en Russie les chercheurs s'entraidaient alors qu'en Amérique la concurrence les pousse à se tirer dans les pattes. C'est ainsi qu'un pays au départ complètement sous-développé comme la Russie du début du siècle a pu gagner non pas la course à la lune, qui n'était qu'un leurre extrêmement cher et inutile, mais bel et bien la course à l'espace. Quelques années après qu'ils aient dû abandonner leurs voyages dans la lune, on a pu se moquer pendant quinze ans des américains, de leur " supériorité " et de leur haute technologie en soulignant que : " Les américains ne vont plus dans la Lune, ils vont dans Mir ! " La honte ! Car oui, pour la station spatiale, étape indispensable à une éventuelle conquête spaciale dont je n'ai certainement pas dit que je l'approuvais, la Russie avait tout bonnement quinze ans d'avance sur l'Amérique. C'est bien pour ça que, maintenant qu'ils en ont les moyens, les américains imposent aux russes la suppression de la preuve de la défaite philosophique américaine : les aides américaines au maintien du pouvoir d'Eltsine, puis de son successeur, se sont marchandées notamment à propos de la date de la destruction de Mir !

          Du point de vue de la liberté, il est bien évident que l'URSS, ce n'était pas génial-génial ! Mais il faut à ce sujet remarquer qu'outre le fait que dans quelques centaines d'années, si l'humanité n'a pas disparu, les historiens compareront les goulags Russes à nos usines, les américains auront bientôt dans leurs geôles plus de prisonniers qu'il n'y en eut jamais dans la Russie de Staline !

          C'est la guerre psychologique : on nous a dit qu'en Russie prétendument " communiste " les médias n'arrêtaient pas de mentir aux Russes. Et c'était vrai ! mais ce qu'on a oublié de nous dire, c'est que chez nous, les médias mentent tout autant. La seule différence, c'est que si nous, nous l'ignorons encore, les russes, eux, l'avaient découvert depuis bien longtemps. C'est pourquoi ils ont pu se mobiliser suffisamment pour abattre la forme étatique du capitalisme qui régnait chez eux (il est dommage qu'ils se soient fait des illusions sur la forme privée, dite " libérale ", du capitalisme).

          De même qu'on nous avait fait croire que la Russie était communiste, on nous a fait croire, aussi, que c'est le communisme qui s'est effondré en Russie. Et ça, c'est vraiment essentiel ! Les médias nous ont totalement hypnotisés : nous avons cru que le communisme, ça ne marchait pas et que de toute façon, c'était encore pire que le capitalisme ! Ça nous a totalement démoralisés ! Quand on sait la puissance de la guerre psychologique, on comprend facilement que le rapport de force bourgeoisie-prolétariat se soit brutalement mis à évoluer favorablement pour la bourgeoisie qui, du coup, se croit tout permis !

          L'État, c'est les patrons, donc si depuis quelques années les patrons réclament en permanence moins d'État, ce n'est pas qu'ils veulent moins de patrons, ou moins de police, ou moins d'armée. C'est parce qu'ils veulent moins de sécurité sociale, moins de service public, moins de retraites, etc. Bref, tous ces trucs qui ne sont rien moins qu'un peu de communisme au sein du capitalisme, tout ce qui correspond à l'État-carotte4, les patrons estiment qu'il y en a moins besoin depuis que le rapport de force semble avoir changé, depuis qu'on a réussi, parait-il définitivement, à faire croire au prolétariat simultanément que le capitalisme était ce qu'il y avait de moins mal et, paradoxalement, qu'il n'y avait plus de patrons5. Or le côté carotte de l'État, celui qui est destiné à nous faire accepter l'état des choses, coûte plus cher que son côté bâton, policier si vous préférez, donc, si la bourgeoisie peut en faire l'économie...

          Cependant, malgré la démoralisation due au mensonge sur " l'effondrement du communisme ", nous avons encore conservé quelque capacité de mobilisation, comme cela s'est vu en 1995. Aussi, le patronat est prudent, il ne nous dit pas brutalement " vous n'êtes rien, nous sommes tout : vous n'avez pas d'autre choix que d'accepter ce qu'on vous donne ! Or justement, on va vous supprimer la retraite à 60 ans. Et bien d'autres choses encore. " Le patronat est obligé de nous mentir encore et toujours.

           Il veut nous faire croire sous prétexte de calculs qui en fait ne tiennent compte que d'une toute petite partie du problème, si tant est qu'il y ait un problème, que dans quelques années, il n'y aura plus assez d'argent pour payer nos retraites si on ne prend pas certaines mesures. Mais dans le numéro de juin 1999 du Monde Diplomatique, René Passet montre très précisément que ce n'est qu'un vilain mensonge !

          Je ne citerai ici qu'un paragraphe de cet article : « La capacité de financer tout prélèvement repose donc, en dernier ressort, sur le produit intérieur brut (PIB). Or, selon les projections du Commissariat général du Plan, celui-ci devrait augmenter de 9 600 milliards entre 1998 et 2040, ce qui représente plus de cinq fois l'augmentation de la charge des retraites, estimée à 1 837,6 milliards de francs. »

          Pourtant, les patrons veulent faire croire à un grave problème touchant au financement des retraites, mais des mensonges aussi grossiers, le patronat nous en a déjà fait plein. Je rappellerai seulement celui d'avant mai 68 où on nous avait prétendu que les patrons n'étaient pas suffisamment riches pour augmenter les salaires de plus de deux ou trois pour cent. Pourtant, après mai 68, le SMIG fut augmenté de 33% ! Et ceci sans que le lendemain les riches semblent moins riches qu'avant ce joli moi de mai. Ce qui montre bien que les riches sont riches, même s'ils veulent nous faire croire le contraire !

          Et tant que j'en suis à citer l'exemple de mai 68, autant aller jusqu'au bout ; avant mai 68, tout le monde, les prolétaires comme les patrons pensaient qu'un si beau et si intense mouvement n'avait aucune chance de voir le jour ! Pourtant c'est arrivé. Certains prétendaient aussi que jamais la dictature ne s'effondrerait en Russie. C'est arrivé. Aussi, je crois sérieusement que si nous avons pu faire mai 68 alors que tout le monde prédisait le contraire, si les russes ont pu faire la moitié du travail en détruisant la fraction étatique du capitalisme, pourquoi ne pourrions-nous pas, dès maintenant, finir le travail et détruire aussi la fraction dite "  libérale " du capitalisme ?

         La destruction du capitalisme ? Il suffit de s'y mettre ! Et les patrons nous en fournissent eux-même une belle occasion en nous déclarant la guerre : ils veulent détruire nos retraites, notre sécurité sociale, nos ASSEDIC et notre service public, après avoir détruit notre bifteck et nos saisons ! Détruisons-le capitalisme avant qu'il ne nous détruise !

 

Post Scriptum : Vous ne croyiez quand même pas que j'allais vous parler de Sirven ? il n'est qu'une diversion ! Un scandale est là pour en cacher un autre. Car le seul vrai scandale, celui que tous les autres scandales veulent cacher, c'est qu'une poignée de salauds s'est emparée de la planète, qu'elle consomme au sens où elle la consume.

Autres articles du Diplo sur les retraites : Jouer sa retraite en Bourse
                                                              Triple échec aux Etats-Unis

 

Notes :

1 La survie, c'est la vie réduite aux impératifs économiques.

2 Ça aussi, c'est " diviser pour mieux régner ". Ici, le pouvoir divise entre ceux qui tolèrent de n'avoir qu'un peu et ceux qui continuent à vouloir tout, en promettant aux premiers de ne pas leur cogner dessus et en promettant aux autres la répression la plus féroce !

3 Le prolétaire est celui qui n'a aucun contrôle sur l'emploi de sa vie et qui le sait.

4 Le communisme (ou l'anarchie), ce n'est pas une carotte, mais quand on nous promet un peu de communisme pour nous inciter à ne pas courir le risque de prendre des coups de bâton en essayant d'obtenir tout le communisme...

5 C'est pour éviter de rappeler sans arrêt aux salariés que les patrons existent toujours que le patronat remplaça le sigle CNPF par MEDEF. Il s'agissait de supprimer le " P " de Patron présent dans " Confédération Nationale des Patrons Français ".


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